Proche-Orient : "L’Afrique du Sud est le porte-drapeau de la lutte pro-palestinienne"

En Afrique, sociétés civiles et États se sont mobilisés pour dénoncer les offensives israéliennes dans la bande de Gaza. Pourtant, le continent, courtisé par Benjamin Netanyahou, voit de plus en plus de ses membres normaliser leurs relations avec Israël. Entretien avec Hasni Abidi, politologue et spécialiste du monde arabe à l’université de Genève.

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Afrique Palestine
Des sud-Africains protestent contre les attaques israéliennes contre les Palestiniens à Gaza, devant le parlement du Cap, en Afrique du Sud, mercredi 12 mai 2021.
AP Photo/Nardus Engelbrecht
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TV5Monde : Quels pays ont pu manifester leur soutien à la cause palestinienne ? 

Hasni Abidi : C’est difficile de faire un panorama, car les il y a des positions qui changent. Néanmoins, nous avons un pays comme l’Afrique du Sud, qui a un poids significatif en Afrique, qui est un soutien de la cause palestinienne. Nous avons aussi le Sénégal, pays à majorité musulmane, qui a des liens avec le monde arabe également, qui soutient la Palestine. Si l'on parle de sociétés civiles, nous avons vu les pays du Maghreb manifester pour apporter leur soutien aux Palestiniens. Pour autant, cela ne veut pas dire que les pays soutenant l’autorité palestinienne n’ont pas de lien avec Israël. On a donc des relations évolutives sur le continent, tributaires de l’offensive menée par Israël, mais qui ne peuvent échapper à l'établissement de lien de coopération avec les israéliens.

On a récemment observé une course à la normalisation des relations entres certains pays africains et Israël… 

Benjamin Netanyahou a lancé une grande opération de charme à destination des pays africains. Néanmoins, s'il a réussi le sommet de la Cédéao de 2016, il a échoué à l’occasion du sommet Afrique-Israël, qui devait se tenir, en 2017, au Togo. Celui-ci a été annulé, sous la pression de certains pays.
Le deuxième élément qui démontre la convoitise du continent africain, par Benjamin Netanyahou, est la demande officielle, de ce dernier, pour qu’Israël fasse partie de l’Union africaine, en qualité de membre observateur. Là encore, cette initiative a été rejetée, sous la pression de l’Algérie et l’Afrique du Sud, notamment. 
Cela n’a pas empêché Israël de nouer des liens diplomatiques avec certains pays hésitants, en utilisant notamment les arguments économiques, mais aussi la coopération militaire et sécuritaire. Israël a donc noué des liens privilégiés avec des pays influents du continent, tels que l’Egypte, ou encore, dernièrement, avec le Maroc. On pense d’ailleurs qu’avec son retour dans l’organisation de l’Union africaine, le Maroc peut jouer un rôle important quant à la normalisation des relations entre pays africains et Israël.
Un autre exemple significatif est celui du Soudan. C'est un des grands pays arabes et africains, pourtant historiquement contre tout rapprochement avec Israël, qui, aujourd'hui, normalise ses relations avec Israël. Le bilan est donc globalement beaucoup plus positif pour le gouvernement israélien que pour l’Autorité palestinienne, même si subsistent certains mouvements de libération ou courants, au sein des sociétés civiles africaines, qui résistent à cette influence. 

Le continent africain peut-il néanmoins user de son poids et de ses relations, pour faire infléchir l’État israélien, quant à ses offensives actuelles ? 

Si le continent africain est très courtisé par Israël, c’est parce que l’Afrique a, non seulement, un poids démographique important et exponentiel, mais également parce que, sur le plan géographique, le continent est la ceinture du monde arabe et constitue un point d’accès capital pour Israël. L'Afrique possède également des ressources qu'Israël ne peut pas négliger. Le continent africain peut donc avoir une influence, même si celle-ci semble être, tout de même, limitée, dans la mesure où même l’Union Européenne, n’a pas vraiment de pouvoir de faire infléchir la politique israélienne. Seuls les États-Unis semblent pouvoir réellement user de leur influence pour faire bouger les choses.

Existe-t-il une fracture entre la volonté diplomatique des gouvernants d’un côté et la volonté de la société civile, plutôt sensible au sort des palestiniens, de l’autre ? 

Le récit africain plaide en faveur du principe qui voudrait que dire non au sionisme, c’est dire non à l’apartheid et à la politique agressive d’Israël. Il ne faut pas négliger le passé des pays africains, qui ont subi la colonisation et la ségrégation raciale. Plusieurs États africains ont également obtenu leur indépendance après les années 1960 et ont été gouvernés par des personnes issues de mouvements de libération. L’Afrique du Sud, par exemple, a gardé une flamme révolutionnaire. Le soutien à la cause palestinienne, c’est donc aussi un soutien à un mouvement de libération qui ressemble à ceux de ces pays africains, avant le recouvrement de leur indépendance. Il y a donc, parfois, un décalage, entre le pragmatisme des États, qui veulent avoir des relations avec Israël, parfois sous la pression de ses alliés comme les États-Unis, et la société civile, qui rejette la politique coloniale menée à l'égard des Palestiniens. 

En Afrique du Sud, on a vu Mandla Mandela, petit fils de Nelson Mandela, scander "free free Palestine" ("Liberté pour la Palestine"). Y a-t-il une proximité toute particulière entre ce pays et la cause palestinienne ? 

Les sud-africains n’ont jamais oublié la citation de Mandela qui dit que l’Afrique ne sera jamais complètement libre, tant que la Palestine n’aura pas recouvré sa liberté. Évidemment, la rencontre historique de Nelson Mandela, après sa libération, avec Yasser Arafat, ancien chef de l’autorité palestinienne, est un élément important, qui a structuré les relations entre l'Afrique du Sud et autorité palestinienne... et in extenso, la lutte palestinienne.
L’ANC, parti de Nelson Mandela, a farouchement lutté contre l’apartheid et a bénéficié du soutien de plusieurs mouvements de libération, sensibles à la cause palestinienne, tels que le FLN en Algérie et donc, ce parti a baigné dans ce moule de lutte contre le colonialisme, contre toute forme d’injustice politique, économique et sociale. C’est pour cela que l’on peut dire que l’Afrique du Sud est le porte-drapeau de la lutte pro-palestinienne.

L’avantage de la cause palestinienne est qu’elle transcende les confessions et les appartenances ethniques.Hasni Abidi, politologue, spécialiste du monde arabe à l'universite de Genève.

Peut-on dire qu’au-delà des différentes configuration politiques, ethniques ou religieuses, ce qui rassemble ces sociétés civiles, sont les similitudes qui existent entre leur passé de victimes de la colonisation et la situation des Palestiniens, notamment à Gaza ? 

LE grand élément de convergence entre les Africains et la Palestine est, justement, le passé : la lutte contre la colonisation, contre l’apartheid, contre l’injustice et pour l’indépendance. Le cas palestinien est une photocopie conforme de leur lutte, puisqu’il s’agit d’un peuple qui se bat pour l’établissement d’un État et le recouvrement de ses droits civiques. Cette convergence est toujours présente et portée par plusieurs leader politiques ou certains partis, en Afrique, parfois soutenus par certains États arabo-musulmans. 

Observe-t-on des différences entre pays africains à majorité musulmane et les autres ? 

L’avantage de la cause palestinienne est qu’elle transcende les confessions et les appartenances ethniques. On l’observe en Afrique du Sud, mais aussi au Zimbabwe, des États où les musulmans ne sont pas majoritaires. Néanmoins, on voit que les pays africains à majorité musulmane ont, évidemment une proximité religieuse. Nous y voyons également certains mouvements, à référents religieux, qui poussent les gouvernements à résister à la tentation de normalisation des relations avec l’État d’Israël.