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Qatar : passer du boycott à la côte ?

Un an après avoir été soumis par ses voisins à un sévère boycott, l’émirat gazier s’en sort plutôt à son avantage. Reçu ce vendredi 6 juillet 2018 par Emmanuel Macron, l’émir Tamim Al-Thani, francophone et francophile, plaidera sa cause auprès d’un président « ami » qui entretient, au demeurant, d’excellents rapports tant avec le Saoudien Mohamed Ben Salman que l’émirien, Mohamed Ben Zayed. Retour sur une crise fratricide qui n’a pas encore dit son dernier mot…
 
5 juin. Une date fatidique pour les Arabes, jour de deuil, de douleur et de colère. Il commémore, depuis l’été 1967, la « naksa », le « revers » cinglant des armées arabes face à Israël, sorti alors grand vainqueur de la guerre dite des Six-Jours. Trois pays « frères », Egypte, Syrie et Jordanie, en sont ressortis abattus et amputés de pans entiers de leur territoire. La bande de Gaza, la Cisjordanie et, surtout, Jérusalem-Est, passant du même coup sous la coupe de l’Etat juif. Depuis lors, 5 juin rime avec drame palestinien

Qatar, Émirats arabes-unis, une rivalité de prestige

Jusqu’au 5 juin 2017. Ce jour-là trois autres pays « frères », les Emirats arabes-unis, Bahreïn, l’Arabie saoudite aussitôt rejoins par l’Egypte, lancent un véritable « blitz » politico-diplomatique contre le Qatar. Ils lui imposent, sans crier gare et sans appel, un blocus immédiat, maritime, terrestre et aérien. Le petit et richissime émirat gazier se retrouve soudain pris en tenaille, sur terre, sur mer et jusqu’au ciel, ce qui a par effet de clouer au sol des dizaines d’avions, d’annuler autant de vols, de laisser sur le carreau des milliers de voyageurs… Pis, Doha est sommé tout à trac, entre autres oukases, et de rompre avec l’Iran et de démanteler la base militaire turque qu’il abrite et même de fermer la controversée et non moins influente chaîne El-Djazira, propriété de l’émir, voix et outil diplomatico-politique de l’Etat du Qatar…

Un an plus tard, le Qatar commémore l’an un de sa « victoire » contre le blocus, à coups de brochures, de colloques et de voyages, invitant quiconque, journaliste ou expert, à venir la constater de visu, sur le terrain. En effet, hormis l’obligation pour Qatar Airways d’opérer un long détour au-dessus de l’Iran pour quitter ou regagner Doha, rien n’indique plus que le pays vit sous embargo de la part de ses voisins immédiats. Hier incontournables, les produits frais saoudiens, surtout les laitages et les médicaments, ont disparu des étalages, où abondent maintenant en lieu et place, yaourts algériens, fromages turcs ou bulgares, grenades indiennes et jusqu’aux eaux minérales importées d’Islande, du Monténégro et même des… îles Fidji.

Loin de rompre avec la Turquie et l’Iran, cet ennemi absolu devant l’Eternel, le Qatar a resserré encore plus les liens avec ces deux « frères » d’où proviennent désormais et à foison fruits et légumes frais. Mieux, l’émirat, fort de ses richesses, table plus que jamais sur l’autosuffisance alimentaire ; important, à cette fin, par milliers des vaches laitières, multipliant les cultures sous serres, au point d’ouvrir des comptoirs spéciaux dans les supermarchés sous le label « produits nationaux », où s’accumulent concombres, tomates, haricots verts, poivrons… Implanté en plein désert, un mini-empire laitier nommé Baladna –« Notre pays  produit déjà jusqu’à 10 000 litres d’or blanc par heure », clame un dépliant officiel.
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Qatar, Arabie saoudite, une crise de leadership

Un an après le blocus, le Qatar en vient presque à s’en féliciter. D’avoir surmonté, avec un succès inespéré, l’épreuve de l’isolement qui raffermi dans sa volonté de se passer de tout échange avec son voisinage immédiat. Après avoir aménagé le port Hamad, il ne dépend plus de celui de Dubaï, causant un rude manque à gagner à ce dernier. Y affluent, notamment, les matériaux de construction pour parachever tous les édifices et ouvrages du Mondial 2022 dont les grues saturent le ciel de Doha. Il n’empêche, le Qatar, qui se dresse sur le plus grand champ gazier du monde, n'en continue pas moins de fournir aux Emirats, chaque jour, pas moins de 56 millions de m3, soit le tiers de leurs besoins quotidiens. C’est, là, le quasi unique échange maintenu entre les frères ennemis. En revanche, Qatar Airways, qui a dû tirer un trait sur 18 dessertes, accuse le coup financier, soit une perte de sèche de 500 millions de dollars. Un revers qui se traduit aussi par une baisse drastique d’afflux de touristes locaux.
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En un mot, ce conflit arabo-arabe aura fait passer à la trappe le jusqu’ici sacro-saint conflit israélo-arabe. Ce 5 juin 2018, il n’aura ainsi été question que de la « crise » du Golfe, tous partis-pris confondus, Israël étant entretemps devenu un quasi allié contre l’ennemi du jour, l’Iran. Sans tarder, le Qatar choisit de marquer cet anniversaire en assignant les Emirats arabes-unis devant la Cour internationale de justice (CIJ). Laquelle convoque, au cours du même mois, les deux protagonistes afin que chacun puisse y plaider sa cause. D’emblée et fort habilement, Doha a joué la carte de la « violation » des droits humains. Et de citer les expulsions arbitraires de Qatariens établis en toute légalité chez les voisins, la séparation forcée des familles mixtes, confiscation de leurs biens… A l’appui de ses doléances, l’émirat fournit les rapports d’Amnesty International, d’Human Rights Watch, ainsi que des dossiers « ad hoc » constitués par le Comité national des droits de l’homme, un organisme officiel.

Un « bilan » que les Emirats récusent strictement, à l’unisson du Bahreïn, de l’Arabie saoudite et de l’Egypte, qui évoquent, eux, non point un « blocus » mais une réaction de « légitime défense », face à un Qatar selon eux aussi « déloyal » que « subversif ». Ils accusent pêle-mêle leur voisin d’offrir gîte, couvert et argent à la « secte » des Frères musulmans, une organisation « terroriste » mise totalement hors-la-loi tant à Abou Dhabi qu’à Manama, au Caire ou à Riyad, tous voyant en elle la cause unique de tous les malheurs du monde arabe. Doha serait non seulement coupable de l’abriter mais aussi de lui offrir la redoutable tribune d’El-Djazira pour diffuser son message « mortifère », du Golfe à l’Atlantique…Les accusations réciproques pleuvent. Une implacable guerre des ondes y fait feu de tout bois, chacun dénonçant en l’autre, à grands renforts de « révélations » sensationnalistes ou de dossier « exclusifs », un « sponsor de la terreur », un « faux frère », bref, un « vrai ennemi ». Extravagant conflit, cependant. Hormis les Egyptiens, les protagonistes du Golfe sont tous des cousins de par leur affiliation tribale et « frères dans la foi » islamique, y compris dans sa version wahhabite. Qui plus est, ils ont pour autre commun dénominateur d’être des pays richissimes, tant enviés et quasiment les seuls pays arabes vivant à l’écart et à l’abri des feux guerriers qui ravagent leurs voisins immédiats, Irak, Syrie, Yémen…

La crise du Golfe, contrecoup du «  printemps arabe »?

Serait-ce, à ce propos, un retour de bâton, une version tragique du syndrome de l’arroseur arrosé ? Ces pays si prospères et paisibles n’ont-ils pas joué avec le feu en sponsorisant plus d’un parti, groupe ou milices, y compris djihadistes, de Bagdad à Tripoli en passant par Damas et Benghazi ? Un feu que les vents des révoltes qui couvent ne pourront qu’attiser et répandre aux quatre horizons. Un an après le début de la crise, nul ne semble savoir de quoi demain sera fait. Pour l’heure, chacun fourbit ses armes, y compris médiatiques. Réunis, tout est relatif, au sein d’un Conseil de coopération du Golfe (CCG), mis sur pied début 1981, à l’instigation de Washington, afin de mieux faire front commun contre la toute jeune République islamique d’Iran, les six Etats auront uniment achoppé sur leurs projets les plus populaires, à savoir un passeport unique, une seule monnaie, une armée commune, une diplomatie parlant d’une seule et même voix.

Depuis un an, le Conseil a éclaté, le sultanat d’Oman et le Koweït ayant refusé de s’associer à la mise à l'index du Qatar, créant du coup une brèche inespérée pour l’Iran, désormais bel et bien introduit dans la place. Idem pour la Turquie, protecteur notoire des Frères musulmans, qui en profite pour y consolider son assise militaire. Richissime et sous-peuplé, archaïque et futuriste, paisible et surarmé, le Golfe accumule les records, de confort et de pollution, de travailleurs immigrés –jusqu’à huit habitant sur dix au Qatar !- et de bases militaires étrangères –VIème flotte de l’Us Navy au Bahreïn, état-major, le second après celui de la Floride, de l’Us Army au Qatar, ce à quoi il faut ajouter une installation turque, et un relais de la Marine française à Abou Dhabi-, le tout sur fond de conflit dévastateur au Yémen tout proche…