Fil d'Ariane
En donnant l'ordre de bombarder des sites nucléaires iraniens, Donald Trump a fait le pari de la force plutôt que celui de la diplomatie. Ce virage stratégique de Washington face à Téhéran a des conséquences difficiles à mesurer pour les experts.
Un panneau d'affichage électronique affiche une image du président Donald Trump à côté du message "Thank you, Mr. President" faisant référence à l'implication des États-Unis dans la guerre entre Israël et l'Iran, à Ramat Gan, Israël, dimanche 22 juin 2025.
Choisir la force, plutôt que la diplomatie. Le président américain Donald Trump a ainsi fait basculer près d'un demi-siècle d'antagonisme entre les États-Unis et la République islamique en un conflit ouvert, avec les encouragements d'Israël, alors que Washington avait au cours des dernières décennies privilégié - parfois à contrecoeur - la diplomatie.
Dix jours de conflits
- Le 13 juin 2025 Israël lance une offensive massive contre l’Iran et cible ses infrastructures nucléaires, énergétiques et militaires, notamment à Téhéran.
- Plusieurs hauts gradés iraniens sont tué, comme le chef du corps des Gardiens de la Révolution Hossein Salami ou le chef d’état-major des forces armées iraniennes Mohammad Bagheri.
- L’Iran riposte en bombardant des bases israéliennes et américaines en Irak et en Syrie.
- Des milices pro-iraniennes attaquent également des intérêts occidentaux dans la région.
- Dans la nuit du 21 au 22 juin, les États-Unis mènent des frappes aériennes contre des sites nucléaires iraniens, notamment à Fordo et Natanz, avec des bombardiers B-2.
- Washington justifie ces frappes comme une mesure de "sécurité mondiale".
"Nous ne saurons si (ce pari) est réussi que si, d'ici trois à cinq ans, le régime iranien n'a pas acquis les armes nucléaires qu'il a maintenant de bonnes raisons de vouloir obtenir", déclare Kenneth Pollack, vice-président du Middle East Institute et lui-même ancien analyste de la CIA.
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Les renseignements américains n'ont pas conclu que l'Iran construisait une bombe nucléaire. Les travaux sur l'atome de Téhéran étaient largement considérés comme un moyen de pression, et il est probable que l'Iran avait pris des précautions en prévision d'éventuelles frappes.
Il est maintenant plus probable que l'Iran devienne un État doté d'armes nucléaires dans les cinq à dix ans.
Trita Parsi, vice-président exécutif de l'Institut Quincy
Mais pour Trita Parsi, un critique de l'action militaire, avec la décision de bombarder de M. Trump, "il est maintenant plus probable que l'Iran devienne un État doté d'armes nucléaires dans les cinq à dix ans". "Nous devrions faire attention à ne pas confondre le succès tactique et le succès stratégique", ajoute Trita Parsi, vice-président exécutif de l'Institut Quincy pour une politique d'État responsable. "La guerre en Irak a également été un succès dans les premières semaines, mais la proclamation par le président Bush d'une 'Mission accomplie' a fait long feu", rappelle-t-il.
Un régime iranien affaibli
- La décision d'attaquer de Donald Trump, plus d'une semaine après qu'Israël a lancé une importante campagne militaire, est survenue alors que le régime iranien est le plus affaibli depuis la révolution islamique de 1979.
- Depuis l'attaque du 7 octobre 2023 contre Israël par le Hamas, qui bénéficie du soutien de l'Iran, Israël a non seulement détruit une grande partie de Gaza mais aussi décimé le Hezbollah, qui frappait son territoire depuis le Liban pour le compte de Téhéran.
- Par ailleurs, le principal allié de l'Iran parmi les dirigeants arabes, le président syrien Bachar al-Assad, a été renversé en décembre 2024.
- Les dirigeants religieux iraniens font également face à une forte opposition interne.
- D'importantes manifestations ont éclaté en 2022 après la mort en détention de Mahsa Amini, une jeune Iranienne arrêtée pour avoir mal ajusté son voile.
Les partisans de l'attaque de Donald Trump font, eux, valoir que la diplomatie ne fonctionnait pas puisque l'Iran est resté inflexible sur son droit d'enrichir de l'uranium.
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"Contrairement à ce que certains diront dans les jours à venir, l'administration américaine n'a pas précipité la guerre. En fait, elle a donné à la diplomatie une chance réelle", assure Ted Deutch, ancien membre démocrate du Congrès qui dirige désormais l'American Jewish Committee. "Le régime iranien meurtrier a refusé de conclure un accord", ajoute-t-il.
Un avis que partage le sénateur républicain John Thune qui, en rappelant les menaces de Téhéran contre Israël et les propos iraniens contre les États-Unis, affirme que l'Iran a "rejeté toutes les voies diplomatiques vers la paix".
L'attaque ordonnée par Donald Trump survient presque une décennie après que l'ancien président Barack Obama a scellé un accord aux termes duquel l'Iran a considérablement réduit ses activités nucléaires et dont Donald Trump s'est retiré en 2018, au début de son premier mandat. La majorité du Parti républicain de Donald Trump et le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, qui considère l'Iran comme une menace existentielle, avaient critiqué l'accord sur le nucléaire iranien parce qu'il permettait, selon eux, à Téhéran d'enrichir de l'uranium à des niveaux susceptibles de permettre la production d'armes nucléaires et que les clauses essentielles avaient une date limite d'application.
Mais le président américain, se présentant comme un faiseur de paix, avait déclaré, il y a seulement un mois, lors d'une visite dans les monarchies arabes du Golfe, qu'il espérait parvenir à un nouvel accord avec l'Iran, et que son administration préparait de nouvelles négociations. Puis Benjamin Netanyahu a attaqué l'Iran, provoquant un revirement abrupt de Donald Trump.
L'Iran n'a désormais aucune raison de faire confiance à Trump ou de croire que conclure un compromis favoriserait les intérêts de la République islamique.
Jennifer Kavanagh, directrice de l'analyse militaire chez Defense Priorities
"La décision de Trump de mettre abruptement fin à ses propres efforts diplomatiques rendra également beaucoup plus difficile la conclusion d'un accord à moyen et long terme", estime Jennifer Kavanagh, directrice de l'analyse militaire chez Defense Priorities, qui prône la retenue. "L'Iran n'a désormais aucune raison de faire confiance à Trump ou de croire que conclure un compromis favoriserait les intérêts de la République islamique", ajoute-t-elle.
Pour Karim Sadjadpour, de la Carnegie Endowment for International Peace, les frappes américaines pourraient soit renforcer la République islamique, soit accélérer sa chute. "Le bombardement par les États-Unis des installations nucléaires de l'Iran est un événement sans précédent qui pourrait s'avérer transformateur pour l'Iran, le Moyen-Orient, la politique étrangère des États-Unis, la non-prolifération mondiale et potentiellement même l'ordre mondial", écrit-il sur les réseaux sociaux. "Son impact se fera sentir pendant les décennies à venir".