Quand le FMI avoue s'être trompé sur les effets de l'austérité

Le FMI ne jure que par les politiques d'austérité depuis le début de la crise financière. Pourtant, il y a quelques mois, en octobre 2012, un rapport de l'organisation mondiale indiquait une erreur de calcul dans les effets supposés des politiques d'austérité. Une simple erreur mathématique aurait donc plongé la zone euro dans la récession ? 
Image
Quand le FMI avoue s'être trompé sur les effets de l'austérité
Olivier Blanchard, chef économiste au FMI et auteur du rapport avouant “l'erreur“ sur les effets de l'austérité
Partager11 minutes de lecture
Une grande majorité d'économistes explique depuis le début de la crise que l'austérité budgétaire imposée par la troïka (BCE, Commission européenne et FMI) ne peut que plonger l'économie européenne dans un cycle infernal : vouloir uniquement désendetter les finances publiques empêche la relance économique, accentue le chômage, produit une chute du PIB (Produit Intérieur Brut, valeur annuelle de la production de richesses, NDLR) et de la croissance (la croissance économique est le taux de variation du PIB, NDLR), implique donc moins de rentrées fiscales et produit pour finir…une augmentation de la dette publique : le "remède" de l'austérité serait donc en réalité un poison lent aux effets inverses de ceux désirés, particulièrement sans son antidote, la relance économique. Mais le FMI n'a pas, jusqu'alors, donné d'indications allant dans le sens d'une pause des politiques d'austérité, même si ses responsables indiquaient du bout des lèvres en début d'année dernière que "l'austérité seule" pouvait poser problème pour une reprise économique. Et pourtant, discrètement, à l'automne dernier, quelques pages d'un rapport du Fonds démontrait qu'une erreur d'estimation très importante s'était glissée dans les calculs des effets de l'austérité (P43 du document, voir extrait en encadré). Une erreur qui confirme en réalité ce que tous les "économistes anti-austérité" déclarent depuis 4 ans : l'austérité accentue la crise économique ! Ce rapport, si il est passé plutôt inaperçu en octobre a été complété par un document explicatif de son auteur, Olivier Blanchard, chef économiste (voir encadré) du FMI publié le 3 janvier sur le site de l'organisation : l'erreur y est bel et bien confirmée, les effets de l'austérité calculés par le FMI étaient totalement faux, sous-estimaient de façon massive les effets des politiques de restriction budgétaire en Europe…

Ce que le FMI avoue sur la consolidation budgétaire

Si chacun des "camps" qui s'opposent (partisans des politiques d'austérité contre promoteurs des politiques de relance) ont croisé le fer au cours de ces dernières années, le message principal de l'argumentaire pro-austérité restait flou mais pourrait être résumé de la manière suivante : "nous ne pouvons pas nous permettre d'effectuer une relance économique sans avoir au préalable assaini nos finances, le déficit et la dette publique sont destructeurs, il n'y a pas d'alternative : l'austérité, que nous nommons rigueur ou discipline budgétaire, ou encore consolidation budgétaire est une condition incontournable d'une résorption de la crise des dettes souveraines qui est le facteur d'accroissement de la crise économique." Cette litanie a toujours été, jusqu'alors, soutenue par le Fonds Monétaire International qui conditionne ses prêts, ses aides, à la stricte application de ces politiques de réduction des dettes publiques. L'institution internationale composée de centaines d'économistes de haut niveau analyse bien entendu les effets positifs des politiques en question et calcule savamment comment chaque euro retiré d'un budget peut permettre de faire malgré tout rentrer des recettes, aider à faire baisser le chômage, conforter positivement l'économie dans son ensemble. Mais elle analyse aussi les effets négatifs des politiques de réduction des dépenses publiques, comme la baisse du PIB, inéluctable dans ce cas de figure. Cette analyse d'ensemble des politiques d'austérité est nommée par le FMI "étude de l'impact des politiques de consolidation budgétaire". Pour faire simple et comprendre l'objet d'une partie de ce type d'étude, un exemple : si l'on réduit la dépense publique d'un euro et que le PIB baisse en contrepartie d'un euro, le FMI estime donc logiquement que le le multiplicateur fiscal (à effet négatif) de l'austérité est de un. Le FMI a toujours estimé ces dernières années que le facteur de consolidation budgétaire (ou d'effet de l'austérité, donc effet négatif sur le PIB de la consolidation budgétaire) était de 0,5 : pour chaque euro retiré de la dépense publique, le PIB ne devait chuter "seulement" que de 0,5 euro. Ce ratio était bien entendu en faveur d'une politique de baisse des dépenses publiques puisqu'il indiquait un effet négatif "mesuré". Alors, quelle est l'erreur "avouée" par Olivier Blanchard, économiste en chef du FMI ? Tout simplement celle d'un "multiplicateur fiscal" estimé à 0,5 de chute du PIB, fortement sous-estimé. Pas un peu, mais beaucoup : jusqu'à plus de 3 fois ce ratio. Ce que le FMI avoue donc par le biais de Blanchard est que le facteur négatif ne serait pas de 0,5 mais compris entre 0,9 et 1,7 points. Ce qui signifie qu'un point retiré des dépenses publiques ne ferait pas chuter le PIB de "seulement" 0,5 point, mais entre 0,9 et 1,7 points ! Autrement dit : en réduisant un budget de 30 milliards d'euros, on pourrait voir une diminution du PIB allant jusqu'à plus de 50 milliards (30 milliards multipliés par 1,7 font 51 milliards)…au lieu de 15 milliards avec le calcul initial du FMI, la fameuse "erreur".   Une erreur d'estimation aux conséquences terribles, que l'Europe semble subir, au vu des taux de croissance "négatifs" ou proches de zéro enregistrés ces dernières années, des dettes qui explosent suivies par un chômage de plus en plus massif.

Pourquoi le FMI a sous-estimé le facteur négatif de l'austérité

Entretien avec Dany Lang, économiste membre du collectif des “économistes atterrés“
Quand le FMI avoue s'être trompé sur les effets de l'austérité
Dany Lang
Vous faites partie des économistes qui tirent la sonnette d'alarme depuis des années au sujet des politiques d'austérité imposées par le FMI : que pensez-vous de cette explication de Blanchard sur l'erreur du multiplicateur fiscal, totalement sous-évalué par le FMI en cas de consolidation budgétaire ? Dany Lang : L'erreur sur les estimations des effets de l'austérité, le facteur de 0,5 au lieu d'un facteur de 0,9 à 1,7 est confirmée par le rapport de Blanchard du 3 janvier. A la fin du rapport il est quand même stipulé que "cela ne doit pas nécessairement remettre en cause les politiques d'austérité, mais plutôt mieux les étaler dans le temps". Le FMI adoucit son discours sur l'austérité, mais ne remet pas totalement en cause cette politique. L'erreur du FMI est de toute manière très logique puisque leur méthode est empiriquement fausse. Ils ont (au FMI, NDLR) déployé tout un arsenal technique pour vérifier leurs facteurs de différentes manières, en testant différents effets : en gros ils ont vérifié si c'était robuste, mais ils se sont quand même trompés de façon très importante, alors que des instituts de conjoncture comme l'OFCE (Office Français de Conjoncture Economique), l'IMK en Allemagne, le BIT (Bureau International du Travail) ont tous des multiplicateurs fiscaux compris entre 1,5 et 1,9. Les travaux de Marc Lavoie estiment même qu'en prenant un certain nombre d'effets, les multiplicateurs peuvent monter au dessus de 2. Pourtant, rien ne change dans les orientations ? D.L : C'est très bien que le chef économiste du FMI fasse des études économétriques sérieuses, appliquées, mais ensuite, je ne vois pas de traduction concrète dans les politiques qui sont pilotées par la troïka, politiques avec lesquelles le FMI est totalement impliqué. Donc pour l'instant, je ne vois rien changer. Vous croyez à l'erreur, vraiment, ou bien c'est une "manipulation idéologique" de la part du FMI ? C'est difficile à dire, mais il faut savoir que ces gens utilisent des modèles complètement irrationnels. Par exemple, leurs agents économiques (personnes physiques ou morales prenant des décisions économiques, NDLR) sont toujours parfaitement rationnels, où les décisions qui sont prises fonctionnent comme si le vrai modèle de l'économie était connu, alors que les économistes ne sont pas d'accord sur le vrai modèle économique ! Il y a beaucoup d'hypothèses dans les modèles du FMI qui ne tiennent pas compte d'un certain nombre de phénomènes qu'on observe dans le monde réel. J'ai d'ailleurs assisté récemment à une conférence en Allemagne d'un économiste, architecte du modèle du FMI, et qui nous disait qu'il y avait un certain nombre de problèmes, comme par exemple le fait qu'ils (au FMI, NDLR), ne tenaient pas compte du partage de la valeur ajoutée entre les salaires et les profits. Alors que ce n'est pas neutre sur la croissance économique, puisque si les profits sont trop élevés et ne sont pas suffisamment réinvestis, il n'y aura pas de croissance…
Quand le FMI avoue s'être trompé sur les effets de l'austérité
Justement, sur la croissance : elle ne semble pas prête de repartir en 2013. Quelles seraient, selon vous, les politiques économiques à mener pour qu'elle redémarre ? D.L : Il faut arrêter l'austérité immédiatement ! Nous avons fait plusieurs propositions (le collectif des économistes atterrés, NDLR), et au mois de mai, nous publions un nouvel ouvrage de propositions qui s'appelle "changer d'Europe" (Edition "Les Liens qui libèrent", NDLR). Nous savons, avec entre autres le phénomène des multiplicateurs, qu'en continuant l'austérité nous allons aggraver les problèmes, y compris les problèmes de dette publique, puisque quand il y a moins de croissance, il y a moins de rentrées fiscales et qu'alors, la dette publique se creuse. Il faut un plan de relance ? D.L : Oui, un plan de relance, bien sûr, mais concerté avec nos partenaires européens, parce qu'on ne s'en sortira pas avec l'austérité. Mais pas n'importe quelle relance : il y a quand même une contrainte qui n'existait pas dans les années 30, c'est la contrainte écologique. Une manière intelligente de faire de la relance serait de penser à la transition écologique, et il y a plein d'idées de ce côté là. Une idée simple : l'isolation des logements. Un logement à isoler c'est de 15 000 € à 30 000 €. Imaginez ce que cela créerait en termes d'activité économique, de création d'emplois si une politique pour isoler les passoires thermiques était mise en œuvre ! De toute manière, si on ne sort pas de cette spirale austérité-récession, tout cela va très mal se finir. C'est à dire ? D.L : Comme dans les années 30, après la crise de 29. Tout le monde s'est mis à faire de l'austérité, particulièrement à partir de 1935 : en France, en Italie. Et l'on sait très bien comment ça s'est fini. Des partis comme le Front National l'ont très bien compris, ils tiennent des discours anti-austérité et grignotent des voix sur ce terrain là.
Pourquoi, à votre avis, le gouvernement socialiste poursuit-il la même politique économique d'austérité que le précédent gouvernement de droite ? Le tournant de la rigueur date de 1983, puis il y a eu l'acte unique qui a amené la libéralisation du marché et enfin la dérégulation financière de la fin des années 80. Toute la dérégulation financière et la libéralisation économique sont le fait de gouvernements socialistes, qui ont aussi supprimé la loi bancaire de 1945, cette ceinture de sécurité qui garantissait la séparation entre les banques d'investissement et les banques de dépôt. Et ce n'est pas la loi qui vient d'être passée qui va changer quoi que soit (la réforme bancaire proposée par François Hollande ne sépare pas les deux activités, NDLR). Ils n'ont rien changé, donc à la prochaine crise bancaire nous devrons encore renflouer les banques avec de l'argent public.
Quand le FMI avoue s'être trompé sur les effets de l'austérité
Pierre Moscovici défendant la réforme bancaire qui ne changera pas le modèle de banque universelle (pas de séparation des activités)
Les économistes qui conseillent les sociaux démocrates comme les libéraux sont tous des gens convaincus qu'il faut pratiquer des politiques d'offre sans aucun interventionnisme. Alors qu'on sait qu'une politique industrielle qui fonctionne nécessite de l'interventionnisme, ce que font les Etats-Unis d'Amérique, comme des pays asiatiques lorsque c'est nécessaire. François Hollande a dit qu'il faisait du socialisme de l'offre : qu'est-ce que ça veut dire du "socialisme de l'offre ?". J'aime l'image donnée par Alfred Marshall, un économiste qui disait : "L'offre et la demande sont comme les deux lames d'une paire de ciseaux, on ne peut pas envisager l'une sans l'autre". Et bien, depuis 30 ans, on essaye de couper avec une seule lame de ciseaux : on ne fait que des politiques d'offre, en supposant qu'à long terme, la demande n'a pas d'impact sur l'équilibre de l'économie. Et tous les économistes du FMI,  ou ceux proches du pouvoir, utilisent ces modèles uniquement fondés sur l'offre à long terme…

La partie du rapport qui “avoue tout“…

Le rapport du FMI d'octobre 2012 (Faire face à une dette élevée et une croissance anémique) comporte ce chapitre intitulé "Perspectives et enjeux mondiaux" dont un encadré (Box 1.1, Page 41) au titre évocateur : "Sous-estimons-nous les multiplicateurs fiscaux à court terme ?". C'est la figure 1.1.1 qui décrit l'erreur commise par le FMI : "Erreurs sur les prévisions de croissance des plans d'assainissement budgétaire". Le texte est très clair, soutenu par un graphique et est le suivant : "L'activité, au cours des dernières années a beaucoup plus déçu au sein des économies pratiquant des plans de consolidations fiscales agressifs (plans d'austérité, NDLR), ce qui suggère que les multiplicateurs fiscaux utilisé dans la fabrication des prévisions de croissance ont été systématiquement trop bas. Cette relation est valable pour différentes composantes du PIB, le taux de chômage, et les prévisions faites par les différentes institutions."
La partie du rapport qui “avoue tout“…
(Cliquer pour agrandir)

L'auteur qui avoue l'erreur du FMI : Olivier Blanchard

Olivier Blanchard est un macroéconomiste français, né en 1948. Spécialiste de l'économie du travail, enseignant au MIT (Massachussetts Institute of Technology), il est depuis septembre 2008 chef économiste au Fonds Monétaire International. En février 2012, alors interrogé par France24, Olivier Blanchard affichait son pessimisme sur la croissance économique en Europe mais continuait à soutenir les politiques d'austérité budgétaire (Vidéo ci-dessous, à 2:52) tout en indiquant sans plus de précisions le coût négatif causé par l'austérité, à court terme, pour la croissance. Mais à l'époque, Olivier Blanchard ne semblait pas très inquiet des effets de l'austérité et doutait fortement de l'utilité de plans de relance.
L'auteur qui avoue l'erreur du FMI : Olivier Blanchard

Ouvrage de propositions des atterrés

Ouvrage de propositions des atterrés