Fil d'Ariane
Apparue en Europe vers 2008, la pyrale du buis l'a colonisée de façon spectaculaire en quelques années. Un lépidoptère originaire d'Asie aux apparences d'inoffensif papillon, en réalité ravageur. Il détruit irrémédiablement les buis d'ornement des parcs autant que ceux des sous-bois ou des collines. Rien à ce jour n'est en mesure de vraiment l'arrêter.
Sous la forme larvaire, la pyrale est un petit animal au corps vert et à la tête noire, pourvu de dix petites pattes, de deux à quatre centimètres, sans danger pour l’homme ni effet urticant à son contact. Doté d’un solide appétit, elle se nourrit exclusivement de feuille de buis.
Devenue grande, elle se transforme en nymphe (« chrysalide »), qui donne jour à son tour au papillon (on dit aussi « imago »). Quatre centimètres d’envergure, des ailes blanches bordées de brun, rien de repoussant, à l’unité.
Lorsque il rencontre l’âme sœur, évènement qui survient vite dans sa brève existence, l'imago s’accouple. Passons. De cette union naissent trois à quatre cents enfants voraces, et c’est là que les choses se gâtent. D’autant que le cycle est rapide : jusqu’à trois ou quatre générations par an. Une multiplication annuelle supérieure à mille.
Résultat final : la dévastation d’une grande part du buis européen. Celui des sous-bois comme celui des jardins, des parcs à la française aux labyrinthes et sculptures végétales. Et cela en une décennie.
Grâce au commerce mondialisé et au relâchement du contrôle sanitaire et douanier sur la circulation des végétaux. Comme souvent dans ce genre d’histoire, personne n’a prêté attention aux premiers intrus.
Selon les scientifiques qui ont reconstitué son parcours, la pyrale – jusqu’alors inconnue en Europe - est arrivée de Chine au milieu de la décennie 2000. Mode de voyage très probable : l’importation par bateaux de ces buis vendus dans les jardineries occidentales pour 9,90 € le pot.
Sa population vite galopante est repérée en 2007 en Suisse. En 2008, elle s’est installée en Alsace et dans l’Ouest de l’Allemagne. Elle envahit la Belgique, les Pays-Bas, l’Angleterre, l’Autriche… 32 pays en dix ans.
Elle dévaste les ornements de quelques uns des parcs et jardins les plus prestigieux de France, de Vaux-le-Vicomte à Villandry.
Au cours des cinq dernières années, elle a conquis les buxaies (bois naturels marqués par la présence du buis) de la majeure partie de l'hexagone, du bassin parisien au Midi en passant par l’Auvergne, l’Aquitaine ou la Savoie. Et ruiné.
Aussi destructrice qu’un nuage de criquets, la pyrale laisse derrière elle un buis totalement dévasté. Faute de feuilles, la photosynthèse ne s’opère plus. La plante meurt.
La pyrale, elle, s’est déjà déplacée. Elle part pondre un peu plus loin, sous les feuilles d’une autre buis. Sous un cocon protecteur, les larves résistent très bien au froid et attendront éventuellement le printemps pour dévorer les feuilles où elles ont hiverné.
Non. La nuisance de la pyrale ne réside pas seulement dans la gloutonnerie de sa progéniture. Attirée par la lumière, la pyrale imago (papillon) envahit les zones d’habitations, particulièrement durant les nuits d’été.
Elle pénètre dans les maisons par milliers si des fenêtres en sont laissées ouvertes. Il devient aventureux de dîner en plein air ou d’avoir une activité extérieure de soirée lorsqu’elle est présente. Ses essaims sont suffisamment denses pour causer des dangers à la circulation.
Pas vraiment dans nos régions, tant elle s’y est multiplié rapidement. En Asie, la pyrale existe depuis longtemps sans poser de problème particulier car elle y a rencontré ses prédateurs naturels. Ce n’est pas le cas en Europe, en tout cas pas encore.
Certains oiseaux, comme la mésange, s’attaquent bien à ce type de larves, ainsi que la chauve-souris. Mais les pyrales sont à la fois trop nombreuses et trop récentes pour ces seuls amateurs.
Autre ennemi potentiel : le trichogramme. Une micro-guêpe qui détruit les œufs de la pyrale en les parasitant. Les larves du trichogramme se développent dans les œufs de l’hôte à la place de celui-ci.
Une piste dont Jérôme Rousselet, chargé de recherches dans l’unité Zoologie forestière de l’INRA (Institut national français de recherche agronomique), souligne toutefois les limites : le buis attire peu d’insectes car il est chargé d’alcaloïdes. Ceux-ci se retrouvent dans les œufs, ce que n’aiment pas les trichogrammes. Il ne faut donc pas trop compter sur eux.
C’est chacun pour soi. Dans le désarroi général de nombreuses formules de lutte fleurissent sur Internet, manuelles, mécaniques ou chimiques, du passage de l’aspirateur dans les buis à des méthodes plus élaborées voire scientifiques. Si elles permettent des sauvetages ponctuels, aucune ne permet d'éliminer radicalement le parasite.
Outre l’utilisation des trichogrammes, dont on voit les limites et qui demeure expérimentale, beaucoup de propriétaires ou exploitants ont recours aux insecticides. Ils présentent, naturellement l’inconvénient lié à la pollution chimique et ses effets collatéraux.
Traitement biologique, le Bacillus thuringiensis (bacille de Thuringe, BTK) se veut plus écologique, sélectif, c’est-à-dire agissant spécifiquement sur la pyrale dont il détruit assez cruellement le tube digestif.
Des doutes subsistent cependant sur son innocuité sur d’autres lépidoptères. Il est cher, n’agit que là où il est appliqué et doit l’être à des périodes très précises. « Cela marche bien, mais c'est un travail de Titan », avertit Jérome Rousselet. Et inapplicable à de vaste surfaces : « Autant c'est une solution dans une zone urbanisée, autant pour une buxaie ce n'est pas une solution », confirme le scientifique.
Également commercialisés : les pièges à phéromone attirent et éliminent les papillons mâles avant reproduction. Ils doivent être employés en complément du BTK. Inopérant sur de vastes surfaces.
L'INRA travaille actuellement sur un traitement à injecter dans le tronc du buis. Une sorte de vaccin, non encore homologué mais dont l'expérimentation est avancée. Il protège l'arbre pendant quatre ans. Coût unitaire : une soixantaine d'euros.
Cela ne peut donc s'appliquer qu'à des usages ponctuels pour des buis « patrimoniaux », c'est à dire ceux d'ornement ou de parcs revêtant une valeur particulière.
Dans la pratique, jardiniers et paysagistes n'ont souvent pas attendu pour se tourner vers une autre option : l'abandon du buis pour des espèces de substitution offrant des possibilités esthétiques et de sculptures voisines.
Quant au buis sauvage, celui qui colorait sans qu'on le remarque nombre de paysages d'Europe, il est à court terme en grave danger, avec toutes les conséquences secondaires sur l'écosystème non encore parfaitement mesurées. La guerre du buis n'a sans doute pas dit son dernier mot mais la pyrale d'Asie en a largement gagné la première phase et occupe solidement le terrain conquis.
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(1) D’après le roman de Daphne du Maurier (Les Oiseaux et autres nouvelles, 1952). [retour]