Quand le XXème siècle bascula : 25 décembre 1991, démission de Gorbatchev et dissolution de l'Urss
Ce n'est pas un hasard : les manifestants qui protestent contre les fraudes électorales survenues le 4 décembre lors des élections législatives, ont décidé de se retrouver à nouveau le 24 décembre 2011, soit quasiment jour pour jour, vingt ans après le démantèlement de l’Union soviétique, annoncé par Mikhaïl Gorbatchev à la télévision, le 25 décembre 1991 au soir. Le journaliste et historien Andreï Gratchev, alors porte parole de l'inventeur de la Glasnost et la Perestroïka, nous raconte cette journée si particulière, depuis le coeur de la deuxième puissance mondiale en ce temps là. À sa suite d'autres acteurs/spectateurs évoquent aussi leurs souvenirs...
Andrei Gratchev aux côtés de Mikhaïl Gorbatchev, à Montpellier (France) en novembre 2011 lors d'un forum de la fondation New Policy forum créée par l'ancien président soviétique et consacré au 25 décembre 1991.
Ce 25 décembre 1991, Andreï Gratchev était encore le porte parole de Mikhaïl Gorbatchev. Il se souvient, vingt ans après et comme si c'était hier, qu’il fut l’homme qui prolongea d’un jour la vie de l’Union soviétique : « C’était au lendemain de la rencontre secrète d’Alma Ata (au Kazakhstan, le 21 décembre, la CEI est élargie à toutes les anciennes républiques soviétiques, ndlr) où les nouveaux dirigeants des États qui composaient encore l’Urss ont décidé de la dissolution de l’Union soviétique et de constituer la CEI (Communauté des États indépendants). Gorbatchev n’était pas d’accord avec cette décision. Il croyait qu’on pouvait maintenir encore l’Union, dans une forme rénovée et plus démocratique. Il n’avait donc pas d’autre choix que de démissionner de son poste de président de l’Urss. Et il avait choisi d’annoncer cela le 24 décembre au soir. Nous étions dans son bureau en train de rédiger son discours, c’était deux jours avant la date fatidique et je lui ai dit : je vous conseille de ne pas le faire le 24 décembre. Vous allez marquer la fin de l’une des tranches d’histoire les plus importantes du 20ème siècle, c’est un moment crucial, capital pour le monde entier. Moi je pensais aux catholiques de la planète qui s’apprêtaient à célébrer Noël et j’ai dit à Gorbatchev qu’il ne fallait pas les perturber. "J'AI DONNÉ UN JOUR DE VIE SUPPLÉMENTAIRE À L'URSS" Il a réagi à ma proposition, alors que lui en tant qu’orthodoxe, russe et soviétique, au fond il pouvait s’en ficher des catholiques. Mais il a été sensible à mes arguments, et donc il a dit : " d’accord mais pas plus d’un jour ". Et voilà comment j’ai prolongé la vie soviétique de 24 heures !. J’étais triste mais pas tant pour la fin de l’Urss. Ce qui me désolait c’était de vivre l’arrêt du projet Gorbatchévien, l’avortement de toutes les réformes qu’il avait entreprises. Que tout cela était stoppé au milieu du guet.
Le 25 décembre 1991, devant le monde médusé, Mikhaïl Gorbatchev annonce sa démission. L'Urss est démantelée..
Je peux dire que le 25 décembre 1991 fut l’un des jours les plus longs de ma vie. Nous étions dans une grande tension intellectuelle, psychologique et politique bien sûr. Nous étions pris par les préparatifs du discours du président. Le matin, je suis arrivé à mon bureau au Kremlin. Et dès 15 h (12 h gmt), j’ai rejoint Gorbatchev avec le directeur de la télévision publique. Il y avait aussi Egor Iakovlev (le rédacteur en chef des Nouvelles de Mocou, quotidien emblématique de la Perestroïka, et acteur important de cette période, ndlr). Nous discutions des conséquences géopolitiques de cet événement qui allait se passer incessamment. C’était presque obsédant. Gorbatchev retravaillait son texte en permanence, tout en intégrant quand il était d’accord nos suggestions. "DES ACQUIS INDESTRUCTIBLES" Et je suis fier de dire qu’il a retenu deux des modifications que je lui ai proposées : dans une phrase où il annonçait ‘au moment même où j’arrête mes fonctions de président' je lui ai demandé d’ajouter « de l’Urss ». Parce que pour moi, si effectivement il arrêtait de diriger l’Union soviétique, cela ne voulait pas dire qu’il cessait d’être le camarade et le président des Russes. Il fallait que le peuple le comprenne. Et puis, ce qui est encore plus important, là où il disait ‘je suis fier des avancées démocratiques dans la vie politique, sociale et quotidienne des Soviétiques’, je lui ai offert d’ajouter ‘et ces acquisitions ne doivent pas être annulées, sous aucune circonstance, ni sous aucun prétexte !’. Ensuite j’ai accompli ma triste dernière mission qui était de l’accompagner au studio d’où il devait parler à toutes les télévisions, les nôtres mais aussi celles du monde entier. Et pour cet acte là, je reste gravé dans la mémoire vidéo de l’histoire contemporaine… Et puis quand cela a été fini, j’ai quitté rapidement le plateau. Gorbatchev devait rester pour accorder un entretien à la CNN américaine, et moi j’ai couru vers les bureaux de Antenne 2 (c’était le nom à l’époque de F2, ndlr). Je me souviens qu’à la fin de cette interview, les Français pour me consoler m’ont offert un verre de champagne.
Le dernier ouvrage d'Andreï Gratchev, “Gorbatchev, le pari perdu ?“, paru aux éditions Armand Colin, Paris, automne 2011
"L'ULTIMA CENA"AVEC LES DERNIERS COMPAGNONS Puis Gorbatchev m’a téléphoné pour la « ultima cena » au Kremlin. Nous nous sommes retrouvés dans la petite salle qui jouxtait son bureau, avec quelques compagnons de (dé)route, Anatoli Tcherniaev (le conseiller diplomatique de Gorbatchev, ndlr), Egor Iakovlev… On ne pouvait pas le laisser seul dans ce moment là, c’était exclu. J’avais même peur que dans un tel moment, d’une telle intensité dramatique et historique, il lui arrive quelque chose, je craignais un infarctus… Il était comme un chevalier éjecté de sa monture en plein galop ! Ce qui m’a rendu très triste c’est que dans ces minutes là, il n’a reçu aucun coup de téléphone. Aucun de ceux qu’il avait mis en selle à l’occasion de ses réformes, aucun des nouveaux chefs d’État indépendants qui lui devaient tout ne l’ont appelé pour lui exprimer un soutien dans ce moment là ! Ce qui me réjouit aujourd’hui, c’est qu’il (Gorbatchev) est toujours en vie, et qu’il a été invité par les organisateurs, à l’unanimité, à prendre la parole lors de la manifestation du 24 décembre 2011, devant les Indignés de Moscou. Et ça c’est vraiment sa revanche politique face à la génération Gorbatchev au pouvoir et qui l’avait laissé tomber !"
“Touché mais pas coulé !“
selon Youri Kovalenko
Youri Kovalenko venait de franchir la cinquantaine à Paris, d’où il envoyait ses correspondances aux (encore) mythiques Izvestia, l’un des quotidiens phares de l’Union soviétique, et pour lequel il travaille toujours malgré son rachat par une banque, après la fin de l’Urss. "J’ai appris la chose au téléphone, par un collègue des Izvestia à Moscou. Je me suis trouvé en état de choc. Je ne m’y attendais pas et je n’arrivais pas à y croire. Je peux dire que cela a été l’un des plus grands chocs de ma vie. Je peux dire sincèrement qu’il y a deux grandes tragédies dans l’histoire russe : l’assassinat de Pouchkine par le Français d’Anthès (lors d’un duel pour cause de jalousie amoureuse, ndlr) et la fin de l’Union soviétique ! Bien sûr j’ai écouté le discours final de Gorbatchev, et pourtant je ne l’aimais pas, je ne l’ai jamais aimé. Je le trouvais faible, pas à la hauteur de la situation et dépassé par les réformes qu’il avait provoquées. J’ai pensé que nous vivions la fin d’une époque, la fin de notre histoire, la fin de notre pays. J’étais triste accablé, bouleversé. J’ai bu quelques verres de vodka et j’ai appelé tous les amis russes à paris. Certains croyaient encore au miracle, pas moi… Je me suis senti touché mais pas encore coulé finalement !"
“La nouvelle Russie arrivait enfin“
selon Vadim Glusker
Vadim Glusker avait 20 ans en décembre 1995. Jeune journaliste, il avait intégré la 1ère chaîne de télévision soviétique, aux temps glorieux de la propagande (aujourd'hui il est le correspondant de NTV, télévision privée post soviétique à Paris). Ce jour-là, il travaillait... "En fait nous étions perplexes, mais nous étions préparés à la fin du pays. Nous nous demandions juste quand Mikhaïl Gorbatchev allait prendre et annoncer cette décision ultra difficile et douloureuse pour lui. Le choc nous l'avions ressenti déjà deux semaines auparavant lorsque le 8 décembre à Minsk en Biélorussie, Ieltsine, Kravtchouk et Chouchkievitch, les trois hommes forts de la Russie, de l'Ukraine et de la Biéolrussie, avaient annoncé la création de la CEI (Communauté des États indépendants). La fin formelle du pays ne comptait finalement pas beaucoup après ça... J'étais très content. Nous voulions nous débarrasser de ce régime réactionnaire et la nouvelle Russie arrivait enfin ! Mais pourtant autour de moi personne n'a fêté l'événement..."
“Je me souviens du frigo vide“
par Alexandra Kamenskaïa
Alexandra Kamenskaïa avait 14 ans en cet hiver 199&. Elle était lycéenne, vivait à Moscou avec sa soeur aîné d'un an de plus qu'elle, et avec ses parents. Le père était chimiste et la mère bibliothécaire. Aujourd'hui elle dirige le bureau français de l'agence de presse russe Ria Novosti. "Mes parents étaient peu politisés. Et de cette année 1991, je me souviens avant tout des événements du mois d'août, de la tentative de putsch contre Gorbatchev, de la situation d'urgence dans laquelle nous avions été mis, de l'air de perdant de Gorbatchev à la télévision, quand il est revenu de ses vacances en Crimée. Je ne comprenais pas très bien ce qui se passait mais ça m'inquiétait... Nous avions peu d'argent et je me souviens surtout des difficultés de la vie quotidienne, du frigidaire vide, des queues devant les magasins, et de la bataille pour survivre. Alors ces événements de décembre 1991, la création de la CEI (la Communauté des États indépendants) puis la démission de Gorbatchev, nous les avons vécus comme s'ils s'inscrivaient dans le cours normal des choses. La vie continuait, avec tous ses écueils !
“Des yaourts au miel“
par Sylvie Braibant
"En décembre 1991, j'avais 35 ans. Je débarquais pour les besoins d'une recherche sur Elisabeth Dmitrieff, une révolutionnaire russe du XIXème siècle, à Krasnoïarsk au coeur de la Sibérie, à plus de 48 heures en train de Moscou. La ville, centre névralgique de l’industrie militaro nucléaire était encore interdite aux étrangers. Je m’enorgueillissais d’être une privilégiée. La vie au coeur de la cite étudiante « Akadem Gorodok » n y était pas trop dure. Je partageais un appartement communautaire avec un physicien azéri, un chercheur arménien, et une sociologue ukrainienne, minuscule condensé multi-ethnique de ce qu’était encore et pour quelques jours l’Union soviétique. Le 24 décembre 1991, au soir, nous étions réunis autour de yaourts et de miel envoyés généreusement d’Arménie par la mère de notre colocataire. La télévision publique sibérienne diffusa « Out of Africa ». Le film était doublé « à la russe », par une seule voix masculine pour tous les personnages. Le mélo de Sidney Pollack adapté du roman de la danoise Karen Blixen racontait une fin et un recommencement… Et le lendemain l’Union soviétique n’existait plus."
“Pour les Soviétiques, court aller retour vers la liberté“
La Tageszeitung du 23 décembre 2011 “célèbre“ le passé, sans joie pour le présent