Haya Elsayyed a été accueillie à Sherbrooke par des amis de la famille. Elle est arrivée le 14 février, après avoir passé deux mois à Gaza et 45 jours en Égypte.
Fil d'Ariane
Arrivée à Sherbrooke depuis peu, la Palestinienne Haya Elsayyed n’a qu’un souhait : que ses parents et ses deux frères, restés dans la bande de Gaza, puissent la rejoindre au Canada pour vivre « en paix ». « C’est aussi simple que ça », confie la jeune femme de 25 ans. Reportage de Christine Bureau pour Radio-Canada
Haya Elsayyed avec ses parents Jehan et Nasser.
Le souhait est simple, mais le réaliser sera complexe, dans le contexte de la guerre entre Israël et le Hamas. En tant que seule membre de sa famille avec un statut de résidente permanente au Canada, Haya fonde tous ses espoirs sur le programme d’accès à la résidence qui a été officiellement lancé le 9 janvier dernier. Ce sont 1000 visas temporaires qui seront offerts à ceux qui ont de la famille au Canada prête à les parrainer.
Deux mois se sont écoulés depuis le début du programme, et Haya déplore d'être toujours dans le néant. Elle demande un suivi, qu’il soit positif ou négatif. "Est-ce que je devrais me mettre à penser à une autre façon de faire venir ma famille ici?" De nombreuses agences en Égypte font miroiter la possibilité de faire sortir les Gazaouis de la bande Gaza en échange de milliers de dollars. À l’instar d’autres Palestiniens expatriés, Haya y songe.
"J’étais déjà complètement dépassée par le fait que je n’ai pas eu de nouvelles", lance pour sa part Geneviève Nadeau. La Sherbrookoise d’origine installée en Israël a aidé comme elle a pu la famille Elsayyed à remplir les papiers nécessaires pour leur candidature. Elle est sidérée par le silence d’Ottawa et le manque de suivi. "J’ai arrêté de fonder espoir", soupire-t-elle.
Même son de cloche de la part d’Ayman Oweida. Le Sherbrookois a aussi rempli une demande dans le cadre du programme lancé par Ottawa. Ses parents, qui vivent à Montréal, tentent de faire venir deux de ses oncles et leurs épouses. La famille Oweida est elle aussi dans le néant.
"On a attendu trois mois pour que le programme soit annoncé, et il faut encore attendre des mois avant d'avoir une réponse", déplore-t-il.
Selon lui, le fait de délivrer seulement 1000 visas est également discriminatoire et irrespectueux des Canadiens d’origine palestinienne.
Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) indique qu'en date de lundi mars, 986 demandes ont été acceptées. Ceux qui les ont soumises ont reçu un code leur permettant de terminer leur demande. Douze personnes ont réussi jusqu'à maintenant à quitter la bande de Gaza.
Même si le Canada délivre des visas temporaires pour les Gazaouis, rien ne garantit qu'ils pourront quitter le territoire. "Le gouvernement du Canada a soumis aux autorités locales, pour approbation, les noms des personnes qui ont passé les vérifications préliminaires d’admissibilité et de recevabilité, mais ce n’est pas lui qui décide des personnes qui peuvent sortir de Gaza", précise un porte-parole de l'IRCC par courriel.
Pour les Palestiniens établis au Québec, il y a un réel sentiment d'urgence d'agir. Haya Elsayyed dort mieux depuis qu’elle est arrivée à Sherbrooke. Elle traîne néanmoins les traumatismes d’une guerre qu’elle a vécue pendant deux mois, tout en sachant que sa famille est toujours en zone de guerre.
Difficile de trouver les mots pour dire à quel point ça a été difficile. [...] Ce sont les pires jours de ma vie.
Haya Elsayyed, Palestinienne et résidente permanente du Canada
Elle était en vacances chez ses parents dans la ville de Gaza quand le conflit a éclaté le 7 octobre dernier. "Notre vie était misérable. [...] J’ai perdu des gens que j’aimais, j’ai perdu ma maison. J’ai dû quitter ma famille. J’ai tout quitté et je suis arrivée en Égypte avec rien du tout", résume-t-elle.
C’est grâce à son statut de résidente permanente qu’elle a pu quitter la bande de Gaza. La décision a été déchirante pour elle et ses proches. "Mais mon père m’a dit "vas-y, tu vas avoir une belle vie" ", se remémore-t-elle.
Son père, Nasser Elsayyed, a dû rester derrière avec le reste de sa famille. Le conseiller pédagogique de 56 ans a un français impeccable. Il est coordonnateur et inspecteur général de la langue française dans la bande de Gaza pour le ministère de l’Éducation. Sa vie a complètement basculé dès les premiers jours du conflit, comme celle de l’ensemble des Gazaouis.
Haya Elsayyed a été accueillie à Sherbrooke par des amis de la famille. Elle est arrivée le 14 février, après avoir passé deux mois à Gaza et 45 jours en Égypte.
"Il y avait beaucoup de bombardements autour de nous. On est partis sans rien du tout, avec les vêtements qu'on porte encore jusqu'à maintenant", raconte-t‐il au bout du fil à partir d’une petite ville dans le sud de Gaza, où il s’est installé près de Rafah.
Nasser Elsayyed, père de Haya.
Les embûches se sont multipliées depuis le début de la guerre. Il a même dû s’installer durant quelques jours dans une maison où il y avait quelque 200 personnes, et nulle part où dormir. Comme sa femme Jehan est malade, il a fait venir des médicaments de France, qui sont pour le moment toujours en Égypte.
Le père de famille garde tout de même l’espoir d’une vie meilleure. Jehan est enseignante en anglais. L’aîné de la famille, Amr, venait tout juste d’obtenir son diplôme d’ingénieur quand la guerre a éclaté. Le cadet, Mohammed, a dû interrompre ses études en médecine. Les enfants parlent français. Ils sont prêts, assure-t-il, à refaire leur vie, tant que c'est dans la paix.
À Sherbrooke, Haya est en sécurité, mais le combat n’est pas terminé pour elle. "Je veux essayer de toutes mes forces de réunir ma famille", lâche-t-elle. Sa voix est douce, mais sa détermination est forte.
Dépasser le cap du 1000 ?
Depuis le lancement du programme de visas temporaires en janvier, le ministre fédéral de l'Immigration Marc Miller se dit flexible à dépasser le cap des 1000 visas qui seront octroyés. Par courriel, IRCC a précisé lundi 4 mars « continue[r] de faire preuve de flexibilité pendant que nous évaluons la situation, y compris le volume de demandes reçues et la capacité d'aider les membres admissibles de la famille à quitter Gaza et à rejoindre un pays tiers sûr. »