Face à des critiques convergentes qui vont jusqu'à remettre en question l'organisation au Qatar de la coupe du monde 2022, Doha assure que les droits seront respectés sur les chantiers du Mondial. A la lecture du tableau accablant de la situation sociale et juridique des travailleurs migrants - ouvriers mais aussi employés de maison - dans ce pays dressé cette semaine par Amnesty international, il est permis d'en douter ... voire de s'en inquiéter si les "droits" promis doivent demeurer ceux aujourd'hui pratiqués dans l'émirat.
Côté cour
Cela n'a pas traîné. Vingt-quatre heure après la publication du rapport d'Amnesty International dénonçant une exploitation "alarmante" des travailleurs immigrés dans ce pays, le Qatar répond en assurant que les droits des ouvriers seront respectés sur les chantiers du Mondial-2022. Pour les sceptiques, le comité d'organisation promet de publier à la fin de l'année des "normes de protection des travailleurs" qui établiront des directives claire allant "du recrutement au rapatriement". Quant à la FIFA, habituellement peu connue pour ses préoccupations sociales, elle jure dans un communiqué "croire fermement" en l'impact positif du Mondial-2022 pour "une amélioration des droits du travail et des conditions des travailleurs immigrés". Tout est donc arrangé et seuls des esprits chagrins décèleraient dans cette communication subite l'ombre d'un malaise.
Le rapport d'Amnesty international n'est certes pas le premier à épingler l'émirat préféré de l'Occident et le sort de son personnel importé. Il y a moins de deux mois, le quotidien britannique "The Guardian" publiait une enquête révélant que 44 travailleurs népalais étaient morts sur les chantiers qataris au cours des semaines précédentes et que des milliers d’autres subissaient des conditions de travail inhumaines. Documenté et émanant d'une organisation juridique internationale renommée, de surface respectable et habituellement pondérée, l'étude accablante d'Amnesty n'en est pas moins – en dépit du cynisme qui prévaut en la matière - embarrassante pour beaucoup (pouvoir qatari mais aussi FIFA, investisseurs ou opérateurs du Mondial et bien des chancelleries de pays amis dont la France) à l'heure ou l'attribution de la coupe du monde 2022 au Qatar fait l'objet de questionnements et critiques croisées.
“Travail forcé“
Rappelant que le 1,3 million de travailleurs étrangers de l'émirat (chiffre appelé à croître avec le développement des chantiers de la coupe du monde) forment 94 % de sa population active, le rapport souligne diplomatiquement la nécessité, dans ce contexte, de « veiller à la robustesse et à l'efficacité des lois » pour en protéger les droits humains. Or, déplore t-il moins diplomatiquement, « nous sommes loin du compte ». « Il est simplement inexcusable que tant de travailleurs immigrés soient impitoyablement exploités et privés de leur salaire dans l'un des pays les plus riches du monde », précisait dimanche le secrétaire général d'Amnesty lors de sa présentation … à Doha.
D'une façon générale, le rapport détaille les abus dont sont victime au Qatar les migrants, abus qui « peuvent être assimilés à du travail forcé ou à la traite d’êtres humains ». Pointées en premier lieu : les différences entre les promesses lors du recrutement et la réalité du travail et des conditions de vie. Amnesty décrit « des travailleurs qui étaient loin de manger à leur faim et qui vivaient dans des conditions repoussantes, sans électricité ni eau potable ni sanitaires » tandis que leurs employeurs retardent ou suspendent le versement de leurs salaires.
“Parrain“
Particulièrement critiquée, la « loi sur le parrainage » - déjà pointée l'an dernier par un comité de l'ONU - à laquelle sont assujettis tous les travailleurs migrants. Selon ses dispositions, ceux-ci se trouvent de facto attachés à un parrain-employeur unique, particulier ou entreprise, qui le tient à sa merci. Intermédiaire de l'administration, ce dernier peut à son gré empêcher l'employé de changer de travail ou de quitter le pays et annuler son permis de séjour. Censés rendre les passeports à leur titulaires une fois délivrées les autorisations officielles, la plupart ne le font pas et les migrants vivent sous la menace constante d'une arrestation. « Certaines personnes sont jetées en prison faute de pièce d'identité, d'autres sont renvoyées. C'est pour cela que nous ne sortons pas », témoigne l'un d'eux. Ceux qui fuient pour échapper aux abus s'exposent à des peines de prison, de lourdes amendes ou l'expulsion. Les employeurs sont d'ailleurs tenus de les dénoncer.
Pour parachever le dispositif – pas très loin de l'esclavage – le migrant ne peut quitter le pays sans un « permis de sortie » de son parrain. Ce dernier peut donc, selon son humeur, empêcher un migrant de rentrer chez lui en vacances ou même au terme de son contrat, la loi permettant des prolongations désirées par l'employeur pour toute sortes de prétextes. Son pouvoir sur le visa de sortie dissuade de tout recours. S'il est convaincu de travail illégal (sans permis de séjour par exemple) c'est in fine le travailleur qui devra payer l'amende s'il veut avoir une chance de pouvoir rentrer chez lui.
“Animaux“
La loi interdit aux travailleurs migrants d'adhérer à un syndicat. Si elle leur apporte, depuis 2004, quelques protections juridiques (temps de travail, congés...) celles-ci ne s'appliquent pas à tous, observe Amnesty. Les recours, en outre, sont d'un coût dissuasif, les simples frais de justice représentant près d'un mois de salaire avec des procédures très longues durant lesquelles le plaignant n'est bien sûr pas payé.
Avec la coupe du monde, le secteur du bâtiment qatari – qui pourrait drainer dans les dix ans 160 milliards d'euros - emploie aujourd'hui un demi-million de travailleurs, exposés à un travail dangereux et à des conditions de vie souvent déplorables : logements surpeuplés, insalubrité et absence de climatisation sous des températures élevées. « Les effets néfastes de la loi sur le parrainage obligent un grand nombre d'ouvriers du bâtiment à subir des conditions d'exploitation extrême », conclut Amnesty qui cite le mot d'un directeur d'entreprise qualifiant ses employés d'« animaux ».
Bonnes à tout faire
Plus discret à l'heure des grands travaux du Mondial, le sort des employé(e)s de maison n'est pas beaucoup plus enviable que celui des ouvriers du bâtiment : environ 130 000 personnes en majorité des femmes. Outre le sort commun des migrants, celles-ci – pour des salaires très bas - se trouvent de facto exclues de toutes les lois du travail vaguement protectrices.
Souvent privées de repos, elles sont aussi communément victimes de violence ou de traitements dégradants, voire de viols pour lesquels elles ne peuvent guère espérer obtenir justice. Beaucoup ne sont pas autorisées à sortir de la maison où elles travaillent. Certaines sont enfermées à clé lorsque les maîtres sortent et ceux-ci contrôlent tous les aspects de leur vie. Les quitter est une « fugue » pénalement réprimée. « Quand je voulais partir, [ma patronne] m'a dit : « si tu veux partir de chez moi je te tue » ». A d'autres occasion « si tu veux partir, je te ferai travailler dix mois sans salaire ».
Déjà conscientes des répercussions problématiques de la situation en terme d'image internationale, les autorités qataries déclaraient en 2010 vouloir clarifier les droits et les devoirs des employés de maison. C'en est resté là.
Mondial-2022 : le rêve brisé des immigrants népalais dans le Golfe
17.10.2013AFP
Deux cercueils provenant notamment du Qatar arrivent en moyenne chaque jour à l'aéroport de Katmandou: ainsi sont rapatriés les corps d'ouvriers népalais qui ont tenté leur chance dans cet Eldorado économique, en pleine préparation pour le Mondial-2022. Lorsque Dol Bahadur Khadka a trouvé en début d'année un poste de travailleur immigré dans l'émirat, sa femme Durga Devi Khadka, 44 ans, espérait que cette famille de sept personnes échapperait enfin à la misère.
Mais il est tombé de l'immeuble sur lequel il travaillait, laissant derrière lui une dette de 1.200 dollars, le montant du prêt qu'il avait souscrit pour partir.
"Nous avons tout perdu. C'était notre unique espoir d'un monde meilleur", raconte à l'AFP Durga Devi, qui vit dans le village de Pala, à 230 km à l'ouest de la capitale népalaise.
En quelques mois, il avait réussi à renvoyer 13.000 roupies (1.300 dollars). Ses employeurs ont versé 700.000 roupies (7.000 dollars) de dédommagement pour sa mort, somme qui selon la veuve a servi à couvrir les frais d'enterrement.
"Il est parti pour soutenir sa famille mais maintenant nous travaillons comme journaliers dans des fermes", raconte-t-elle.
Environ un million de Népalais travaillent ainsi en Asie du Sud-est et dans le Golfe persique pour échapper à un marché intérieur du travail dévasté.
'Je ne retournerai jamais au Qatar'
Le quotidien The Guardian a révélé en septembre que 44 ouvriers népalais étaient morts sur les chantiers du Qatar entre début juin et début août, dénonçant une forme "d'esclavagisme des temps modernes".
Les autorités qataries, qui ont mandaté un cabinet d'avocats international pour enquêter, ont jugé le chiffre exagéré.
De son côté, la Fédération internationale de football (Fifa), gênée par les controverses suscitées par l'attribution du Mondial-2022 au Qatar, a récemment exprimé sa "sympathie" pour les morts mais souligné que le Qatar avait promis de prendre des mesures.
Des déclarations d'intention qui n'émeuvent guère Purna Bahadur Budhathoki, revenu du Qatar il y a quelques semaines. "Je ne retournerai jamais au Qatar", jure-t-il.
Journées de 12 heures, températures très élevées, manque d'eau: il affirme avoir souffert le martyr.
Comme quelque 300.000 travailleurs du Népal, pays où le taux de chômage avoisine les 50%, Budhathoki a lui aussi été attiré par le Qatar, qui investit des milliards de dollars à travers le monde, et a besoin d'une abondante main d'oeuvre pour construire stades et infrastructures en vue du Mondial.
Comme beaucoup de ses compatriotes, ce père de quatre enfants a réuni 1.200 dollars pour payer une agence népalaise et devenir conducteur de bulldozer.
Passeport confisqué
Mais quelques jours à peine après avoir commencé un chantier, on lui confisque son passeport et lui refuse un permis de travail. Lorsqu'il se plaint, son chef menace de le faire battre. "Il m'a ordonné de me taire et de travailler. J'ai eu peur et je n'avais d'autre choix que de continuer", raconte-t-il.
Lui et ses collègues travaillent du lever du jour jusqu'au coucher du soleil, souvent sans casque et sans gants. On les force à se cacher quand la police fait des inspections.
Les nuits, Budhathoki les partage avec 7 autres compatriotes dans une chambre de moins de 8m2. L'immeuble "avait des fissures partout, on avait l'impression qu'il pouvait s'écrouler à tout moment".
Désespéré, il alerte finalement son ambassade et réussit à rentrer chez lui après cinq mois de calvaire.
Selon une enquête d'Amnesty International, les ouvriers peuvent passer des semaines sans être payés.
L'auteur de cette enquête, Rameshwar Nepal, met en cause le système selon lequel les ouvriers doivent demander l'autorisation de quitter une entreprise et permet aux employeurs de confisquer leurs passeports.
"Cela ressemble à du travail forcé parce que les employés ne peuvent passer d'une compagnie à une autre offrant de meilleures conditions sans demander l'autorisation" à leur employeur qui détient leur passeport, souligne-t-il.
"Dans un camp à Doha, nous avons trouvé des travailleurs qui vivaient sans nourriture depuis une semaine", explique-t-il. "La plupart était des Népalais qui vivaient entassés dans des lits superposés. Il n'y avait pas d'électricité et la chaleur était insupportable".