Fil d'Ariane
C’est la deuxième fois qu’Emmanuel Macron effectue une visite d’État aux États-Unis. Il espère profiter de cet “honneur” pour hausser le ton face au protectionnisme américain. De l’autre côté, les Américains feront tout pour éviter que la moindre friction ou déclaration un peu fraîche ne vienne ternir la première visite d’État organisée par Joe Biden.
Si le protectionnisme est une nouvelle fois source de tension entre les États-Unis et l’Union Européenne (UE), c’est en raison de la mise en place de l’“Inflation Reduction Act”. Voté au cours de l’été aux États-Unis, ce décret vise à réduire les émissions de gaz à effets de serre, avec une enveloppe de 370 milliards de dollars pour construire des éoliennes, panneaux solaires et véhicules électriques.
L’“Inflation Reduction Act” prévoit notamment un crédit d’impôt, jusqu’à 7 500 dollars, réservé à l’acquisition d’un véhicule électrique sortant d’une usine nord-américaine avec une batterie fabriquée localement. De ce fait, les automobiles produites dans l’Union Européenne (UE) sont exclues de ce décret. “Je pense que ce n’est pas conforme aux règles de l’Organisation mondiale du commerce et que ce n’est pas conforme à l’amitié.” Le 8 novembre 2022, le président français Emmanuel Macron dénonce cette exclusion.
Le sujet inquiète d’autant plus que la récession menace de s’abattre sur le continent européen dès l’hiver 2022 en raison des conséquences économiques de la guerre en Ukraine. Par ailleurs, les firmes européennes sont déjà pénalisées par la flambée des prix de l’énergie, qui les frappe bien plus durement que leurs concurrentes américaines.
Lors d’une visite à Berlin au mois d’octobre, le ministre de l’Économie français Bruno Le Maire évoquait un risque de “guerre commerciale”, tout en appelant à l’éviter. De son côté, le chancelier allemand Olaf Scholz parlait du risque d’une “énorme guerre tarifaire.”
“Le montant des subventions que l’administration Biden propose est de quatre à dix fois le montant maximal autorisé par la Commission européenne”, fustige Bruno Le Maire dans une interview à plusieurs journaux européens. Il estime également que “dix milliards d’investissements et des milliers d’emplois industriels sont en jeu.”
Ce n’est pas la première fois que l’hypothèse d’une guerre commerciale entre l’UE et les États-Unis fait surface. Au cours des dernières années, ils ont eu plusieurs différends à régler. Le 15 juin 2021, des responsables européens et américains confirment un accord pour résoudre le conflit sur les subventions illégales accordées aux avionneurs Airbus et Boeing.
“Cet accord ouvre un nouveau chapitre dans notre relation car nous passons d’un contentieux à une coopération sur l’aéronautique, après 17 ans de dispute”, s’était réjoui la présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen. Ce conflit a fait l’objet de plusieurs plaintes auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) depuis 2004. En octobre 2019, les États-Unis ont été autorisés à imposer des taxes sur près de 7,5 milliards de dollars de biens et services européens importés chaque année. Un an plus tard l’OMC autorise l’UE à imposer des droits de douanes sur quatre milliards de dollars d’exportations américaines.
Aussi, en mai 2018, le président américain Donald Trump impose des droits de douanes sur les importations européennes d’acier et d’aluminium. L’UE réplique en taxant plusieurs produits américains, comme les motos, les jeans ou le tabac. Ce n’est que le 30 octobre 2021 que les États-Unis et l’UE signent un accord pour lever ces droits de douanes supplémentaires. Par ailleurs, la fiscalité du numérique mais aussi la relation avec la Chine font l’objet de désaccords commerciaux entre l’UE et les États-Unis.
Qu’en est-il à présent de l’“Inflation Reduction Act” ? “Les irritants historiques sont à peine apaisés que Washington adopte des mesures très offensives”, estime Elvire Fabry, experte en géopolitique du commerce auprès de l’institut européen Jacques Delors. Cependant, elle considère que ce plan est davantage “un agenda domestique de protection des intérêts américains” qu’une “guerre tarifaire déclarée”, comme sous la présidence de Donald Trump.
Face à ce plan d’investissement, la Première ministre française assure que “nous ne resterons pas les bras croisés''. “Nous sommes tout à fait prêts à avoir cette conversation et à trouver un moyen d’aborder ces inquiétudes”, renchérit de son côté John Kirby, porte-parole du pentagone.
Afin d’éviter un nouveau scénario de guerre commerciale, Emmanuel Macron va tenter de négocier avec Joe Biden à propos de l’application de l’“Inflation Reduction Act.” Si le président français espère obtenir des “exemptions” pour quelques industries européennes, il sait qu’il est improbable que son homologue américain revienne sur l’architecture de ce plan crucial pour son bilan. L’idée est donc plutôt d’en tirer les leçons pour aller défendre une politique semblable auprès des Européens.