Proche Orient: pourquoi Washington n’arrive pas à peser sur les choix des gouvernements israéliens ?

Le secrétaire d’État américain Antony Blinken est en visite en Israël, dans un contexte de hausse des tensions entre Israéliens et Palestiniens. Il appelle à la désescalade. Les États-Unis ont-ils encore une influence sur les décisions politiques d’Israël ? Entretien avec Vincent Lemire, historien et directeur du Centre de recherche français à Jérusalem.

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Blinken Gallant
Le secrétaire d'État américain Antony Blinken serre la main du ministre de la Défense israélien Yoav Gallant le 31 janvier 2023 à Jérusalem. 
Ronaldo Schemidt/Pool Photo via AP
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Antony Blinken peut-il apaiser les tensions entre Israéliens et Palestiniens ? Historiquement, Israël est le principal allié des États-Unis au Moyen-Orient. Cependant, la tension entre Israël et la Palestine est en hausse et les morts se multiplient des deux côtés. Ces violences font craindre un nouvel engrenage et Antony Blinken, en déplacement en Israël, a réitéré l’appel américain à la retenue auprès du Premier ministre Israélien Benyamin Nétanyahou. Quel poids pèse la voix américaine dans la balance ?

Un partenariat militaire important

  • Depuis 1987, Israël reçoit une aide financière militaire de la part des États-Unis. 
  • En 2016, le président des États-Unis Barack Obama signe un accord consacrant 38 milliards de dollars d’aide militaire pour Israël sur la décennie 2017-2028. 
  • Ces fonds permettent aux Israéliens d’acquérir des armes américaines, notamment des avions de combats F35.

Vincent Lemire est historien et directeur du Centre de recherche français à Jérusalem. Selon lui, la visite de Blinken intervient pour "revenir à une certaine forme de rationalité diplomatique", où Israël se positionne en tant qu’allié américain dans la région. Il reconnaît cependant que le soutien américain à Israël "s’est totalement transformé."

TV5MONDE : Quels sont les enjeux de la visite de Blinken en Israël vis à vis de la relation entre les États-Unis et Israël ?

Vincent Lemire :

Tout d’abord, Blinken et Biden sont en train d’essayer de remettre la relation israélo-américaine à l’endroit. C’est-à-dire de rappeler que le leadership est américain et que l’allié,c’est Israël. Il s’agit de refermer la parenthèse un peu baroque Trump-Nétanyahou, où c’est quasiment Nétanyahou qui dictait la politique étrangère de Trump au proche orient. 

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Il s’agit de remettre les choses à leur place, de revenir à une certaine forme de rationalité diplomatique. La puissance c’est les États-Unis. C’est elle qui fournit les armes, c’est elle qui fournit les budgets et c’est chez elle que vivent  350 millions d’habitants.  L’allié local, 8 millions d’habitants, c’est Israël. Je pense que Blinken est vraiment le bon acteur au bon moment pour remettre calmement mais fermement Nétanyahou “à sa place”, d’une certaine manière. 

Israël est l’un des rares États sur la planète qui ne peut pas se payer le luxe d’une crise déstructurante vis-à-vis de la légitimité internationale. Vincent Lemire, historien

Il y a un autre sujet au niveau des États-Unis et de la communauté internationale. Je rappelle Israël est un des rares pays de la planète qui a été fondé par un vote de l’assemblée générale des Nations Unies. Tous les israéliens le savent. Cela fait qu’Israël est l’un des rares États sur la planète qui ne peut pas se payer le luxe d’une crise ouvertement assumée vis-à-vis de la légitimité internationale. Car ce serait une crise existentielle.

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La Russie, elle, le peut. Poutine peut commettre les pires horreurs, personne ne va contester le droit des Russes d’être russes en Russie. Il se trouve qu’Israël est un État dont la légitimité est récente et reliée à la légalité internationale. L’ambition de Blinken, c’est aussi de rappeler ce point nodal  et d’essayer de convaincre ses interlocuteurs israéliens qu’ils prennent un risque majeur, un risque existentiel, en s’essuyant les pieds sur la communauté internationale. 

TV5MONDE : Comment a évolué le soutien américain envers Israël ? 

Vincent Lemire : Il y a un fossé qui se creuse d’année en année, et qui est en train de se transformer en divorce, entre Israël et la communauté juive américaine. C’est le cas en particulier au sein du  parti Démocrate. On sait que la communauté juive américaine vote à 85% démocrate, et de plus en plus it. Quand on regarde les sondages générationnels, on se rend compte que plus on est jeune dans le parti Démocrate et moins on soutient Israël, et cela dans des proportions énormes. 

Cela signifie que non seulement le lien de la communauté juive américaine à Israël s’érode, mais que ce n’est que le  début du processus parce que ce sont surtout les anciens du parti Démocrate qui continuent de soutenir Israël, par fidélité. Alors que les nouveaux Démocrates, qui ont en ce moment le vent en poupe comme Alexandria Ocasio-Cortez, sont de plus en plus critiques. 

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Par conséquent,  le soutien américain à Israël s’est totalement transformé. Il est passé des Démocrates aux Républicains. Et pour faire court, il est passé de la communauté juive à la communauté chrétienne évangélique, qui soutient Israël comme la corde soutient le pendu. Car c’est une communauté dans laquelle sévissent d’authentiques antisémites et donc ce n’est pas exactement la même “qualité” de soutien que celle de l’intelligentsia démocrate des années 1970-1980. 

TV5MONDE : Historiquement, à l’instar de ce que Georges Bush a fait lors de la première intifada, pourquoi les administrations Républicaines ont plus de poids que les administrations Démocrates ? 

Vincent Lemire : On est complètement passé à une autre époque. Ce ne sont plus les mêmes Républicains, ce n’est plus  le même Israël. On a basculé et on sait aujourd’hui que l’administration républicaine n’avait plus aucune autonomie ni plus aucun recul vis-à -vis d’Israël pendant le mandat de Trump. On avait une relation diplomatique passionnelle et totalement absurde. Elle ressemblait à une pyramide à l’envers où c’était l’État allié qui dictait ses conditions, jusqu’à  mettre en risque l’administration américaine. 

On est dans une espèce de court-circuit, qui provient du décalage chronologique entre les deux administrations israéliennes et américaines.Vincent Lemire, historien

Les choses bougent tellement vite. Aujourd’hui ’il y a une administration démocrate, qui est rationnelle, classique. Au moment même où Israël bascule à l’extrême-droite — ce qui aurait très bien pu convenir à Trump II — c’est une administration démocrate qui arrive aux commandes aux États-Unis. On est donc dans une espèce de court-circuit, qui provient du décalage chronologique entre les deux administrations, c’est surtout ça que Blinken vient essayer de  “régler”, ou de réparer.  

De la première intifada aux accords d'Oslo

  • La première intifada a eu lieu entre 1987 et 1993.
  • L'intifada est le terme utilisé pour faire référence au soulèvement du peuple palestinien dans les territoires occupés par Israël. 
  • Lors de cette période, le président américain George Bush s'est montré très critique de l'usage de la force du côté israélien. 
  • Sous son administration, les États-Unis ont parrainé la conférence de Madrid, qui a ouvert la voie à la signature des accords d'Oslo. 
  • Ces accords, finalisés en 1993 sous la présidence de Bill Clinton, entraînent la création de l'autorité palestinienne et établissent le cadre d'un processus de paix. 
  • La seconde intifada débute en 2000 avec la visite d'Ariel Sharon, le chef de l'opposition israélienne sur l'esplanade des Mosquées. 
  • Elle durera jusqu'en 2005. 

Mais, comme au sein du parti Démocrate, l’aile gauche est de plus en plus critique vis-à-vis d’Israël et qu’elle a objectivement de plus en plus d’arguments pour l’être, ce n’est pas simple. C’est pour cette raison que les États-Unis essayent de revenir aux fondamentaux de la diplomatie, le  droit,la désescalade, des notions “vieille école”. 

Certains chercheurs affirment qu'on est en train de basculer dans la troisième intifada.Vincent Lemire, historien

TV5MONDE : Comment Blinken peut-il apaiser les tensions régionales ?Faut-il craindre une nouvelle intifada ? 

Vincent Lemire : Ce n’est pas pour cette raison qu’il est parti là-bas. Son séjour était calé bien avant cette explosion de violences. C’est un hasard de calendrier. Il avait prévu aller en Egypte et il atterrit au bon moment en Israël, mais c’était complètement prévu à son agenda. 

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Certains chercheurs affirment qu’on est en train de basculer dans la troisième intifada. Je ne suis pas loin de le penser. 2022, c’est 200 morts Palestiniens, ce qui représente le plus lourd bilan depuis la fin de la deuxième Intifada. En janvier 2023, on est à 38 morts, donc en 2023 on risque fort de dépasser le bilan de 2022. On est face à des formes de violences inédites, des deux côtés, en particulier du côté israélien,. Tout cela commence à ressembler à un soulèvement,du côté palestinien. Et “soulèvement”, en arabe, ça se dit “intifada”. Une intifada, de mon point de vue, ça ne se décrète pas, ce e n’est pas un mot tabou, ce n’est  pas un totem. C’est simplement un vocable qui veut dire “soulèvement” et qui permet de décrire une situation objective.