Fil d'Ariane
La fuite de documents classifiés américains, notamment liés à l'Ukraine et visiblement authentiques, pose "un risque très grave" à la sécurité nationale des États-Unis, s'est inquiété lundi 10 avril le Pentagone. Voici ce que l'on sait sur ces fuites à la source inconnue.
La fuite de documents américains classifiés serait l'oeuvre d'un jeune homme ayant travaillé sur une base militaire et partagé ses informations sur un groupe privé en ligne, selon le journal Washington Post.
Le quotidien américain affirme dans un article publié mercredi 12 avril, avoir interrogé sous le sceau de l'anonymat deux membres du réseau social Discord où ont été publiées des centaines de pages de documents confidentiels, dont certains top secret ou concernant la guerre en Ukraine ou encore des alliés des Etats-Unis.
La fuite, qui fait l'objet d'une enquête criminelle de la part du département américain de la Justice, provient d'un homme ayant comme pseudonyme "OG". Il a régulièrement publié pendant des mois des centaines de pages recopiées sur des documents dans la base militaire où il travaille, avance le journal, qui ajoute que la personne interrogée a refusé de préciser de quelle base il s'agissait.
Elle a affirmé que "OG" passait "une partie de sa journée à l'intérieur d'une installation sécurisée qui interdisait les téléphones portables et autres appareils électroniques", et qu'il "travaillait d'arrache-pied pendant des heures à rédiger des documents classifiés à partager avec ses camarades sur le serveur Discord", écrit le journal.
Il a plus tard pris des photos de documents et les a transmises à son groupe. "Lorsqu'il s'est avéré trop fastidieux de reproduire des centaines de documents classifiés à la main, il a commencé à publier des centaines de photos des documents eux-mêmes", poursuit le quotidien.
"OG" a demandé aux autres membres du groupe de ne pas diffuser les documents, et qu'il n'avait pas l'intention d'être un lanceur d'alerte, assure le média en citant l'une de ses sources. Certaines informations étaient tellement sensibles qu'elles étaient marquées "NOFORN", c'est-à-dire à ne pas divulguer auprès d'étrangers, avance le Washington Post.
Selon un membre du groupe cité par le quotidien, "OG" "semblait penser que son savoir d'initié offriraient aux autres une protection contre le monde troublé qui les entoure".
"OG" portait "un regard sombre sur le gouvernement", selon le média, qui écrit : "Le jeune membre du groupe a déclaré que (OG) parlait des Etats-Unis, et en particulier des forces de l'ordre et de la communauté du renseignement, comme d'une force sinistre qui cherchait à supprimer ses citoyens et à les maintenir dans l'ignorance. Il pestait contre +l'excès de pouvoir du gouvernement+".
Le groupe d'environ 24 personnes, des hommes et des garçons pour la plupart, s'est formé autour de leur "amour mutuel des armes à feu, du matériel militaire et de Dieu", constituant un "club par cooptation en 2020 sur Discord", selon le média.
Beaucoup concernent la guerre en Ukraine. L'un fait le point sur l'état du conflit début mars, dont le montant des pertes russes et ukrainiennes, tandis que d'autres évoquent la situation sur des fronts spécifiques, comme à Bakhmout.
Les défenses antiaériennes de Kiev, cruciales contre les frappes russes ainsi que l'aide internationale aux forces ukrainiennes font partie des sujets abordés.
Certains documents semblent aussi indiquer que les États-Unis espionnent certains de leurs alliés : l'un mentionne que des dirigeants du Mossad, le service de renseignement israélien, auraient défendu les manifestations contre la controversée réforme du système judiciaire en Israël.
Plusieurs médias britanniques, parmi lesquels la BBC et The Guardian, ont dévoilé un document selon lequel le Royaume-Uni et un certain nombre de pays disposeraient de forces militaires spéciales opérant en Ukraine. D'après ce document, daté du 23 mars, le Royaume-Uni disposerait du plus grand contingent de forces spéciales en Ukraine (50), suivi par les autres États membres de l'OTAN, la Lettonie (17), la France (15), les États-Unis (14) et les Pays-Bas (1). Le document ne dit pas où se trouvent les forces ni ce qu'elles font.
Le ministre britannique de la Défense a par ailleurs mis en doute des informations qui évoquent la présence de membres des services secrets britanniques en Ukraine sur la foi d'une fuite de documents américains classifiés présentant, selon lui, "un grave niveau d'inexactitude".
Ce mercredi 12 avril, Paris a démenti le déploiement de forces françaises en Ukraine, tout comme Londres, qui a mis en doute des informations sur la présence de membres de ses services secrets, sur la foi d'une fuite de documents américains classifiés.
"Il n'y a pas de forces françaises engagées en opération en Ukraine. Les documents cités ne proviennent pas des armées françaises et sont sujettes à précaution", a indiqué à l'AFP le ministère français des Armées.
Le Pentagone a indiqué dimanche travailler à "évaluer la validité des documents photographiés qui circulent sur des réseaux sociaux", mais a reconnu qu'ils "semblent contenir des informations sensibles et hautement classifiées".
Au moins un des documents semble avoir été altéré pour laisser croire que l'Ukraine aurait subi des pertes plus importantes que la Russie, quand le supposé original disait l'inverse.
Mais selon des informations de presse, des responsables américains considèrent que beaucoup des documents sont authentiques.
Le ministère de la Justice a ouvert une enquête pénale tandis que le ministère de la Défense évalue les conséquences éventuelles sur la sécurité nationale américaine.
Des responsables américains ont aussi été en contact avec les alliés de Washington à ce sujet, et les commissions parlementaires concernées ont été informées, a indiqué le Pentagone.
Le fait que ces documents circulent en ligne fait porter "un risque très grave à la sécurité nationale et peut potentiellement alimenter la désinformation", a indiqué lundi à la presse un porte-parole du ministère américain de la Défense, Chris Meagher.
Les fuites pourraient mettre en danger des sources du renseignement américain, ainsi que fournir à la Russie de précieuses informations sur l'état des troupes ukrainiennes.
Les documents évoquant les pays partenaires des Etats-Unis pourraient embarrasser Washington, notamment à propos d'un éventuel espionnage de proches alliés.
Ils ont été diffusés sur divers réseaux sociaux et plateformes, dont Twitter, 4Chan et Discord.
Mais beaucoup d'entre eux ne sont plus disponibles sur les sites où ils sont initialement apparus, et les Etats-Unis travailleraient à ce qu'ils soient retirés.
Le réputé média en ligne d'investigation Bellingcat a rapporté que certains auraient pu être en ligne dès avant janvier 2023.
Certains ont été postés sur Discord - une plateforme populaire auprès des amateurs de jeux vidéo -, notamment sur des canaux de fans d'un YouTubeur et de joueurs du jeu Minecraft, a indiqué Bellingcat.