Quel bilan de 2023 pour François Legault, le Premier ministre du Québec ?

Alors que son premier mandat a été consacré, en très grande partie, à la gestion de la pandémie, ce qui lui a permis d’être très populaire et d’être réélu avec une forte majorité en septembre 2022, le premier ministre du Québec, François Legault, s’est frotté cette année à la réalité du pouvoir. Et une succession de décisions controversées l’ont fait dégringoler dans les sondages au cours des derniers mois. Analyse.

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François Legault discours du 30.11.22
Le Premier ministre québécois François Legault lors du discours d'ouverture de son second mandat, ce mercredi 30 novembre 2022. 
© Réseaux sociaux de M. Legault
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Deux sondages publiés en novembre dernier ont été un coup de massue pour la Coalition Avenir Québec, le parti de François Legault. Pour la première fois depuis leur arrivée au pouvoir en 2018, il est arrivé en deuxième position dans les intentions de vote des Québécois, derrière le Parti Québécois, qui renait littéralement de ses cendres, tel le Phoenix.

« Le premier mandat du gouvernement Legault a été un mandat marqué par la pandémie, explique Sébastien Bovet, chef du bureau parlementaire à Québec de Radio-Canada, un mandat essentiellement mono sujet où François Legault se réunissait en petit comité, il prenait des décisions, il était très agile, rapide et il n'avait qu'une chose en tête : combattre la pandémie. Donc, quand il est arrivé dans son deuxième mandat, il est tombé dans un gouvernement un peu plus traditionnel, de gestion de l'État, de prises de décisions sur différents dossiers. Et c'est comme s'il avait perdu son flair ou ses repères politiques. Il s'est mis à prendre des décisions controversées ».

Parmi ces décisions controversées, il y a eu, tout d’abord, à la fin de l’été, celle d’abandonner le "projet de troisième lien" qui aurait pris l’allure d’un tunnel entre la ville de Québec et la rive-sud du fleuve Saint-Laurent. Le gouvernement québécois en avait fait une promesse électorale aux électeurs de la région de Québec, il a finalement décidé de ne pas aller de l’avant.

La décision a été une petite bombe qui a explosé sur la scène politique québécoise nous dit Sébastien Bovet : « Il y a eu comme eu une cassure dans la parole de François Legault. Que vaut la parole de François Legault, au-delà du tunnel en tant que tel, de façon plus générale, sur la promesse non tenue ? Par la suite, il a tergiversé sur le troisième lien, donc, c'est comme s’il se cherchait un peu. Après ça, il y a eu le salaire des députés, ça a été une décision qui a fait mal dans la mesure où tout le monde tire le diable par la queue pour essayer de boucler son budget, et le premier ministre qui fait voter une augmentation de trente pour cent du salaire des députés… »

Québec

Une route surélevée dans le centre-ville de Québec, le 7 juin 2016.

 

AP Photo/Cal Woodward

Des millions de dollars pour des joueurs de hockey millionnaires

Sans oublier également l’affaire des Kings de Los Angeles. Alors que quelque 600 000 fonctionnaires québécois entamaient un mouvement de grève – toujours en cours – pour mettre de la pression sur leurs négociations avec le gouvernement pour le renouvellement de leurs conventions collectives, voilà que le ministre des Finances du Québec, Éric Girard, annonce, tout sourire, que son gouvernement a accepté de verser une subvention allant de 5 à 7 millions de dollars à l’équipe de hockey sur glace des Kings de Los Angeles pour que certains de leurs joueurs viennent jouer un match de démonstration – donc en dehors des matchs de la ligue nationale de hockey – à Québec !

Une décision qui a soulevé tout un tollé. Accepter de payer des millions de dollars à des joueurs de hockey qui sont multimillionnaires, ça passe mal quand on refuse d’augmenter les salaires de ses fonctionnaires à la hauteur de l’inflation, des fonctionnaires qui, pour la plupart, tiennent à bout de bras depuis des années dans des conditions extrêmement difficiles les réseaux de la santé et de l’éducation du Québec.

« Les Kings, c’est comme la suite des mauvaises décisions ou des décisions controversées qui ont été prises tout au long de l'année, souligne Sébastien Bovet. Ce n’est pas tant le montant, parce que 5 à 7 millions de dollars dans un budget de gouvernement, c'est presque du petit change dans la poche du ministre des Finances, mais c'est le symbole. Et l’idée que, alors que les gens ne sont plus capables de boucler leur budget, alors que les employés de la fonction publique qu'on a qualifiés d'anges gardiens pendant la pandémie, notamment les infirmières, les préposés aux bénéficiaires, les enseignants qui tiennent le réseau de l'éducation à bout de bras, alors que ces gens-là demandent des augmentations de salaire et qu’on leur refuse, de dépenser des millions pour des millionnaires du hockey, cela ne passe pas.

« Il y a une contradiction entre le discours du gouvernement, très économe face à ses employés et dépensier face à des millionnaires du sport professionnel. Il y a comme un décalage que les membres du gouvernement n’ont pas vu venir. Ils pensaient que ça ferait plaisir aux gens de Québec d'avoir un match hors-concours de la Ligue nationale de hockey, mais qu’ils auraient dû voir venir dans les circonstances ». 

Kings Hockey

Le joueur des Los Angeles Kings Pierre-Luc Dubois lors d'un match de hockey à Los Angeles, le 23 décembre 2023.

(AP Photo/Alex Gallardo)

Un gouvernement déconnecté de la réalité ?

Plusieurs se demandent, au regard de cette série de décisions controversées, si le gouvernement de François Legault n’est pas un peu déconnecté de la réalité des Québécois ? « La réponse courte, c’est oui, répond Sébastien Bovet. J'ai comme l'impression que ce gouvernement est dans une espèce de tourbillon de mauvaises nouvelles, une sorte de spirale descendante où il essaye de trouver une façon de se sortir du trou qu'il a lui-même creusé. Il va peut-être un peu vite dans les décisions qu’il prend, sans trop réfléchir aux répercussions que cela peut avoir ». 

En revanche, le gouvernement Legault a aussi fait adopter cette année des lois importantes et présenter des projets structurants, comme la réforme du système de santé, le projet de loi sur l’éducation, le plan stratégique jusqu’en 2035 d’Hydro-Québec (société d’État qui gère l’hydroélectricité de la province), et des investissements importants dans l’économie verte comme l’implantation d’immenses usines de batteries électriques et d’entreprises liées à l’électrification des transports. « Mais le problème, précise Sébastien Bovet, c'est que ces projets structurants dans lesquels ils ont investi ou se sont investi vont donner des résultats seulement dans plusieurs mois, sinon quelques années. Donc ils ne peuvent pas récolter le fruit du travail qu'ils ont fait sur ces enjeux pour l’instant ».

Le bras-de-fer avec les fonctionnaires

Et François Legault termine cette année agitée dans un bras-de-fer qui se prolonge avec les fonctionnaires québécois pour le renouvellement de leurs conventions collectives. Ils travaillent essentiellement dans les secteurs de la santé et de l’éducation et depuis des semaines, les deux parties s’échangent offres et contre-offres sur fond de journées de grèves et de manifestations.

Mais, pour l’instant, auncune entente n'a été conclue avec les différents syndicats qui représentent quelque 600 000 employés de l’État. Un mouvement de grève soutenu par une majorité de la population. « Il y a certains syndicats avec lesquels je dirais que ça va moins mal que d'autres, estime Sébastien Bovet. Mais il y a quand même une attitude un peu de confrontation et d'affrontement avec les syndicats en ce moment. D'un côté, on peut voir ça en disant : le gouvernement tient ses principes, il voit dans cette négociation l'opportunité de réorganiser le travail dans des réseaux qui sont extrêmement importants, comme l'éducation et la santé. Mais cela n’a jamais été fait, les syndicats ont une espèce de main mise ou une grosse influence sur la gestion de ces réseaux-là que le gouvernement veut casser pour redonner cela au gestionnaire. »

« D'une certaine façon, ça peut être bien perçu cette idée que les syndicats prennent un peu moins de place. Mais ce discours a été perdu dans la confrontation que le gouvernement a établi avec les syndicats, en ne faisant aucun compromis, en restant intransigeant. Et surtout, en faisant dès le départ une offre salariale qui était très en deçà de l'inflation ou des indices des prix à la consommation ». 

Legault

Le gouverneur californien Gavin Newsom avec Francois Legault, le Premier ministre québecois, à la Stanford Mansion le 11 décembre 2019, à Sacramento, en Californie.

Renée C. Byer/The Sacramento Bee via AP, Pool

La remontée du Parti Québécois

Et donc le parti qui a profité de cette grogne populaire envers le gouvernement Legault, c’est le Parti Québécois, souligne Sébastien Bovet : « Un parti opposé à François Legault avec un chef de parti convaincu, authentique, qui ne tombe pas dans la partisanerie et qui offre une alternative à ce gouvernement qui a des difficultés. Donc le Parti Québécois a réussi à fédérer les mécontents de la Coalition avenir Québec ».

Tous les analystes de la scène politique québécoise ont souligné d’ailleurs la bonne performance de ce nouveau chef du PQ, Paul Saint-Pierre Plamondon, qui, avec les trois autres députés de son parti à l’Assemblée nationale, a réussi à se faire remarquer par les Québécois par la qualité de ses interventions et une certaine authenticité, plutôt rare en politique. Les deux autres partis d’opposition, Québec solidaire et le Parti libéral du Québec, n’ont pas réussi à profiter de cette grogne populaire : « Les Libéraux sont un peu à la recherche de leur identité, de leurs repères, précise Sébastien Bovet.

Ils n’ont pas de chef, donc personne n’incarne le renouveau des Libéraux en ce moment et on est un peu en mode maintenance, pour essayer de maintenir le parti à flot jusqu’à l’élection d’un nouveau chef. En effet, ils n’ont pas réussi à capitaliser sur le mécontentement parce qu'ils sont eux-mêmes pris avec leurs problèmes. Ils se voyaient déjà comme opposition officielle ou presque, dans l’antichambre du pouvoir, comme un gouvernement en attente. Tout ça s'est écroulé avec le résultat électoral de 2022 et ça s'est transposé en 2023 avec un parti qui essaye de trouver un équilibre entre sa frange militante, qui tient aux principes de base de Québec solidaire, et un chef parlementaire, Gabriel Nadeau-Dubois, qui essaye d'élargir l'électorat en faisant un peu plus de compromis ». 

Un paternalisme qui a été un atout mais qui devient un handicap

Pour revenir à François Legault, soulignons que ce ton paternaliste qu’il prend régulièrement quand il s’adresse aux Québécois, et qui a joué en sa faveur durant la pandémie, est devenu beaucoup plus problématique pour lui. « En politique, quand ça commence à mal aller, tous les fils se retroussent, fait remarquer Sébastien Bovet. Et ce qui faisait la force de François Legault pendant la pandémie, c’est-à-dire son ton de bon père de famille, il passe moins bien maintenant parce que la recette est un peu usée. Puis les Québécois veulent des résultats. Est-ce que ces négociations avec les fonctionnaires vont donner des résultats pour améliorer les systèmes de santé et de l’éducation ? Si cela ne débouche pas, ce sera le premier ministre en bout de ligne qui en sera tenu responsable par la population ». 

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François Legault, premier ministre québécois | R. YAGHOBZADEH • AP IMAGES

François Legault doit donc avoir bien hâte de tourner la page sur 2023. Il doit espérer que ces deux importantes réformes de la santé et de l’éducation puissent porter fruit mais comme elles impliquent de gros changements, les résultats vont peut-être prendre du temps à survenir.

« 2024, je la vois surtout pour François Legault, à essayer d'éviter de glisser sur les pelures de bananes qu’il lance lui-même sur son chemin, conclut Sébastien Bovet. Et pour la deuxième moitié, espérer que les réformes qu'il a fait adopter, les investissements chez Hydro-Québec et dans l'économie verte, commencent à porter leurs fruits, que l'inflation baisse et que le moral soit meilleur. Ça va lui prendre des résultats et ils ne vont pas survenir, je pense, avant la deuxième moitié de 2024 ».