Fil d'Ariane
Le procès des attentats du 13 novembre 2015, qui ont fait 130 morts, s'ouvre ce mercredi 8 septembre. Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, vient de rehausser le niveau de vigilance pour toute la durée des audiences. La menace terroriste est toujours présente en France, six ans après les attentats. État des lieux.
Ce mercredi 8 septembre était attendu par les victimes et leurs proches. Enfin, elles vont pouvoir tenter d’avoir des réponses aux nombreuses questions qu’elles se posent depuis le 13 novembre 2015 ; jour où leur vie a basculé.
La date du 13 novembre 2015 a définitivement marqué les esprits. Mais ce n’est pourtant pas la dernière attaque terroriste qui a frappé la France. La menace est toujours présente, malgré la chute du califat autoproclamé de Daesh, dans la zone syro-irakienne. Depuis l’attentat du 14 juillet 2016, à Nice 124 personnes ont trouvé la mort dans 17 attaques terroristes.
Ces attentats sont différents de ceux du 13 novembre. Ils suggèrent une nouvelle approche des terroristes. C'est ce qu'indique Nathalie Cettina, directrice de recherches au Centre français de recherche sur le Renseignement (Cf2R). En effet, selon la chercheuse, "il n'est pas impossible de voir de nouveaux attentats sur le sol français, mais il est peu probable que l’on ait affaire à un nouveau 13 novembre, dans la mesure où c’était un attentat préparé et structuré depuis l’étranger".
Le groupe État Islamique a perdu son efficacité selon la chercheuse. "Daesh n’a plus la capacité, aujourd’hui, de commettre des actes d’une telle ampleur. D'autres manifestations, plus individuelles se sont développées et s’inspirent des modes opératoires des groupes terroristes", ajoute Nathalie Cettina.
(RE)voir : France : le procès augmentera-t-il le risque d'attentats ?
Depuis le 13 novembre 2015, les terroristes agissent seuls en France. Ils répondent aux appels des réseaux terroristes islamistes. En effet, la propagande djihadiste fait, aujourd'hui encore, de la France, une cible privilégiée.
Pour plus d'informations, lire : "Le groupe État Islamique est encore très actif"
Les terroristes agissent ainsi désormais seuls. L'anticipation de leurs actes est devenu plus en plus difficiles pour les forces de sécurité. Les services de renseignements scrutent et surveillent les individus qui se radicalisent, notamment sur les réseaux sociaux. C'est le lieu où circule la propagande.
C'est dans cet esprit que les services concernés ont mis en place la Plateforme d'Harmonisation, d'Analyse, de Recoupement et d'Orientation des Signalements, dite Pharos, en 2009.
Cette plateforme permet ainsi à n’importe qui de signaler des contenus illicites, y compris l'apologie du terrorisme ou des menaces d'attentat. Par exemple, dans l’affaire de l’assassinat de Samuel Paty, le compte Twitter du meurtrier avait été signalé aux services antiterroristes le 10 octobre, soit 6 jours avant l’attentat.
Cependant, les propos n’avaient pas été jugés suffisamment préoccupants par les services concernés. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, avait alors défendu ses services dans ce qui était perçu comme un manquement. "Il y a eu des signalements а Pharos faits de manière anonyme sur le compte du terroriste, mais il n'y a pas eu sur ces comptes, а ce moment-lа, de choses contraires а la loi". "Des comptes comme cela, il y en a des milliers, pour ne pas dire plus", concluait le locataire de la place Beauvau. Les effectifs de ce dispositif ont été depuis renforcés suite à l’assassinat de Samuel Paty.
Nathalie Cettina confirme une hausse des moyens alloués aux services de renseignements depuis le 13 novembre 2015. Les effectifs de la Direction Générale de la Sécurité Intérieure (DGSI) sont en effet passés de 3200 en 2014, à 4700 aujourd’hui et doivent atteindre le nombre de 5500 en 2024. La chercheuse souligne néanmoins, que "le risque zéro n’existe pas".
Dans les affaires liés au renseignement, les moyens ne font pas tout. C'est ce que souligne Nathalie Cettina. "Le tout technologique et le renseignement de masse ne sont pas la solution". "Il faut renforcer le travail de proximité, revenir à l’humain et au renseignement territorial, en perte de vitesse depuis le début des années 2010", précise la chercheuse.
Le ministère de l'Intérieur, lui, avance des chiffres sur son action. Depuis 2017, selon Beauvau, les services de renseignements ont déjoué 37 attentats islamistes, 6 de l'ultra-droite et un de l'ultra-gauche.
Les moyens alloués suffiront-ils à contrer la nouvelle menace ? Celle-ci se trouve sur le territoire national. Elle est constituée par ceux que le journaliste David Thomson a appelé "Les revenants". Ces djihadistes de retour sur le sol français, jugés et incarcérés au début des années 2010. Ils commencent à sortir de prison, mais il est encore difficile d’évaluer la probabilité de récidive(s) de ces anciens combattants. Leur libération préoccupe particulièrement les autorités.
L'ouverture du procès des attentats du 13 novembre 2015 et les vingt ans des attentats du 11 septembre pourraient donner des idées à de potentiels djihadistes. Ces deux événements constituent des moments de forte médiatisation des actes terroristes. Selon Nathalie Cettina, "le terrorisme n’existe que s’il est mis en lumière".
Anne Giudicelli, directrice de Terr(o)risc (agence spécialisée dans le terrorisme international) évoque un autre contexte. L'élection présidentielle française approche : "Elle peut constituer un appel d’air à d’éventuelles actions terroristes, puisque le but des attentats est également de déstabiliser un pays sur le plan politique, en ravivant les tensions qui existent en son sein", indique Anne Giudicelli.
Selon elle, le contexte politique constitue un risque supérieur à l'ouverture du procès des attentats du 13 novembre : "la campagne électorale et les débats sur la sécurité ou encore l’islam radical, vont entraîner des dissensions au sein de la société française. Cela rentre parfaitement dans l’agenda des réseaux terroristes qui veulent s’en prendre à la France", estime la directriste de Terr(o)risc.
Daesh compte sur les tensions présentes dans la société française. L'organisation terroriste voit en celles-ci, un terreau propice au détournement des musulmans, possiblement lassés d'être pointés du doigt par les politiques.
En 2015, déjà, David Thomson, journaliste et spécialiste des mouvements djihadistes, mettait en avant les messages de certains membres francophones de Daesh. Ceux-ci, en effet, ne cachaient pas leur joie, suite à la progression du parti d'extrême droite, le Front National (désormais Rassemblement National), aux élections régionales.
L'attentat contre la basilique Notre-Dame à Nice en octobre 2020, perpétré par un ressortissant tunisien qui venait d’arriver clandestinement en France, rappelle que la menace terroriste venant de l’extérieur n’a pas disparu.
Daesh a perdu son emprise territoriale en Syrie. L'État Islamique essaye, cependant de se reconstruire ailleurs. C'est ce qu'indique Nathalie Cettina : "les mouvements terroristes islamistes sont, certes, entrés dans une période de déclin, mais c’est justement dans ces moments qu'ils se reconstituent, reprennent de l’énergie afin d’agir", selon Nathalie Cettina.
Le Sahel, pourrait constituer le cadre du renouveau de ces réseaux terroristes. La France, y étant engagée militairement et ce, malgré l’annonce de la fin de l’opération Barkhane, par Emmanuel Macron, d’ici le début de l’année 2022.
(RE)voir : Au Sahel, "Macron a l'intention de défranciser la présence occidentale"
Le Sahel abrite d'autres groupes terroristes présents sur zone, comme le GSIM (Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans), affilié à Al-QaÏda. Des ressortissants français combattent, dans cette zone, aux côtés des autres djihadistes. Ils pourraient revenir et frapper l'hexagone.
Plusieurs groupes islamistes et djihadistes ont célébré le retour des talibans aux manettes de l’Afghanistan. Les services de renseignements français suivent donc de près la situation afghane. Ils redoutent un retour, au premier plan, d’Al-Qaïda et craignent une possible infiltration de terroristes parmi les flux de réfugiés. Pour autant, Anne Giudicelli, directrice de Terr(o)risc, estime qu’"il ne faut pas se limiter à un discours qui consisterait à parler de l’aspect migratoire que revêt la crise afghane".
Les services de renseignements distinguent les menaces exogènes des menaces endogènes. Mais selon la chercheuse "la distinction n’est pas pertinente", sur le plan politique. Cette spécialiste estime que "le contexte international est intimement lié au contexte national, en ce sens où les réseaux terroristes exploitent chaque brèche de la politique occidentale à l’étranger, à chaque fois qu'il est possible de faire un lien avec une situation sur plan national".
"L’arrivée des talibans à la tête du pays peut donc donner des velléités aux différents réseaux terroristes, sur notre sol, qui pourraient, à terme, avoir l’idée de lutter, contre leur propre régime", précise-t-elle. C'est pour cela que, selon elle, il faut en finir avec "les discours politiciens qui attisent les tensions, qui brisent l’unité et la cohésion nécessaires à l’endiguement d’une telle menace, tant ils sont contreproductifs".
Lire aussi : un Afghan rapatrié soupçonné de liens avec les talibans