Le site Internet "Projet Arcadie" sort son rapport sur la transparence des élus au moment où débute le "Grand débat national". L'obligation des parlementaires de remplir leur déclaration d'intérêts est très peu respectée, alors que la défiance des Français envers leurs représentants politiques n'a jamais été aussi élevée. Analyse.
Tris Acatrinei a ouvert
son site et base de données "Projet Arcadie" en 2015. L'ancienne attachée parlementaire — diplômée en droit et passionnée par les technologies numériques — s'est lancée dans cette aventure avec un objectif : suivre pas-à-pas tous les détails et les activités concernant les parlementaires français afin de les référencer et les publier. Le slogan du site est d'ailleurs explicite : "
Pour enfin tout savoir sur les parlementaires français". Depuis peu, Projet Arcadie se revendique "organe de contrôle de la vie parlementaire", alors que c'est — normalement — le rôle dévolu à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique :
C'est ainsi que le rapport "Lutte contre la corruption des élus : le cas de la Haute Autorité pour la Transparence dans la vie Publique" vient de sortir sur Projet Arcadie. Une étude qui référence toutes les déclarations d'intérêts des parlementaires et démontre qu'à peine seules 10% de celles-ci sont complètes, soit 61 députés sur 577 en règle avec la loi.
La Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) a été créée en 2013 suite à l'affaire Cahuzac. Cette administration indépendante est en charge de surveiller et de contrôler les députés et sénateurs ainsi qu'une partie des hauts fonctionnaires et élus du territoire national. La HATVP s’intéresse aux conflits d’intérêts ainsi qu’au patrimoine des élus et collecte pour cela des déclarations de ces derniers. Si les déclarations de patrimoine des élus ne sont consultables qu'en préfecture, sans possibilité de photographie ou de copie, les déclarations d'intérêts sont elles publiques.
La HATVP peut transmettre au Parquet National Financier (PNF) les dossiers qui lui paraissent douteux. À ce jour, elle répertorie les fiches nominatives de 3918 responsables publics pour 6541 déclarations. Elle est composée de 45 agents. Pour l’année 2017, elle a transmis 19 dossiers à la justice. En décembre 2018, elle a indiqué avoir transmis le cas de 15 parlementaires au Parquet National Financier.
Transparence et manquements
Pour mieux comprendre ce qu'est et à quoi sert la déclaration d'intérêts que chaque parlementaire doit remplir pour être publiée sur le site de l'HATVP — qui peut ainsi les rendre publiques —, Projet Arcadie stipule les 8 sections qui doivent être remplies par le parlementaire :
- Son activité professionnelle et les revenus inhérents sur les cinq dernières années ;
- Ses activités éventuelles de consultant sur les cinq dernières années ;
- Sa participation financière dans des organisations privées ou publiques sur les cinq dernières années ;
- Sa participation — même bénévole — à des entités publiques ou privées ;
- La profession actuelle de son conjoint ;
- Ses mandats électifs en cours ;
- Ses collaborateurs parlementaires, actuellement en poste.
L'analyse des déclarations d'intérêts des parlementaires par Projet Arcadie s'est faite en deux temps : entre le 29 décembre 2017 et le 12 janvier 2018, puis entre le 3 et le 9 janvier 2019. Il en ressort que la quasi totalité des élus de l'Assemblée nationale n'avaient toujours pas mis à jour leur fiche de déclaration d'intérêts :
Les manquements à la transparence ne sont pas tous du même ordre et ne signifient pas qu'aucun renseignement n'est donné, mais dans la plupart des cas, les fiches incomplètes le sont sur "Les assistants parlementaires, les mandats exécutifs locaux — principalement celui de conseiller municipal — et les fonctions politiques", souligne le rapport.
Au delà de ces manquements, celui des revenus ou des participations à des sociétés ont été bien entendu pointés : en 2018, 48 députés n’avaient pas déclaré l’intégralité de leurs revenus et 40 avaient omis des sociétés. En 2019, 38 députés (-5 %) étaient encore concernés par des sociétés qu’ils n’avaient pas indiquées dans leurs déclarations d’intérêts et 47 par des rémunérations omises…
Que fait la HATVP ?
La question du contrôle de l'HATVP et de son pouvoir de sanction se pose à la lecture du rapport de Projet Arcadie qui se conclue d'ailleurs sur ce point : "Face à ces chiffres que l’on ne peut que qualifier de catastrophiques, pour l’image même des parlementaires, on ne peut que s’interroger sur l’effectivité des organes de contrôle. Pourtant, ces organes de contrôle existent. Le premier d’entre-deux : la HATVP."
Malgré tout, des dossiers de parlementaires ont été transmis par la HATVP au Parquet national financier, explique le quotidien Le Parisien : "Quinze parlementaires ou ex-parlementaires font l’objet d’enquêtes préliminaires pour possible usage illicite de leur IRFM, l’ancienne indemnité pour frais de mandat qui n’était pas contrôlée, pour des sommes de 20 000 à 80 000 euros", mais aucune sanction n'est appliquée aux députés quant aux manquements de leurs déclarations d'intérêts. Pourtant la loi est est très claire : un député "omettant de déclarer une partie substantielle de son patrimoine ou de ses intérêts" encourt une peine maximale de trois ans d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende. Mais comme le souligne Projet Arcadie dans sa synthèse du rapport, ces manquements peuvent en réalité perdurer sans limites, puisque : "À ce jour, la HATVP ne paraît pas avoir pris de mesures spécifiques concernant les lacunes ou les omissions dans les déclarations d’intérêts des députés."
Crise démocratique, grand débat et soupçons de corruption des élus
Alors que le Grand débat a débuté, censé
"apporter une réponse à la crise profonde et durable que traversent nos démocraties, la défiance à l’égard des politiques, la montée des populismes, réconcilier le pouvoir et le peuple, les élites et les citoyens" — selon les mots du politologue Olivier Duhamel —, les manquements des parlementaires à leur devoir de transparence est problématique. Tout comme l'incapacité de l'organisme censé les contrôler à prendre des mesures contre les élus réfractaires. La crise sociale et politique, débutée avec
le mouvement des Gilets jaunes est liée à la défiance croissante de la population française envers ses représentants soupçonnés de corruption par plus de deux tiers des sondés. Le directeur du Département opinion publique à l’
Ifop, Jérôme Fourquet, interrogé en préambule du rapport explique ce phénomène de défiance : "
77 % des Français disent que la France ne se donne pas réellement les moyens pour lutter efficacement contre la corruption des élus. Ce qui montre bien le climat d’extrême défiance qui règne aujourd’hui en France."
Le manque de moyens pour lutter contre la corruption ne sont pas les seuls motifs du "divorce" actuel de la population française avec ses élites politiques, mais aussi — et peut être surtout — une somme de reproches basés sur des inégalités entre cette même élite et les citoyens, comme le souligne toujours Jérôme Fourquet : "
La rémunération, les passe-droits des élus sont depuis souvent pointés du doigt par les citoyens, c’est aussi vieux que la République en fait, mais cela prend une dimension nouvelle dans une société française qui est à cran sur la question du pouvoir d’achat, qui se relève péniblement d’une longue crise économique et financière et qui, du coup, est peut-être encore plus sensible qu’avant à tout ce qui s’apparente à des formes de privilèges."
Les "formes de privilèges" dont bénéficient les élus pourraient être pointées — et discutées —, et la corruption combattue, si la loi sur la tranparence de la vie publique était suivie à la lettre. Ce qui n'est pas le cas et que souligne le site Projet Arcadie. La corruption réelle ou imaginaire des représentants politiques ne peut être combattue que par la transparence et toute forme d'opacité, même la plus légère ne peut qu'accroître une défiance populaire en plein essor : les 90% de parlementaires indélicats devraient vite se plier à la règle du jeu et finir de remplir leur déclaraction d'intérêt. Au risque, s'ils ne le font pas, de véritablement finir de convaincre la population que le "tous pourris" est la règle. En plein Grand débat national "de réconciliation", cela serait très dommage.