Fil d'Ariane
“Bonjour tout le monde, je suis dans mon allée à Billings, Montana (…) Cette chose dans le ciel, je n'ai aucune idée de ce que c'est. C'est là, immobile, depuis 35 minutes (…) Ce n'est pas la lune, la lune est à ma droite, je peux la voir. C'est beaucoup plus petit que la lune". Chase Doak n’en croit pas ses yeux. Celui qui se présente comme ancien journaliste a publié vendredi sur les réseaux sociaux cette vidéo qui fait à présent le tour du monde. Celle du mystérieux supposé ballon chinois.
Not gonna lie. First, I thought this was a #ufo. Then, I thought it was @elonmusk in a Wizard of Oz cosplay scenario. But it was just a run-of-the mill Chinese spy balloon! pic.twitter.com/cBV7goF6Sv
— Chase Doak (@ckdoak) February 2, 2023
Un "autre ballon espion chinois" a été détecté, cette fois au-dessus de l'Amérique latine, selon le Pentagone. Ni sa localisation, ni la direction qu'il emprunte, n'ont été précisées. L'annonce a été faite au lendemain de celle sur la présence d'un premier ballon au-dessus des Etats-Unis et du Canada.
Le ballon - "gros comme trois bus", explique l'Agence France-Presse - est entré dans l'espace aérien des Etats-Unis "il y a environ deux jours" affirme Washington. L'AFP précise que, selon une source au renseignement américain, ce n'est pas la première fois que l'armée américaine constate une telle intrusion. La nouveauté serait, notamment, une présence bien plus longue qu'à l'accoutumée dans l'espace aérien des Etats-Unis. Des avions de chasse se sont approchés de l'engin au-dessus du Montana.
A la demande du président Joe Biden, le Pentagone a envisagé d'abattre le ballon, mais la décision a été prise de ne pas le faire en raison des risques liés à la chute d'éventuels débris. C'est ce qu'explique à l'Agence France-Presse un haut responsable américain de la Défense, sous le couvert de l'anonymat, ajoutant que "nous n'avons aucun doute sur le fait que le ballon provient de la Chine". Ce même responsable explique que les Etats-Unis s'appliquent à se protéger contre "la collecte d'informations sensibles" et insiste sur "la valeur ajoutée limitée en termes de collecte d'informations" de l'engin. Le porte-parole du Pentagone, Pat Ryder, précise pour sa part que le commandement de la défense aérospatiale des Etats-Unis et du Canada (Norad) surveille la trajectoire du ballon qui "vole actuellement à une altitude bien au-dessus du trafic aérien commercial" et "ne présente pas de menace militaire ou physique pour les personnes au sol".
Sans faire référence à la Chine, le Canada avance grosso modo les mêmes informations. "Les Canadiens sont en sécurité et le Canada prend des mesures pour assurer la sécurité de son espace aérien, y compris la surveillance d'un deuxième incident potentiel", déclare le ministère de la Défense du Canada dans un communiqué, sans plus de précisions.
Un ballon de surveillance à haute altitude a été détecté. Ses mouvements font l’objet d’un suivi actif de la part de NORAD. La population canadienne est en sécurité et le Canada prend les mesures nécessaires pour assurer la sûreté de son espace aérien. https://t.co/y5Ue4k7FyY pic.twitter.com/UIfztb2SxS
— Forces armées canadiennes (@ForcesCanada) February 3, 2023
A Pékin, le gouvernement chinois a assuré dans une premier temps qu'"une vérification est en cours" au sujet de ces informations. Mais "émettre des conjectures et monter les choses en épingle avant même que les faits ne soient établis n'aident pas à une résolution appropriée du dossier", a mis en garde devant la presse une porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Mao Ning. "En tant que pays responsable, la Chine a toujours strictement respecté le droit international et n'a aucune intention de violer le territoire et l'espace aérien d'un Etat souverain", a-t-elle affirmé, appelant à "gérer ce dossier avec sang-froid et prudence".
Quelques heures plus tard, nouveau commentaire chinois : Pékin "regrette" la violation "involontaire" de l'espace aérien américain par un "aéronef civil" sans pilote, expliquant que l'appareil est "utilisé à des fins de recherches, principalement météorologiques".
Washington a évoqué l'affaire avec les autorités chinoises. "Nous leur avons communiqué la gravité de l'incident", affirme un responsable américain. "Nous leur avons dit clairement que nous ferons tout ce qui est nécessaire pour protéger notre peuple sur notre territoire".
Les autorités chinoises, qui évoquent une intrusion "involontaire", ont exprimé leurs "regrets". Néanmoins, pour Pékin, cette polémique ne serait qu'un prétexter pour "diffamer" la Chine, comme le signale le ministère chinois des Affaires étrangères dans un communiqué : "Certains politiciens et médias américains utilisent l'incident comme un prétexte pour attaquer et diffamer la Chine".
"La Chine se conforme toujours strictement au droit international (...) et n'a jamais violé le territoire et l'espace aérien d'un pays souverain", ajoute le ministère en référence au survol aux Etats-Unis d'un ballon d'observation chinois.
L'épisode, susceptible de raviver les tensions entre Washington et Pékin, survient à deux jours d'une visite prévue du chef de la diplomatie américaine Antony Blinken en Chine. Le déplacement d'Antony Blinken en Chine, prévu pour dimanche 5 février et lundi 6 février, doit constituer la première visite dans le pays d'un secrétaire d'Etat américain depuis octobre 2018, au moment où les deux superpuissances cherchent à éviter que les vives tensions qui les opposent ne dégénèrent en conflit ouvert. Selon plusieurs médias, cette visite serait reportée.
"Clairement, ce ballon est destiné à la surveillance et sa trajectoire actuelle l'amène au-dessus de sites sensibles" notamment des bases aériennes et des silos de missiles stratégiques, assure à l'AFP le haut responsable de la Défense américain sous couvert d'anonymat, évoquant l'Etat du Montana (nord-ouest).
Sur la chaîne américaine CNN, un colonel retraité de l'US Air Force précise : "Ce que la Chine pourrait faire avec ce ballon, c'est obtenir des renseignements d'origine électromagnétique. En clair, surveiller le trafic de téléphonie mobile des Etats-Unis, le trafic radio, examiner les réseaux de commandement et de contrôle du gouvernement".
A propos des zones survolées, ce colonel à la retraite rappelle que les Etats-Unis disposent de bases de missiles balistiques dans le Montana, le Dakota du Nord et le Wyoming. Il soupçonne enfin les Chinois de s'intéresser aux bombardiers stratégiques américains présents dans le Dakota, estimant que "c'est quelque chose qui leur donne l'occasion d'augmenter leur couverture satellite. C'est donc certainement un système qui pourrait collecter beaucoup de données".
Pour Emmanuel Dupuy, président de l'Institut prospective et sécurité en Europe (IPSE), ce ballon qui évolue entre 12 et 15 kilomètres d'altitude est surtout "un bon coup pour les Chinois".
En effet, alors qu'il existe en 2023 des moyens nettement plus discrets et performants, pourquoi utiliser un engin "low coast" et si peu discret qu'il est visible à l'oeil nu ? "Cela ne veut pas dire que la Chine ne dispose pas d'autre moyens du type capteurs au sol ou même renseignement humain. Je pense qu'il s'agit de tester la réactivité américaine".
En effet, alors que le chef de la diplomatie américaine devait se rendre à Pékin et que les relations entre les deux puissances sont déjà tendues, les Chinois obligent les Américains à "temporiser" en n'abattant pas le ballon pour ne pas générer de tensions plus grandes. "C'est une guerre psychologique !", estime Emmanuel Dupuy.
Celui qui enseigne également la géopolitique note d'ailleurs que cette affaire polarise au sein même de la vie politique américaine, rappelant que "un certain nombre de Républicains en veulent au président Joe Biden de ne pas avoir réagi dès que le ballon a traversé l'Alaska". En conclusion, pour Emmanuel Dupuy, "que le ballon soit abattu ou non, les Chinois ont déjà gagné. Ils ont montré qu'ils pouvaient prendre à défaut les Américains".