Québec : face à l'anglais, l'usage du français est un "parti pris politique" pour l'artiste Sébastien Ricard

Au Québec, la langue française vit et survit miraculeusement dans un océan anglophone depuis plusieurs siècles et si elle est toujours parlée, c’est parce qu’elle est promue et défendue par de nombreux locuteurs. De nombreuses personnalités québécoises sont des amoureux de leur langue. Rencontre avec Sébastien Ricard, un acteur, auteur et chanteur engagé 

Image
Ricard

Sébastien Ricard est un acteur, auteur et chanteur engagé pour la langue française au Québec. Il prend régulièrement position publiquement sur des enjeux sociétaux. 

Catherine François pour TV5MONDE
Partager 3 minutes de lecture

Dans une salle de la Cité des Hospitalières de Montréal, Sébastien Ricard est en répétitions intensives pour une pièce, baptisée « La chouette ». Il l'a écrite lui-même et il va la présenter au public montréalais en avril. C’est la première fois que l’artiste québécois écrit pour le théâtre. 

Il a déjà composé des chansons, notamment quand il faisait partie des « Loco Locass », un groupe de musique qui a marqué la scène musicale québécoise en étant notamment l’une des premières formations de hip-hop au Québec. 

 

Une langue porteuse d’identité et un parti pris politique

 

Sébastien Ricard est aussi un acteur réputé qui a joué dans de nombreux films québécois. Enfin il prend régulièrement position publiquement sur des enjeux sociétaux. L’artiste entretient donc une relation très forte avec la langue française. 

« La langue française, pour moi, c'est quelque chose d'essentiel à mon identité. Mais c'est aussi mon moyen par lequel j'entre dans la dimension politique, qui est celle du Québec dans l'Amérique du Nord. La langue française, c'est toujours un parti pris politique de la parler dans un environnement qui est majoritairement anglo-saxon (...).»

Pour Sébastien Ricard, la langue française a donc une dimension politique importante au Québec. L’artiste est un fervent indépendantiste : il fait partie des Québécois qui estiment que le Québec devrait quitter le Canada et devenir un pays.

La population québécoise a un pouvoir politique à sa disposition.

Sébastien Ricard, un acteur, auteur et chanteur engagé  

Il prend régulièrement position publiquement à ce sujet. Il a par exemple récemment soutenu les démarches du chef du Parti Québécois – le parti qui prône la souveraineté du Québec – qui a refusé de prêter serment au Roi d’Angleterre pour pouvoir siéger comme député au sein de l’Assemblée nationale du Québec. 

Il faut savoir que le chef de l’État canadien est officiellement le roi d’Angleterre et que jusqu’à tout récemment, un député québécois, lors de sa cérémonie d’assermentation, devait lui prêter serment. Le chef péquiste Paul Saint-Pierre Plamondon a mené une bataille pour que soit aboli ce serment, et il a gagné sa cause. 

"Pour qu’un élu puisse siéger, il doit tourner le dos à la population québécoise et prêter serment à un roi d'outre-Atlantique pour célébrer une histoire qui, encore une fois, humilie et a humilié la culture, l'histoire et la langue de ce pays-là, estime Sébastien Ricard. Heureusement, ce serment est maintenant tombé, c’est la preuve que la population québécoise a un pouvoir politique à sa disposition(...)."

 

Le « tabou » qui entoure la langue française au Québec

 

Sébastien Ricard s’inquiète pour l’avenir de la langue française au Québec, plus précisément à Montréal où elle continue de perdre du terrain par rapport à l’anglais, et il estime que le gouvernement actuel, celui du premier ministre François Legault, n’en fait pas assez pour la protéger. 

« J'habite Montréal depuis presque plus de 25 ans et c’est vrai que la sonorité a changé dans la ville, souligne l’acteur. On invoque toutes sortes de raison, notamment le fait que les Francophones quittent l’île de Montréal pour aller vivre dans les banlieues autour, un exode démographique donc. Mais en fait, je crois que c’est plus un problème de fond et qu’en vérité il y a un tabou autour de la langue au Québec. »

Sébastien Ricard revient sur l’adoption de la loi 101 adoptée par le premier gouvernement du Parti Québécois, avec René Lévesque comme premier ministre, cette loi qui a ancré la défense du français au Québec :

 « Avec la loi 101, on est alors en 1978, à un moment du Québec où on est dans une sorte de prise de conscience politique qui va mener jusqu'au référendum de 80. Et la loi 101 de Camille Laurin est une loi qui est pensée pour redonner confiance à la population québécoise envers cette langue qui a toujours été humiliée, qui, dans l’Histoire, a été la langue du « cheap labour », la langue du pauvre ». 

Mais depuis l’adoption de cette loi, il n’y a pas vraiment eu de geste politique fort pour la langue française au Québec ajoute l’artiste, et l’un des gestes fort que l’on pourrait poser, selon lui, serait de doter le Québec d’une Constitution. 

« L'écriture d'une Constitution, ça serait vraiment un moment extraordinaire pour la langue française au Québec. Ce serait la rédaction d'un texte fondamental qui précise ce qu’est le Québec dans cette Amérique du Nord. Je trouve que ce serait une aventure qui serait extraordinaire pour la langue. Pour moi, la défense de la langue est inséparable de sa dimension politique. »

Je n'ai pas le goût d'être dans un musée de la Nouvelle-France, de préserver un monde. Je veux être dans un monde qui est en mouvement(...). 

Sébastien Ricard, un acteur, auteur et chanteur engagé  

 

Pour une langue qui vit et qui évolue

 

« À quoi sert de protéger une langue si elle n’est pas une langue capable de changer le monde, s’interroge Sébastien Ricard ? Moi, je n'ai pas le goût d'être dans un musée de la Nouvelle-France, de préserver un monde. Je veux être dans un monde qui est en mouvement (...).» 

L’artiste garde foi en la force du mouvement souverainiste québécois même s’il bat de l’aile depuis la défaite lors du dernier référendum, en 1995. 

Il se réjouit de voir que le Parti Québécois, que l’on disait moribond lors des dernières élections québécoises en septembre 2022, a repris du poil de la bête sous la direction de son nouveau chef, Paul Saint-Pierre Plamondon, qui a effectivement fait une remontée spectaculaire dans les sondages au cours des dernières années. 

« Je pense que le Parti québécois est un parti qui n’est plus le même que celui qu'on avait avant sa descente aux oubliettes, se réjouit l’acteur. C'est maintenant un parti qui a des possibilités, maintenant il faut voir ce qu'il va faire avec ce potentiel. Donc non, je suis pas du tout désespéré même s’il y a toutes sortes de raisons de désespérer. »

Et en l’honneur de cette Semaine de la Francophonie, Sébastien Ricard en profite pour refaire une déclaration d’amour à la langue française. 

« C'est mon trésor, c'est avec elle je déclare mon amour à une femme, que je dis tous les jours à mes enfants que je les aime, que je peux être en communauté au Québec comme je ne le serais nulle part ailleurs. C'est mon lien avec le territoire, c'est mon lien avec l'histoire du Québec, c'est mon lien avec le mystère de l'existence.»