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Dimanche 22 février, les enseignants québécois sont descendus dans la rue pour dénoncer la politique d'austérité du gouvernement de Philippe Couillard.
Commentaires de Catherine François
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Québec : tous unis contre l'austérité

Après l’hiver polaire, le printemps promet d’être chaud sur le front social au Québec : syndicats, associations, étudiants et autres groupes promettent de réagir pour dénoncer les politiques d’austérité du gouvernement de Philippe Couillard. Une bataille se profile, une bataille qui va surtout se tenir dans la rue.

L’objectif est louable, mais le chemin pour y parvenir sera douloureux pour la classe moyenne et les plus pauvres de la société québécoise. Depuis qu’il a pris le pouvoir, en avril 2014, le Premier ministre Philippe Couillard a engagé ses troupes gouvernementales dans un exercice rigoureux de révision de tous les programmes sociaux, afin de réduire les dépenses de l’État et d'arriver au déficit zéro au cours de l'année prochaine. Chaque ministère est donc astreint à revoir toutes ses dépenses et à les couper.

L’obsession du déficit zéro

Un premier budget présenté l’an dernier avait déjà sabré considérablement dans de nombreux programmes sociaux. Celui que le gouvernement s’apprête à déposer au printemps promet d’être tout aussi drastique. A noter au passage que le programme électoral des Libéraux présenté pour les élections du printemps dernier ne faisait en aucun cas allusion à ces compressions majeures qui font de sacrés trous dans le filet social des Québécois. Ce qui donne l’impression à beaucoup de ces Québécois de s’être quelque peu fait flouer sur la marchandise…

Raison de plus, disent les syndicats, les groupes communautaires, les associations et les organismes sociaux de descendre dans la rue pour dénoncer cette obsession du déficit zéro. Car il se fait, disent-ils, sur le dos d’une classe moyenne déjà lourdement taxée et, bien sûr, des plus pauvres de la société - compressions dans le programme d’aide sociale, l’équivalent du RMI français, dans les programmes d’aide à l’intégration à l’emploi pour les personnes souffrant d’un handicap, réductions des services offerts aux élèves en difficulté dans les écoles, aux personnes âgées dans les centres de santé pour le troisième âge... Et la liste est longue…

D’autres solutions ?

Depuis l’automne, donc, la résistance s’organise, et elle s’intensifie depuis le début de l’année : manifestations, coups d’éclat, comme la perturbation du discours du Premier ministre Couillard et, cette semaine, une quarantaine d’actions menées un peu partout au Québec par la Coalition opposée à la tarification et à la privatisation des services publics. Cette coalition regroupe quelque 85 organisations qui représentent des familles, des femmes, des étudiants, des groupes en alphabétisation.

Philippe Couillard
Philippe Couillard est Premier ministre du Québec depuis avril 2014.
(©TV5MONDE)

Mise en place en 2010 après la présentation des premiers budgets d’austérité (le gouvernement Couillard n’a rien inventé, ceux de l’ex-Premier ministre libéral Jean Charest avaient ouvert la voie, et même le gouvernement du Parti Québécois, entre septembre 2012 et avril 2014, y était allé de compressions et du discours « déficit zéro »), la Coalition ne fait pas que dénoncer ces politiques d’austérité, elle propose aussi au gouvernement des solutions pour renflouer les caisses de l’État autrement qu’en piochant dans les poches des contribuables.

« On se mobilise aussi pour une meilleure redistribution des richesses et contre le programme néolibéral qui est appliqué en ce moment au Québec, » explique la porte-parole de la Coalition Véronique Laflamme. Puis elle énonce les mesures proposées : « On dénonce le "deux poids deux mesures" dans l'austérité : on fait payer la classe moyenne et les plus pauvres et, pendant ce temps, les banques canadiennes continuent de faire des profits... La taxe sur le capital pour les institutions financière a été abolie en 2011, ça nous prive de 600 millions de dollars par an, donc il faut réinstaurer cette taxe-là. Il faut lutter contre l'évasion fiscale, on pourrait aller chercher plusieurs millions de dollars par année ainsi. Il faut revoir le nombre de paliers d’imposition : il n’y en a que 4 alors qu’il y en avait 16 en 1988, donc la progressivité de nos impôts est de plus en plus assumée par la classe moyenne. Les entreprises ne paient pas assez d’impôts et elles bénéficient de nombreux cadeaux fiscaux et de subventions généreuses. Il faut imposer davantage les gains en capital des particuliers. Ce sont vraiment des choix politiques qu’il faut faire et nous voulons forcer le gouvernement à aller chercher l’argent là où il est ».

La Coalition a lancé une campagne qui s’appelle « 10 milliards de solutions, on a  les moyens de faire autrement. » Elle détaille les 18 mesures fiscales proposées pour aller chercher 10 milliards de dollars… autrement. 

La bataille s’annonce longue et difficile

Le gouvernement, lui, maintient pour l’instant la ligne dure : le président du Conseil du Trésor, Martin Coiteux, martèle que pour maintenir les programmes sociaux, l’État québécois doit réduire dans un premier temps ses dépenses pour retrouver un équilibre budgétaire, voire des surplus, qui seront par la suite réinvestis dans ces programmes sociaux. Ce dont doute fortement tous ceux qui luttent actuellement contre ces politiques d’austérité. « Le mal va être fait, croit Véronique Laflamme. Ce n’est pas vrai qu’ils vont réinvestir de l’argent dans nos programmes quand l’équilibre budgétaire sera atteint, car ils promettent au contraire de baisser les impôts ».

La porte-parole de la Coalition est réaliste : elle sait qu’on parle ici, en quelque sorte, du combat de David contre Goliath, des organismes qui défendent les plus pauvres de la société contre un système où la recherche du profit est le fil conducteur. « C’est une lutte difficile qu’on ne va pas gagner demain matin, me confie Véronique, nous allons devoir nous battre jour après jour. Il y a déjà eu des petits gains, des mesures d’austérité qui ont été abandonnées devant l’ampleur de la mobilisation populaire. Ce qui est sûr, c’est qu’on n’accepte pas ce discours qui veut nous faire croire que l’austérité, c’est une fatalité, qu’on ne peut pas faire autrement. Oui, on peut faire autrement, mieux redistribuer les richesses au sein de la société, mais ce sont des choix politiques et il faut avoir le  courage de les faire ».

Printemps québécois 2012
De février à septembre 2012 : la plus longue grève estudiantine de l'histoire du Québec. A gauche, la manifestation nationale du 22 juillet 2012 ; en haut à droite, celle du 22 mai 2012 ; au centre, celle du 14 avril 2012, et en bas l'émeute de Victoriaville du 4 mai 2012.
(©Wikipédia)

Prochains rendez-vous

La Coalition promet une journée de mobilisation et d’actions le 1er mai, journée internationale des travailleurs. Les associations étudiantes, de leur côté, sont en train d’organiser une grosse manifestation pour le 2 avril. La lutte contre l’austérité est au cœur de la journée d’action de la Fédération des femmes du Québec pour le 8 mars, journée internationale de la Femme. La Fédération est très impliquée dans le mouvement de contestation, car elle affirme que les femmes seront les premières victimes de ces mesures d’austérité.
 
Le Québec va-t-il revivre un printemps aussi agité que celui de 2012, quand les étudiants avaient pris d’assaut pendant plusieurs mois les rues de Montréal pour dénoncer l’augmentation de leurs frais de scolarité ? Le fameux « printemps érable » comme on l’avait baptisé… Le gouvernement libéral de Jean Charest avait alors perdu la bataille de la rue, et les élections de septembre 2012. Les Libéraux avaient clairement sous-estimé cette mobilisation, qui avait rapidement dépassé les limites des universités. Le gouvernement Couillard devrait peut-être se méfier du feu qui couve en ce moment sous la neige…