Projet Grand Inga en RDC : le revers de la médaille
L’électricité est un enjeu primordial en Afrique. Et dans l’immense bassin du Congo, la République démocratique du Congo a de grandes ambitions. Ce samedi 18 mai, Kinshasa a décidé de lancer la construction d’un troisième barrage, une étape supplémentaire vers la réalisation du projet Grand Inga. L’impact humain et environnemental sera minime, affirment les autorités, mais pour les environnementalistes, il est déjà trop lourd.
Les barrages hydro-électriques d'Inga sont un héritage de projets belges lancés à l'époque coloniale, et repris par le président Mobutu Sese Seko dans le cadre de sa politique de grands travaux. Construits avec une aide belge et internationale, Inga I a été mis en service en 1973 et Inga II en 1981. La pose de la première pierre d’Inga III est désormais prévue pour octobre 2015. Quant aux cinq autres barrages qui viendront compléter le projet Grand Inga, appelé à devenir la centrale électrique de tout le continent, du Caire au Cap, ils ne sont actuellement qu'au stade de projet.
Les enjeux de Grand Inga
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Le revers de la médaille
20.05.2013Par Liliane Charrier
A la veille d'un voyage d'étude sur le site d'Inga, Rudo Sanyanga, directrice des programmes Afrique d’International Rivers, brosse un tableau alarmant de la situation. Sur place, elle doit rencontrer les autorités et les représentants d'autres ONG. Nous la retrouverons à son retour, en juin, pour un bilan concret et actualisé. Des déplacés qui, eux, vivent sans électricité Les autorités ont beau assurer que l’impact humain de Grand Inga sera minime, les précédents démentent leurs affirmations. Car depuis un demi-siècle, la question reste en suspens : qui va indemniser les 600 familles déplacées pour la construction des barrages Inga I et II ? Les montants convenus par l’administration coloniale belge à la fin des années 1950 n’ont jamais été payés. "Les 600 familles déplacées qui, à l’origine, devaient être réinstallées, attendent encore, explique Rudo Sanyanga. Entre-temps, elles se sont soit assimilées aux villages alentours, soit entassées dans le camp provisoire improvisé sur le territoire de la concession d’Inga pour les ouvriers." Or jusqu’à l’année dernière, les quelque 9000 habitants du camp ne disposaient d’aucun autre accès à l’eau qu’une seule pompe. Ils n’avaient ni le droit ni les moyens d’améliorer ou développer leurs habitations, et vivaient sans… électricité. Par deux fois, la Société nationale d'électricité a tenté de les expulser. Et pourtant, en 2006, la Banque mondiale affirmait que "les populations déplacées lors de la construction de Inga I et II ont reçu les compensations nécessaires" et constatait "l’absence de séquelles sociales." Un potentiel sous-exploité A la construction, l’entretien des installations et des machines n’a pas été correctement anticipé et, au fil du temps, le bois et les sédiments ont bouché les canaux. Même si la Banque mondiale a beaucoup investi dans la réhabilitation des installations ces deux dernières années, Inga I et II ne fonctionnent qu’à 40 % de leurs capacités : ils ne parviennent même pas à couvrir la consommation d’électricité de la ville voisine de Matadi. Les perspectives restent sombres pour les Congolais, d'autant plus que le réseau de distribution d'électricité en RDC - l'aspect le moins rentable du système - reste le maillon faible du projet Grand Inga.
Sur le fleuve Congo
Les Congolais, laissés-pour-compte du projet "Minée par les problèmes de gestion, endettée, guettée par les fonds vautours, la SNEL [Société nationale d'électricité, ndlr] ne distribue le courant généré par Inga I et II qu'à 9 % de la population congolaise", souligne le journal Jeune Afrique. "La plus grande partie de la production est destinée à l’exportation, notamment en Afrique du Sud, ou aux sociétés minières du Katanga," ajoute Rudo Sanyanga. Et pourtant, c'est à la population congolaise qu'incombera le remboursement de la dette contractée par la RDC pour réaliser le projet. "Ce pays croule déjà sous les dettes. Il faudra un gouvernement très solide pour gérer le fardeau supplémentaire qui va peser sur les générations à venir," affirme Rudo Sanyanga. Un écosystème bouleversé Comme tous les grands barrages du monde controversés, Grand Inga aura sur l’environnement de lourdes conséquences, même s’il reste difficile de les chiffrer. La modification du cours du fleuve, le ralentissement du débit des eaux, l’accumulation des sédiments, la coupure des itinéraires des poissons migrants par des ouvrages infranchissables, la dégradation de la qualité des eaux dans les bassins, l’accumulation des déchets, la suppression des cultures dans les espaces submergés… Tout indique une diminution générale de la biodiversité, notamment la disparition de certaines espèces au profit d’autres mieux adaptées aux milieux eutrophiques. Ces bouleversements pourraient aussi favoriser la prolifération d’espèces nuisibles pour l’homme, dont des parasites pathogènes.