Proche-Orient : "Il faut qu'on arrive à une solution à deux États"

Plus de 300 roquettes ont été tirées depuis la bande de Gaza sur Israël. Les Israéliens ont répliqué en bombardant Gaza. Plus de vingt Palestiniens ont trouvé la mort. Cette escalade a été déclenchée par les violences qui secouent Jérusalem-Est. Washington appelle à un apaisement des tensions. Mais comment sortir de cette crise ? Analyse de Jean-Paul Chagnollaud, professeur émérite des Universités et président de l'institut de recherche et études Méditerranée Moyen-Orient (iReMMO).
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gaza roquettes lancees vers israel
Roquettes lancées depuis la bande de Gaza vers Israël, le mardi 11 mai 2021
©AP Photo/Hatem Moussa
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TV5MONDE : Pourquoi cette escalade arrive-t-elle maintenant ?

Jean-Paul Chagnollaud :  C’est le genre de question à laquelle on ne peut pas vraiment répondre. Mon image serait un peu celle du volcan : il n’est pas éteint. Il y a des fondamentaux et un moment donné une conjoncture qui les fait ressortir.

Ces fondamentaux sont connus : nous sommes à Jérusalem, un territoire juridiquement occupé et reconnu par personne à part Donald Trump et puis vous avez des Palestiniens qui sont des résidents dans une situation de grande précarité juridique, politique et qui sont malgré tout majoritaires à Jérusalem-Est. Environ 300 000 Palestiniens et 200 000 colons israéliens vivent à Jérusalem-Est. Les colons israéliens veulent une réunification forcée et évidemment les Palestiniens ne veulent pas. Jérusalem-Est est une poudrière.
 

Ça s’est enflammé maintenant, ça s’est enflammé il y a 3 ans, ça s’est enflammé il y a 5 ans… Ça s’enflamme régulièrement et c’est toujours le même combustible : on veut imposer à des Palestiniens un destin qu’ils refusent.

Jean-Paul Chagnollaud, spécialiste du Proche-Orient

Les Israéliens prennent de plus en plus de terres à Jérusalem-Est et s’attaquent aussi aux maisons occupées par les Palestiniens. Il y a constamment une résistance des Palestiniens et donc une situation explosive. Ça s’est enflammé maintenant, ça s’est enflammé il y a 3 ans, ça s’est enflammé il y a 5 ans… Ça s’enflamme régulièrement et c’est toujours le même combustible : on veut imposer à 300 000 Palestiniens un destin qu’ils refusent.

TV5MONDE : Est-ce que la situation politique en Israël est favorable à ça ?

Jean-Paul Chagnollaud :  Bien sûr ! Un exemple très concret : certains des députés actuels, qui ont été élus, comme Smotrich ou Ben Gvir sont des gens qui se proclament d’un courant appelé le courant Kahaniste, développé par le rabbin Meir Kahane. Kahane était député dans les années 90. Lui et son parti Kach ont été interdits à la Knesset (parlement d’Israël). Aujourd’hui, des gens comme ça (les adhérents du mouvement Kahaniste) sont susceptibles de constituer un élément du gouvernement. Donc on a cette situation de « toujours plus à droite », « toujours plus de fermeté ». Cette idéologie, marginale à l’époque, il y a 30 ans, est aujourd’hui au cœur de tout ça.
 

Les Palestiniens de Jérusalem-Est se sentent totalement oubliés par l’Autorité palestinienne.

Jean-Paul Chagnollaud, spécialiste du Proche-Orient

On peut rajouter que les quatre années de Donald Trump ont facilité cette situation. Et du côté palestinien, les Palestiniens de Jérusalem-Est se sentent totalement oubliés par l’Autorité palestinienne qui est complètement « carbonisée ». Les Palestiniens qui se battent ne peuvent pas compter sur eux et ça fait le jeu du Hamas qui retrouve un espace pour s’affirmer en proclamant la nécessité de la résistance.

TV5MONDE : Comment on peut espérer sortir de cette crise ?

Jean-Paul Chagnollaud :  On ne va pas sortir de cette crise. Cette poussée de violence va très probablement continuer dans les prochains jours et puis il est possible qu’elle s’apaise un moment ou l’autre. Mais ça ne règlera rien. Je suis ce dossier depuis malheureusement longtemps. On est toujours dans cette espèce de phase où il y a un surgissement de violence, puis ça se calme pour plein de raisons et on revient à une forme de « normalité » qui n’en est pas une, et puis ça repartira dans quelques temps. C’est constant.

 

Il faut qu’on revienne à une négociation qui ne peut être imposée que par la communauté internationale pour qu’on arrive à une solution à deux États

Jean-Paul Chagnollaud, spécialiste du Proche-Orient


Il faut qu’on revienne à une négociation qui ne peut être imposée que par la communauté internationale pour qu’on arrive à une solution à deux États. Ça paraît totalement utopique aujourd’hui mais c’est la seule solution. Il faut séparer les Palestiniens des Israéliens et le seul moyen c’est un État Palestinien à côté de l’État d’Israël. On ne résoudra rien si on n’aborde pas les questions de fond et ça fait des décennies qu’on n’aborde pas les questions de fond.

Proche-Orient : Washington appelle Israéliens et Palestiniens à la "désescalade"

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Il y a eu des exceptions avec les Accords d’Oslo il y a presque 30 ans ; en 2008 Olmert (Premier ministre israélien) a tenté des négociations avec Abbas (président de l’Autorité palestinienne) qui auraient pu aboutir ; les tentatives d’Obama en 2013…

TV5MONDE : Est-ce qu’on peut espérer quelque chose du président américain Biden ?

Jean-Paul Chagnollaud :  Il  a d’emblée pris à contre-pied tout ce que faisait Trump. Trump piétinait le droit international et donnait tout à Israël, ce qui a donné du grain à moudre aux personnes de l’extrême droite qui se disaient que tout était possible. Y compris les racistes : quand on voit les centaines d’extrémistes israéliens dans les dernières manifestations qui scandaient « mort aux Arabes » il y a quelques jours, on se rend compte que pendant des années tout était possible.

Biden a une posture radicalement différente de Trump : il a déjà fait pression sur Israël, de manière très modérée ; il a poussé les Palestiniens à faire des élections, ce qu’ils ne vont pas faire. Pour autant, est-ce qu’il va aller dans une démarche, pourtant nécessaire, qui consiste à essayer de renouer des liens et relancer une négociation ? C’est plausible quand on voit tout ce qu’il a fait dans d’autres domaines.