Propagande de Daech en ligne : "Il n'y a aujourd'hui plus aucune production de contenus"

Europol a annoncé ce 25 novembre 2019 avoir procédé à une vaste action en ligne pour supprimer des milliers de comptes de Daech sur les réseaux sociaux ainsi que des sites d'Amaq, "l'agence de presse" du groupe terroriste. Mais où en est la propagande du groupe Etat islamique en 2019 ? Entretien avec Margaux Chouraqui, journaliste et auteure de "La mythologie Daech".
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Photo d'Amaq
Photo d'une mosquée syrienne détruite par les bombardements de la coalition internationale, à Raqqa, publiée sur Internet le 10 juin 2017 par l'Agence de presse de Daech, Amaq. (Agence de presse Aamaq via AP)
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TV5MONDE : Où en est la propagande en ligne de Daech aujourd’hui ?
 
Margaux Chouraqui
Margaux Chouraqui est journaliste, diplômée de King’s College London et de Sciences Po Paris. Elle a participé pour l’Observatoire des radicalisations (FMSH) à une étude sur la propagande djihadiste francophone. Auteure de "La mythologie Daech".

Margaux Chouraqui : Aujourd'hui elle est quasi inexistante. Depuis fin 2017, avec la perte de Mossoul et de Raqqa, Daech a eu de plus en plus de mal à communiquer depuis la Syrie et l'Irak. Ils ne peuvent pas combattre, se faire bombarder — sachant que les centres médiatiques ont été les cibles de la coalition internationale —, produire du contenu et le diffuser. La progression ou la régression de la propagande de Daech a toujours été dépendante de la réalité du terrain. En 2014, cette propagande était très importante et appelait à l'émigration. A partir du moment où les services de sécurité ont commencé à arrêter les potentiels candidats au départ vers le djihad, fin 2015, puis en 2016, la propagande a évolué. Ce n'était plus "venez nous rejoindre", mais "commettez des attentats en Europe".

La fin de la communication de Daech, vers fin 2017, ce sont des vidéos de combattants sous une pluie de bombes de la coalition internationale, puis au fur-et-à-mesure qu'ils perdaient du terrain, il y avait de moins en moins de contenus, puis plus aucun. En 2018 il y a des communications qui ont été faites, jusqu'à la chute de Baghouz, mais la majorité de celles-ci n'étaient pas en vidéo. C'étaient des collages de photos, des tweets ou des communications audio. Il y a eu une vidéo d'Abou Bakr al-Baghdadi en avril dernier, mais à part ça, pas grand chose. Par rapport à ce qu'on a connu entre 2014 et 2017,  c'est sans commune mesure. Aujourd'hui, ce sont avant tout des communiqués diffusés par l'agence de presse Amaq, sur Twitter, Facebook ou Telegram, mais il n'y a plus de production de contenus en tant que tels.

Donc, en supprimant ces comptes de réseaux sociaux, Europol pourrait éteindre définitivement les dernières capacités de communication de Daech ? 

Ce serait trop simple. La difficulté avec les réseaux sociaux, c'est qu'on peut en permanence créer des comptes, et donc ça ne s'arrête jamais. Aujourd'hui, Europol communique en disant qu'ils ont mené une cyberattaque d'envergure qui permet de mettre un coup de frein à la communication de Daech, mais ce travail là est fait depuis plusieurs années par les services. On sait très bien que par le biais de la re-création des comptes divers et variés, la diffusion se fait toujours. 

Où en est Amaq, l'agence de presse de Daech ?

Il faut savoir que si Amaq a été considérée comme une agence de presse, c'est parce qu'elle a été créée à l'origine par un journaliste syrien opposé au régime de Bachar El-Assad, qui documentait les exactions du pouvoir. Cet opposant syrien a ensuite rejoint Daech. Amaq est alors devenue l'organe de presse de l'organisation terroriste. Mais la crédibilité d'Amaq vient du fait que cette agence a fait un travail journalistique très sérieux au départ.

Amaq communiquait sur des choses vraies. Ils pouvaient potentiellement grossir les chiffres, mais les faits étaient là, ce qui a permis à l'organisation de bâtir une crédibilité dans sa manière de communiquer. D'ailleurs les revendications de Daech pour ses attentats étaient gérées par Amaq et la hiérarchie était à chaque fois impliquée.

Au fur et à mesure que Daech a été en difficulté sur le terrain, le groupe terroriste s'est mis a revendiquer de manière plus opportuniste, ce qui a permis alors de vérifier qu'Amaq ne disait pas toujours la vérité. Mais il faut bien comprendre que si la communication de Daech a été aussi puissante, c'est qu'elle s'est bâtie sur des faits réels. Aujourd'hui, Amaq ne fait plus que des communiqués, à chaque attentat.

Il reste en revanche un corpus de contenus qui a été produit et diffusé, et surtout qui continue d'être diffusé. Ce degré de sophistication de la propagande de Daech, en terme de qualité, de quantité, par Amaq, n'a jamais été égalé. Il y avait des journaux en langue française, anglaise, arabe, turque, russe, entre autres, de 30 à 60 pages pour chaque numéro ! Aujourd'hui, on peut imaginer que Daech est plutôt dans une stratégie de cellules dormantes, avec des membres qui communiquent de manière chiffrée. Hormis par l'infiltration, il n' y a pas grand chose à faire contre ça…