D'où vient alors cette désillusion, cette résignation ? Le tribunal va révéler que des membres du
Hezbollah sont impliqués, et alors ? Ils ne seront jamais retrouvés ni emprisonnés. Les exécutants et les complices sont déjà identifiés. La question qui aurait pu passionner les Libanais est plutôt : quel est l'Etat qui est derrière ? Mais là encore, 80 % des gens savent que c'est la Syrie. Le Hezbollah le sait, même si, pour sauver ses hommes, il nie toute implication ou aide logistique aux services syriens. Quelle que soit l'issue du procès, les vrais coupables n'iront jamais en prison. Les Libanais ont perdu confiance en la justice, et encore plus dans leur classe politique. Or le tribunal est trop marqué politiquement pour être crédible, y compris parmi les partisans de l'initiative. Il a été trop instrumentalisé par une classe politique que le citoyen ordinaire ne juge pas fiable et envers laquelle il nourrit un très fort ressentiment. Les gens sont résignés à l'égard d'une décision de justice, aussi impartiale et indépendante soit-elle, qui, de toute façon, sera récupérée par des acteurs confessionnels au lieu d'aboutir à un vrai jugement et d'amener une issue pacifique. Les Libanais de tous bords ont tendance à renvoyer les politiques dos à dos. Le pays n'est pas divisé entre pro et anti Hezbollah, comme on pourrait le croire. Et le camp de Hariri, lui aussi, est discrédité. Car si l'on accuse le Hezbollah d'un côté, on finance les djihadistes à grand coup de dollars de l'autre. Les Libanais sont dans un rejet massif, une dénégation de la politique, y compris dans les rangs de l'armée, qui se considère comme le dernier garant de la sécurité dans le pays. Le tribunal apparaît davantage comme une arène politique qu'une arène judiciaire indépendante. Une arène politique extrêmement violente où les différentes factions se renvoient la responsabilité des attentats et assassinats. Une très grande majorité des Libanais en a assez, car ce sont les civils qui sont les victimes des surenchères et des instrumentalisation identitaires et communautaires. Quel dénouement peut apporter le procès contre les assassins de Hariri ? Le procès est plus un problème qu'un dénouement. Il est plus emblématique d'une situation d'insécurité que d'un début de solution. Tant qu'il n'y a pas de consensus dans la société autour d'une justice internationale sur la violence et les crimes politiques au Liban, le tribunal a peu de chances d'être entendu. Quel que soit le verdict, il ne viendra que renforcer la radicalité de chacun des camps au lieu d'être un facteur d'apaisement. La notion de justice est secondaire dans ce procès, soit parce qu'on connaît déjà les assassins, même si on ne le dit pas, soit parce que les gens sont plongés jusqu'au cou dans la peur des répercussions de la crise syrienne. Car ce qui préoccupe les Libanais, ce n'est pas la Syrie d'hier, mais celle d'aujourd'hui, même si ce sont les mêmes services de sécurité qui agissent. La justice internationale devrait intervenir dans un moment de "post" - postdictature, postconflit - et assumer un rôle transitionnel. Au Liban, on nage en plein conflit syrien importé et les acteurs d'aujourd'hui sont les mêmes qu'à l'époque de l'attentat, ou presque - le fils ou le cousin a remplacé le père, ils ont échangé la kalachnikov contre le costume cravate.