Fil d'Ariane
L'artiste américain "Beeple" (Mike Winkelmann) a vendu une photo numérique nommée "Everyday: the first five thousand days" pour plus de 69 millions de dollars par la maison d'enchères Christie's à New-York. Cette photo numérique en NFT est pourtant consultable et téléchargeable par tous les internautes qui le souhaitent. Ce n'est pas le cas d'un tableau de maître conservé précieusement à l'abri des regards, dans le monde physique.
Mais pourquoi l'acheteur de cette image a-t-il payé une telle somme ? Pas pour la valeur de l'œuvre numérique de Beeple en tant que telle, mais parce que celle-ci a été vendue avec son NFT. Le NFT la rend unique et traçable. Son certificat numérique indique que c'est bien l'œuvre originale de l'artiste. Il indique aussi qui l'a vendue, qui l'a achetée, pour quel somme et quand.
Le NFT est pour moi le cheval de troie de la blockchain dans le monde physique et il va se diffuser petit à petit dans un peu tous les secteurs.John Karp, auteur de "NFT revolution, naissance du mouvement Crypto-Art"
Ce collage numérique de l'artiste américain certifié par NFT peut donc être désormais vendu dans une autre enchère, chacun pouvant aller vérifier (le plus souvent sur la blockchain Ethereum, voir encadré ci-dessous) son authenticité et son parcours.
De plus, si la valeur de cryptomonnaie qui a permis d'acquérir le certificat NFT de cette image augmente, la valeur de cette image augmentera pour le possesseur du NFT.
Une hausse de 10% de la cryptomonnaie Ethereum et l'acquéreur de "Everyday: the first five thousand days" verra son œuvre numérique passer de 69 millions de dollars à plus de …76 millions.
Le fonctionnement technique des NFT en quelques mots
NFT signifie "Non fungible token", soit "Jeton non fongible (non interchangeable avec un autre même type de jeton)". Le principe des "jetons" est lié à celui des blockchains, des protocoles informatiques décentralisés permettant de chiffrer et sécuriser des transactions financières à travers le réseau Internet. La blockchain la plus importante est celle du Bitcoin (BTC). Un jeton dans une blockchain permet d'attester de la validité d'une transaction. Il est infalsifiable.
Les NFT utilisent majoritairement la deuxième blockchain la plus importante (après celle du Bitcoin), nommée Ethereum (ETH). Cette blockchain Ethereum comporte une cryptomonnaie, comme le Bictoin, mais elle permet en plus de gérer des "smart contracts" (contrats intelligents), ce que ne sait pas faire la blockchain du BTC . Même si des systèmes par plateformes interposées permettent d'acheter des NFT avec du Bitcoin. Les NFT sont donc techniquement des "smart contracts", créés dans leur très grande majorité par la blockchain Ethereum (qui est aussi une cryptomonnaie)."
Depuis cette année, la valeur totale des ventes des "certificats d'objets virtuels" — les fameux NFT — a été multipliée par dix comparée à 2020. Elle a atteint 2 milliards de dollars au troisième trimestre 2021.
Le PDG de Twitter, Jack Dorsey, a par exemple vendu son "tout premier tweet" sous forme d'un NFT pour 2,9 millions de dollars, en mars de cette année. Un avatar pixelisé a été quant à lui vendu plus de 5 millions de dollars sur la plateforme CryptoPunk, l'une des premières plateformes de NFT.
Mais au delà de ces enchères aux prix astronomiques, tout un marché de NFT grand public est en train d'émerger.
Les NFT permettent que de plus en plus de créateurs puissent vivre de leur art. La raison principale est que le nombre de collectionneurs s'est démultiplié.John Karp, auteur de "NFT revololution, naissance du mouvement Crypto-Art"
C'est ce qui fait dire à John Karp, auteur de "NFT revolution, naissance du mouvement Crypto-Art", que "les NFT semblent partis pour devenir incontournables dans l'avenir". Le spécialiste y voit le passage d'une économie purement virtuelle, celle des cryptomonnaie, au monde physique, ou tout du moins à l'économie réelle. "Le NFT est pour moi le cheval de troie de la blockchain dans le monde physique et il va se diffuser petit à petit dans un peu tous les secteurs", affirme John Karp
Les NFT peuvent être effectivement reliés à des objets réels comme une bouteille de champagne Dom Pérignon "habillée" par Lady Gaga. Cette bouteille est vendue en NFT qui établit une propriété sur la bouteille physique ainsi que son "clone numérique", en 3D.
"Le monde de la mode est en train de plonger dans le NFT, il existe déjà des vêtements virtuels de luxe par exemple, qui ne peuvent être portés que sur Instagram, avec un système de filtre", explique l'auteur de "NFT revolution".
Le principe du NFT se développe aussi — bien entendu — dans les jeux vidéo, souvent relié à une cryptomonnaie. Axie Infinity et Sandbox sont les plus célèbres. Le premier propose d'acheter, élever et vendre des créatures virtuelles en NFT. Le second est un "metavers" où les joueurs font évoluer des personnages dans un monde virtuel. Le jeu Sandbox consiste à construire, créer des objets, acheter, vendre, grâce à sa cryptomonnaie le SAND, qui permet bien entendu la gestion des possessions virtuelles par NFT.
Les quatre grandes caractéristiques des NFT :
Transparence : Les utilisateurs des plateformes de NFT peuvent voir tous les échanges dans un explorateur de transactions, comme c'est le cas avec toute blockchain ("chaîne de blocs", protocole informatique permettant les transactions des cryptomonnaie).
Immutabilité : Les NFT créés ne peuvent pas être copiés, ce qui en fait donc des jetons uniques liés à des objets uniques.
Décentralisation : Aucune entité ou personne physique ne centralise les échanges, le contrôle des échanges se fait par des algorithmes de toutes les machines participantes, sans autorité centrale.
Sécurité : Créés (majoritairement) par la blockchain Ethereum, les jetons non interchangeables sont stockés dans des bases de données sécurisées dispersées à travers le monde. Des vérifications sont opérées par tous les ordinateurs qui participent à la blockchain.
John Karp estime que le NFT va faire émerger un nouvel âge d'or pour la création artistique. "Les NFT permettent en premier lieu que de plus en plus de créateurs puissent vivre de leur art. La raison principale est que le nombre de collectionneurs s'est démultiplié", explique le spécialiste. Cette nouvelle écomomie a été nommée crypto-art. Elle se définit comme l'alliance entre les technologies offertes par les cryptomonnaies et l'art.
Pour l'auteur de "NFT revolution", le crypto-art offre la possibilité aux artistes de sortir de la dépendance aux plateformes de musique en ligne. "Le fait que les artistes touchent une fraction infime des revenus générés par l'écoute de leurs œuvres sur les plateformes de streaming est une incohérence. Internet crée une relation directe entre les artistes et leur communauté, il n'y a donc normalement plus besoin d'intermédiaires. Les NFT permettent de retrouver cette relation directe", affirme John Karp.
C'est la possibilité de créer une économie dans l'économie qui est offerte par le NFT.John Karp, auteur de "NFT revolution, naissance du mouvement Crypto-Art"
Le mouvement du crypto-art commence donc à "trouver ses marques et inventer de nouveaux procédés", selon l'auteur. "Le NFT se matérialise de plein de manières et ses possibilités sont sans limites. Le NFT est un titre de propriété mais il peut aussi contenir en complément, un titre d'usage ou d'accès, associé aux actions de l'artiste." Et John Karp de donner des exemples : "Booba a fait 25 000 NFT la semaine dernière qui permettent d'accéder à la vidéo associée. Le groupe Kings of Leon est allé plus loin : avec leurs NFT on peut accéder à tous leurs concerts."
L'auteur de "NFT revolution" estime que c'est une véritable révolution économique qui s'annonce avec le NFT. "Un NFT donnant accès au backstage (coulisses de la scène, ndlr) pourrait être par exemple revendu par la suite par son propriétaire. C'est la possibilité de créer une économie dans l'économie qui est offerte par cette technologie", conclue-t-il.