Depuis un mois le Pérou s'enfonce dans la crise politique. Les manifestations continuent, surtout dans le sud du pays. 17 personnes ont été tuées ce 10 janvier à Juliaca portant à 39 le nombre de morts au cours des affrontements avec les forces de l'ordre. Le gouvernement a décrété le couvre-feu dans la région de Puno, épicentre des manifestations.
De nombreuses régions andines sont vent debout contre la présidente Dina Boluarte qui a pris la tête du pays après la destitution de Pedro Castillo visé par une enquête pour
"rébellion" et
"conspiration". Tout a commencé le 7 décembre 2022 quand le président Castillo, membre du parti d'inspiration marxiste Peru libre, dissoud le Parlement qui voulait débattre pour la 3ème fois d'une procédure de destitution à son encontre.
Un président sans majorité
Pedro Castillo a été élu avec seulement 19 % des voix au premier tour, le 11 avril 2021, parmi dix-sept autres candidats, puis avec seulement 50 000 voix d’avance sur Keiko Fujimori, fille de l’ancien président, au second, le 6 juin.
Celui qui se présente comme un paysan, plaide alors en faveur d'une reprise du contrôle par l'État des richesses énergétiques et minérales du pays, telles le gaz, le lithium, le cuivre et l'or. Il souhaite aussi une nouvelle Constitution, accusant l'actuelle de trop favoriser l'économie de marché.
(RE) voir : Au Pérou, Pedro Castillo, un instituteur de gauche, élu à la tête du pays
Après son élection, il promet un million d'emplois en un an, des investissements publics pour réactiver l'économie par le biais de projets d'infrastructures et de marchés publics auprès des petites entreprises. Il entend freiner les importations qui, selon lui,
"affectent l'industrie nationale et la paysannerie".
Pedro Castillo doit faire face pendant les dix-sept mois de son mandat à 4 demandes de destitution de la part du Parlement. Cinq gouvernements et quatre-vingts ministres se succèdent. Et, alors qu’il se présentait comme le candidat de la rupture, six enquêtes pour corruption sont ouvertes contre lui.
Un président corrompu ?
En décembre 2021 il est accusé de trafic d'influence dans l'attribution de travaux routiers en Amazonie.
En février 2022, la justice perquisitionne le secrétariat de la Présidence. Le président est visité par une enquête sur le processus d'acquisition de Biodiesel - à la charge de Petroperu - en faveur de la société Heaven Petroleum opérator (HPO). On l'accuse de prise illégale d'intérêts.
Il est soupçonné d'être
"intervenu de manière inappropriée et indirecte" dans un appel d'offres public pour la construction d'un pont routier sur le fleuve Huallaga, situé dans la région de San Martin, dans le nord du pays et d'avor fait pression pour promouvoir des officiers militaires sympathisants de son gouvernement.
Toujours en février 2022, pour tenter de remédier à sa popularité en berne, il avait, selon les médias locaux, rencontré un
"coach" en leadership et en développement personnel, Saul Alanya. Ce dernier a confirmé à la radio RPP avoir rencontré Pedro Castillo, mais a soigneusement évité de divulguer les conseils qu'il aurait formulés.
En mars 2022, l'opposition accuse le président Castillo d'être intervenu dans une affaire de corruption présumée opérée par son entourage et d'avoir commis une
"trahison" en se déclarant ouvert à un référendum sur un débouché sur l'océan Pacifique pour le voisin bolivien enclavé.
(RE)voir : Pérou : la belle-sœur du président Castillo accusée de corruption
Très vite, l'ancien instituteur est accusé de corruption. En juillet, il est accusé d'obtruction pour avoir limogé une équipe spéciale de la police chargée de retrouver deux membres de son entourage en fuite.
Alors qu'il devait se rendre au Vatican et à Bruxelles début octobre, le parlement lui interdit de sortir du pays. En août, il avait été empêché de se rendre à la prise de fonction du président colombien Gustavo Petro à Bogota.
Démission du ministre des Affaires étrangères
À peine un mois aprè sa nomination, en septembre, le ministre des Affaires étrangères Miguel Angel Rodriguez démissionne. Les raisons de cette démission n'ont pas été explicitées mais la presse évoque des désaccords entre le ministre et le président de gauche sur des questions touchant à des traités sur l'environnement.
Le 6 novembre 2022, des milliers de personnes défilent à Lima réclamant la démission du président Castillo. D'autres manifestations, organisées par des partis politiques et des organisations civiles, ont eu lieu dans les villes de Piura et Chiclayo (nord) ainsi qu'à Cusco et Arquipa (sud).
La médiation de l'OEA
Des membres d'un groupe de haut niveau de l'Organisation des États américains (OEA)débarquent le 21 novembre au Pérou pour évaluer la crise politique.
La mission de l'OEA est composée des ministres des Affaires étrangères de l'Argentine, de l'Équateur, du Guatemala, du Paraguay, du Costa Rica, et du Bélize ainsi que de la vice-ministre colombienne des Affaires multilatérales. La mission recommande
"une trêve politique" avant un
"dialogue formel" visant à trouver une solution à la lutte entre l'exécutif et le législatif péruviens.
Desitution le 7 décembre
Finalement, le Parlement réussi à obtenir la destitution du président. Comme le veut la Constitution, c'est la vice-présidente, Dina Boluarte, qui prend la tête du pays. Elle dénonce avec d'autres personalités
"un coup d'État". Mais l'armée reste en dehors.
Le Parlement vote la destitution du président Castillo qui est arrêté et accusé de
"rébellion" et
"conspiration".
(RE)lire : Pérou : pourquoi le président Castillo a-t-il été destitué et arrêté ?La justice lui inflige sept jours de détention provisoire pour l'empêcher de quitter le pays. Selon le procureur, Alicedes Diaz, il encourt dix ans de prison. Le président demande l'asile au Mexique.
C'est à ce moment que des manifestations de soutien à l'ex-président se déclenchent à Lima et dans plusieurs villes des Andes, largement favorables à cet ancien instituteur en milieu rural.
Le 10 décembre, Dina Boluarte désigne son nouveau gouvernement.
Un pays coupé en deux
Les manifestations continuent dans le Sud du Pérou etsont réprimés par les forces de l'ordre avec violence. À Andhuaylas (dans le sud) deux morts sont déplorés le 11 décembre.
Dans la nuit du 11 au 12, Dina Boluarte décrète l'état d'urgence dans ces provinces du sud. Cinq aéroports - Andahuaylas, Arequipa, Puno, Cuzco et Ayacucho - sont fermés. Le 12 décembre, de nouveaux barrages bloquent les routes et les activités de l'aéroport d'Arequipa, deuxième ville du pays, sont interrompues.
Le transport par voie ferrée entre Cuzco et la célèbre citadelle inca du Machu Picchu est suspendu à partir du 13. Au moins 5.000 touristes sont bloqués à Cuzco et plusieurs centaines sur le site même, ils seront évacués à partir du 17.
(RE)voir : Pérou : les touristes bloqués par les manifestations
Le 14 décembre la présidente Boluarte propose d'avancer encore les élections, à décembre 2023. L'état d'urgence est décrété pour 30 jours dans tout le pays, ce qui rend légale l'intervention de l'armée.
Le maintien en détention de Pedro Castillo est prolongé le lendemain pour 18 mois.
Le soutien des pays d'Amérique latine
Cependant les gouvernements de gauche du Mexique, d'Argentine, de la Colombie et de Bolivie apportent leur soutien à Pedro Castillo. De leur côté, les États-Unis saluent le Pérou pour avoir garanti la
"stabilité démocratique" et s'engagent à travailler avec la nouvelle présidente.
Le Parlement accepte le 20 décembre d'avancer les élections à avril 2024. Il est prévu que Dina Boluarte cède sa place en juillet 2024 au vainqueur de l'élection présidentielle. Dina Boluarte remanie le gouvernement le 21.
Les manifestations reprennent à Cuzco en soutien au président déchu d'origine indienne. Les manifestants réclament la dissolution du Congrès et la démission de la nouvelle présidente, Dina Boluarte, qu'ils considèrent comme une
"traîtresse".
Apurimac, ville andine, promet de se battre jusqu'à l'insurrection. Une centaine de personnes du village indigène de Quishuara ont parcouru 80 km en camion pour bloquer brièvement et pacifiquement la route entre Abancay et Andahuaylas, deux villes de l'Apurimac (Andes Sud-est), épicentre des troubles au Pérou qui ont fait 21 morts et ébranle le pays.
"La Constitution autorise la désobéissance civile et l'insurrection à un gouvernement illégal", déclare Juan Ochicua, paysan péruvien de 53 ans pendant que ses compagnons scandent
"Que veut le peuple? La dissolution du Parlement!".
"On ne respecte pas les Indiens au Pérou. On est maltraités économiquement. Marginalisés politiquement", ajoute-t-il.
La revanche des Indigènes
C'est le Pérou profond et pauvre, celui qui a élu Pedro Castillo qui représentait une sorte de revanche de la province indigène sur la capitale Lima et ses élites. Les manifestants estiment que le président a été trahi.
"On lui a tendu un piège. On l'a trompé pour qu'il déclare l'auto-coup", estime Maximo Chirinos, enseignant à Abancay, ville de 100.000 habitants à flanc de montagne et capitale administrative de l'Apurimac qui est aussi la région natale de la nouvelle présidente Dina Boluarte.
Au moins 39 morts en un mois
Après une pause lors des fêtes de fin d'année, les manifestations reprennent le 5 janvier 2023.
Au moins 17 personnes meurent le 9 janvier à Juliaca (sud) lors d'affrontements avec les forces de l'ordre, alors que les manifestants tentent d'envahir l'aéroport. Cela porte à au moins 39 le nombre de tués depuis le début de la crise.
La répression est violente. Les victimes présentent des blessures par balles selon un responsable de l'hôpital de Juliaca.
Cette région de Puno est l'épicentre des protestations dans le pays. Une grève illimitée y a lieu depuis le 4 janvier. Il s'agit également du point de départ d'une marche organisée par plusieurs collectifs de citoyens et de paysans, dont l'arrivée dans la capitale Lima est prévue aux environs du 12 janvier.