25 étudiants syriens sont arrivés à Paris dans le but d'étudier et d'échapper à la guerre qui sévit dans leur pays. Dans le cadre d'une convention entre l'Université de Créteil, l'ONG France Terre d'asile et l'association Démocratie et entraide en Syrie, ils seront logés et inscrits à la faculté, en plus de recevoir une aide financière. Une nouvelle vie les attend.
Aéroport Roissy Charles de Gaulle. Le Vol Air France en provenance de Beyrouth vient tout juste d’atterrir. Dans le hall des arrivées, l’équipe de « Démocratie et entraide en Syrie » ne tient plus en place. « Dans l'avion, il y a des étudiants qui arrivent de Syrie et ça, c'est très émouvant pour nous. Ils n'avaient jamais imaginé avoir la possibilité de sortir… » confie Khadija Fadhel, l’une des membres de cette petite association franco-syrienne. « Alors il y a beaucoup d'impatience de leur part et forcément de la nôtre aussi. » Même fébrilité chez Nizar Touleimat. A la dernière minute, il fabrique un petit panneau avec le nom de l’association en arabe pour accueillir les nouveaux venus : « A priori, comme on a vu les passeports de tout le monde, on les a à peu près en tête mais bon on ne sait jamais... », explique-t-il en riant. Les portes s’ouvrent. Et finalement, pas besoin de panneau... Ils reconnaissent leurs étudiants sans problèmes. Il y a Maya, silhouette fine, longs cheveux roux, lunettes de soleil. Bilal, jean-baskets, queue de cheval et barbe bien taillé, ou encore Moulham, chemise-panthalon, cheveux poivre et sel, un sourire incrédule aux lèvres... Ils sont entre 22 et 28 ans. Ils arrivent de Dubaï, du Caire mais surtout du Liban, plus proche, plus accessible pour les Syriens. « Cela a été très difficile de venir de la Syrie jusqu’au Liban, à cause, vous savez, de la police, des militaires », raconte Bilal qui a quitté Damas il y a un mois. « Sur place, tu te sens pris au piège comme dans une cage. Tu ne peux rien dire, rien faire. (…) Quand je suis parti, c’était assez calme curieusement. A l’intérieur de Damas, ça va encore, mais autour… Autour, c’est terrible. » Même constat pour Maya qui vivait encore à Alep il y a trois semaines. Son quotidien ? Les coupures de communications, les pannes d’électricité et la peur vissée au ventre. « La situation est dure pour nous tous. Il a fallu des heures pour arriver au Liban mais c’est bon, on l’a fait ! et je pense que cela vaut la peine. »
La jeune fille vient de retrouver son frère qui vit aux Pays-Bas depuis un an et demi. Rires, embrassades, larmes de joie. Mais le bonheur des retrouvailles se dispute à l’angoisse pour tous ceux restés en Syrie. « Ma mère et mon petit frère sont toujours là-bas », confie-t-elle. « Je me sens à la fois triste et heureux. Triste car j’ai tout laissé derrière moi et heureux car c’est une renaissance, un grand commencement pour construire mon avenir », ajoute Bilal. Tous sont conscients de leur chance, celle d’avoir échappé à l’horreur quotidienne, entre bombardements et raids, pénuries et privations. « Je ne rêvais même pas de Paris. La France, cela paraît inaccessible pour les Syriens. Alors quand j’ai entendu parler de cette opportunité, j’ai pensé que Dieu avait enfin baissé les yeux vers moi, qu’il m’avait enfin vu », raconte Moulham, originaire de Damas. Selon l’association, l’information sur la possibilité de bourse, d’une prise en charge en France, s’est répandue par le bouche à oreille en Syrie. « Il y a eu des surprises incroyables : par exemple, on a eu des candidatures de jeunes qui nous ont dit avoir trouvé un tract en Syrie. On a jamais envoyé de tract en Syrie ! On n’a même jamais pu diffusé d'annonce. Mais les candidatures sont arrivées de partout… », se souvient-elle.
Il a fallu un an et demi de travail pour concrétiser le projet et ramener ces étudiants syriens en France. Avant 2011, la France accueillait chaque année 400 jeunes syriens pris en charge par l’Education nationale française, auxquels venaient s’ajouter des centaines d’étudiants boursiers de l’Etat syrien. Un flot qui s’est interrompu dès la rupture des relations diplomatiques entre Paris et Damas : la coopération universitaire entre les deux pays a pris fin ; ceux qui étaient déjà en France ont pu poursuivre leurs études, mais plus aucun étudiant n’était pris en charge par l’Etat français… « Au départ, c’était juste une idée. Deux membres de l’association, Louise et Khadija, qui se sont dit ‘et si… ?’ », souligne Nizar. « Pendant un an, on n’y croyait pas puis tout s’est mis en place ». L’accord de l’Université Paris-Est Créteil, les aides du Conseil général du Val de Marne, l’acceptation de l’Etat français. Et c’est l’université qui a sélectionné le profil des étudiants, en donnant la priorité aux jeunes filles. Maya, Moulham, Bilal, et les autres sont les premiers étudiants syriens pris en charge en France depuis le début du conflit, il y a trois ans. Pendant un an, ils vont suivre un apprentissage intensif du Français avant de reprendre leurs études. Probablement un masters d’économie pour Moulham. Connecté dès son arrivée sur Facebook, le jeune homme se réjouit désormais de retrouver un ami réfugié installé à Anthony, dans la banlieue parisienne. « Avant le conflit, je vivais à Damas et lui à Tartous. Avec les coupures de routes et les barrages, on n’a jamais réussi à se revoir en Syrie. Maintenant on va se voir en France ! », sourit-il, face au surréalisme de la situation. « En Syrie, tout a changé. (…) Avant, je sortais avec mes amis, j’allais à l'université. Maintenant, il y a ni université, ni sorties. »
« La fac est fermée, la circulation est difficile. Tu ne peux pas du tout étudier à cause du bruit (ndlr : bombardements), à cause de tout. Tu ne te sens pas en sécurité pour faire quoi que ce soit ? T’es tout le temps inquiet pour toi-même, à te dire ‘mais si je vais là-bas qu’est-ce qu’il va m’arriver ?’ », renchérit Bilal. « Tu n’as pas du tout la tête, l’esprit aux études, tu penses à autre chose. » Inquiets pour leurs familles et habitués à surveiller leur parole, ils restent tous prudents : ils n’expriment pas d’opinions politiques tranchées et ne prennent pas parti pour un camp ou un autre. Mais après trois ans de conflit sanglant, ils n’ont pas beaucoup d’espoir pour l’avenir de leur pays. « Bien sûr, je rêve de voir la Syrie redevenir comme avant, d’être le plus beau pays du monde, mais j’ai bien peur que ce ne soit pas pour demain, peut-être quand on sera vieux, nos enfants, nos petits-enfants le verront », regrette Moulham. Bilal, quant à lui, cache mal sa mélancolie et son ressentiment, celui de voir son pays malmené comme un vulgaire pion sur l’échiquier mondial. « C’est dur de voir ton pays sombrer. Tout le monde fait sa propre guerre en Syrie. »
Reportage du 64' sur l'arrivée des étudiants syriens à Paris
Interview de Jean-François Dubost, Responsable du programme personnes déracinées chez Amnesty
Comment s’effectue la répartition des réfugiés syriens dans le monde ? D’un côté, on a des pays qui sont complètement surchargés comme la Turquie, la Jordanie, le Liban, où l’on est sur des augmentations de population nationale de 9%, voire plus dans certains cas ! De l’autre côté, on a l’Union européenne qui n’est pas si éloignée que cela de la Syrie, et toute la question est de savoir dans quelle mesure l’Union européenne va décider enfin de prendre sa part, mais réellement, pour soulager les pays voisins de la Syrie. Souvent on nous répond ‘vu le nombre de réfugiés dans ces pays-là, on ne peut pas imaginer réinstaller ou accueillir en Europe des millions de réfugiés syriens…’, mais l’aide des réfugiés passe aussi par la protection des plus vulnérables d’entre eux. Or l’ONU estime que cette protection ne peut pas être offerte par des pays de premier accueil qui sont débordés. Que préconise l’organe onusien, le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) ? Le HCR a lancé un appel à l’installation d’ici fin 2014 de 30.000 réfugiés syriens. Une demande qui n’a pas été seulement faite à l’UE mais aussi aux Etats-Unis, au Canada, et à l’Australie qui sont des pays traditionnels d’accueil. Selon les chiffres, pour le moment environ 18.000 personnes seraient prises en charge, dont 15.000 à 16.000 par l’UE. Mais l’Allemagne à elle seule va accepter 10.000 réfugiés ! Le reste se répartit à coup de 500 personnes comme en France, 50 dans certains pays ou même 30 je crois en Espagne ou au Royaume-Uni. De plus, souvent ces chiffres qui sont annoncés sont des engagements, encore faut-il les tenir... La question est de savoir si l’UE va-t-elle rester timorée et accueillir seulement quelques dizaines de personnes alors qu’elle est en capacité d’accepter plus de réfugiés. D’autant plus que le HCR a annoncé que d’ici 2016, ce serait 100.000 réfugiés vulnérables syriens qu’il faudrait réinstaller dans le monde. Pour nous, il faut vraiment un saut qualitatif qui soit fait au niveau de l’UE, une réelle coordination et une décision politique pour répondre à la demande du HCR. Qui sont des réfugiés considérés comme vulnérables par le HCR ? Ce sont des personnes qui ont soit subi la torture ou les mauvais traitements avec un problème d’intégrité physique, ou qui sont psychologiquement choqués, souffrent de traumatismes dûs au conflit. Il y a aussi des femmes seules, isolées ou avec enfants, qui peuvent subir des viols, ou être contraintes à mariages forcées ou précoces. Il y a également enfants seuls, des personnes frappées de maladies ou d’handicaps. Ces réfugiés accueillis dans les camps n’y sont pas forcément à l’abri de persécutions en fonction de leur identité, de leur opinion politique, de leur appartenance à une minorité ethnique ou religieuse ou de leur orientation sexuelle. Il faut rappeler que c’est une obligation de solidarité internationale de les accueillir. Au total, combien de réfugiés syriens la France a-t-elle accueillis depuis le début du conflit? En 2011, il y a eu à peine une centaine de demandes d’asile déposées par des ressortissants syriens en France et ce chiffre est passé à 1.300 demandes en 2013. Parmi ces demandes, 95% des sont acceptées par l’OFPRA, 97% par la Cour d’asile, donc il s’agit d’un statut quasi automatique. Les 3% ou 5% de demandes rejetées concernent des personnes qui se disent de nationalité syrienne mais qui ne le sont pas en réalité. A ces chiffres, s’ajoutent l’octroi de visa de court et long séjour, qui sont accordés mais pas toujours renouvelés, ainsi que la promesse d’accueillir des réfugiés vulnérables originaires de la Syrie. Qu’en est-il justement de l’accueil de ces réfugiés vulnérables en France ? La France a annoncé en octobre qu’elle accueillerait 500 réfugiés pour répondre à l’appel du HCR. Aujourd’hui on doit en être à 50 environ. On nous dit que c’est déjà rapide pour la mise en place d’une opération comme ça, mais il faut absolument aller plus vite, compte tenu de la situation des personnes concernées. Quant au chiffre de 500, il parle un peu de lui-même. Lorsque l’annonce a été faite, on a quand même été satisfait de l’annonce, pas du chiffre, mais de l’annonce, car la France refusait depuis deux ans de réinstaller des Syriens, estimant qu’elle avait des capacités d’accueil saturés. Mais la France joue un rôle important dans les tentatives de résolution du conflit. On a l’impression que parce qu’elle est engagée diplomatiquement, alors elle ne va pas s’engager en termes d’accueil concret et efficace.
Quelques chiffres :
Nombre de réfugiés syriens au Moyen-Orient: 2,4 millions
dont : Liban 932 000 Turquie 613 000 Jordanie 574 000 Iraq 223 000 Égypte 134 000