Fil d'Ariane
Lors des discussions du Sommet sur les économies africaines, seront négociées des aides d’urgence pour contrer « le choc économique » en Afrique causé par la crise sanitaire, alors que le continent enregistre sa première récession en 25 ans. 650 milliards de droits de tirage spéciaux (DTS), dont 34 alloués à l’Afrique, y seront négociés. Certains pays riches pourraient par ailleurs décider de faire don de leurs DTS. À quoi se réfère cet instrument économique? Explications.
Alors que les besoins de financement de l'Afrique sont estimés par le Fonds Monétaire International (FMI) entre 200 et 250 milliards de dollars, les Etats-Unis et l’Europe ont déjà commencé à mettre en place leurs plans de relance de 2000 milliards de dollars et 750 milliards d’euros, respectivement. Qu’en est-il de l’Afrique, sans banque centrale de grande ampleur? Le Sommet sur les économies africaines, organisé par la France, étudiera les différentes solutions dont l’émission de plusieurs milliards de droits de tirage spéciaux.
« Les droits de tirage spéciaux, c’est la monnaie que peut émettre le FMI et qui s’appuie sur cinq grandes monnaies internationales : le dollar, l’euro, le yen, la livre britannique et maintenant le yuan chinois. Le FMI crée de la monnaie en s’appuyant sur les grandes banques centrales internationales », introduit Thomas Melonio, directeur exécutif Innovation, recherche et savoirs à l’Agence Française de Développement.
« C’est un instrument qui a été créé en 1969. L'idée était d'ouvrir aux pays la possibilité de « tirer » jusqu’à un certain plafond des liquidités, c’est-à-dire obtenir de l'argent disponible immédiatement pour pouvoir financer sa balance des paiements (NDLR : La balance des paiements est un document de comptabilité nationale qui retrace l’ensemble des flux économiques (biens, services, capitaux…) entre un pays et le reste du monde au cours d’une année). » précise Dominique Plihon, économiste spécialisé en économie financière et ancien porte-parole d’Attac France (Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne).
Alors que le FMI compte 189 (sur 195) pays membres, tous ne possèdent toutefois pas le même pouvoir de décision ni les mêmes droits. Ils sont définis par des quote-parts « en fonction de la position relative dans l’économie mondiale (source : FMI ) ». « En appliquant les quotes-parts, les pays les plus riches auront environ 400 milliards de dollars tandis que les pays africains n'auront que 30 à 40 milliards, ce qui est faible par rapport à leurs besoins qui se chiffrent à plusieurs centaines de milliards de dollars », relativise Dominique Pilhon. « L’Afrique fait face un ralentissement de son activité, se retrouve dans une crise économique et sociale très importante, comme on la connaît chez nous. Mais dans les pays pauvres, les effets sont bien plus dramatiques. »
Une fois émis, les DTS peuvent être utilisés à deux fins : soit en monnaie de réserve qui permet de stabiliser la valeur de la monnaie intérieure, soit convertis dans des monnaies plus fortes afin de financer des investissements. Selon Thomas Melonio, la première option est la plus courante : « Pour un pays dont la monnaie est alignée sur le dollar, la banque centrale a besoin d’avoir des dollars en caisse, au cas où les gens veulent l’échanger. La banque doit pouvoir faire du change. Cela évite notamment que la monnaie perde de la valeur. Si une banque centrale n’a plus de monnaie forte, en général la monnaie nationale s’écroule. Ce procédé permet donc de défendre et de protéger la valeur de leur monnaie. »
Par ailleurs, les monnaies « fortes » (euro, dollar, livre, yen et yuan) sont très fréquemment utilisées dans les économies africaines, notamment pour financer les investissements : « Les pays africains utilisent souvent des devises fortes dans leurs financements, au lieu de leur monnaie nationale. C’est une différence très importante avec l’Europe », explique le représentant de l’AFD. L’attrait des DTS s’impose alors rapidement, avec un taux d’intérêt qui frôle les 0%. « L’intérêt de ces DTS, c’est qu’ils permettent à des pays africains de se procurer des devises fortes sans avoir à verser des taux d’intérêt substantiels. […] Aujourd’hui, le taux d’intérêt sur les DTS est actuellement à 0,05%. Alors que sur les marchés classiques, il est bien plus élevé : Quand le Bénin a fait une obligation il y a deux mois de cela, le taux était à 6%. Le Ghana qui a contracté des emprunts sur 10 ans, a trouvé un taux à 8%. Le taux des DTS est complètement imbattable. »
Si pour Thomas Melonio, la question d’un remboursement des DTS « n’est jamais arrivée dans l’histoire » et ne pourrait se produire que « si un Etat se retire du FMI », l’économiste Dominique Plihon fait part de quelques incertitudes : « la nature de cet instrument est ambiguë. […] Tel que ça a été défini, les DTS étaient des lignes de crédit. Quand on parle de crédit, il y a un remboursement à la clé. »
Par ailleurs, si l’obligation d’un remboursement n’est pas évidente, la soumission à une obligation de condition reste en suspens : « Un pays peut être par exemple incité à faire certaines réformes ou mener une politique jugée conforme aux critères utilisées par le FMI. Des politiques que les pays en développement connaissent bien par ailleurs, notamment dans le cadre des plans d'ajustement structurel. Il ne s’agit pas ici d’argent à guichet ouvert »
Face aux besoins de financements estimés entre 200 et 250 milliards, les 34 millards prévus pour l’Afrique peuvent par ailleurs paraître une aide assez mince : « Si le droit de tirage est attribué directement aux pays africains à hauteur de 34 milliards comme les estimations qui circulent le soupçonnent, ou même si la France donne une partie des ses DTS, cela ne fera pas beaucoup », s’inquiète Dominique Pilhon. « Le rapport sorti en 2009 par Joseph Stiglitz, que j’approuve fortement, recommandait que les DTS soient attribués aux pays en développement de manière massive et à des conditions favorables. Une autre conclusion reposait sur la question de la gouvernance de la gestion de ces fonds. La gestion multilatérale des DTS par le FMI est tout sauf démocratique. Les Etats-Unis y ont un droit de véto et possèdent la quote-part la plus importante. C’est une organisation qui est profondément inégalitaire. »
« En effet, ça ne couvre pas tous les besoins », reconnaît Thomas Melonio. « Mais l'histoire ne s'arrête pas là. Il y aura une mobilisation renforcée des bailleurs de fond comme la Banque Mondiale, l’Agence Française de Développement ainsi que nos homologues allemands, japonais, chinois. Il y a plein de besoins de financement qui vont être couverts par des banques publiques de développement et des financements vont venir également du secteur privé. Les financements du FMI ne sont qu'une partie des financements que les pays africains vont rechercher. »