Quel serait le visage d'une Birmanie sans sanctions ?

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Quel serait le visage d'une Birmanie sans sanctions ?
Les élections législatives partielles du 1er avril ont encouragé la communauté internationale à reconsidérer les sanctions. (AFP)
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Alors que l'Union européenne vient de lever la plupart de ses sanctions contre la Birmanie pour répondre aux "changements historiques" que connaît le pays, questions sur cet abandon des sanctions.
Quelles en seraient les conséquences pour ce pays d’environ 54 millions d’habitants ? Entretien avec Sophie Boisseau du Rocher, chercheur à Asia Centre, Paris, spécialiste de l’Asie du Sud-Est, actuellement basée à Bangkok.

“L'ouverture du pays aux nouveaux flux commerciaux impliquera une nouvelle organisation de l'économie“

“L'ouverture du pays aux nouveaux flux commerciaux impliquera une nouvelle organisation de l'économie“
Sophie Boisseau du Rocher.
La levée des sanctions est-t-elle purement symbolique ? Les sanctions ont eu peu d’effets. Elles n’ont pas atteint leur objectif. Dès lors, leur levée a d’abord une valeur symbolique, montrer qu’on part sur de nouvelles bases.  Mais les conséquences pour la population seront réelles parce que cette levée va sortir la Birmanie d’une relation déséquilibrée avec les pays occidentaux.  Quel sera donc l’impact économique sur la Birmanie ? Aujourd’hui, les affaires sont principalement organisées en fonction des réseaux et des intérêts corporatistes, notamment, les intérêts de l’Armée. L’ouverture du pays aux flux commerciaux et d’investissement avec l’Occident impliquera une nouvelle organisation de l’économie, plus encadrée sur le plan légal et contractuel. Apprendre à échanger avec les pays Occidentaux prendra longtemps et nécessitera un gros effort de formation. D’ailleurs, des équipes de la Banque Mondiale sont déjà sur place pour préparer cette évolution. Cette levée de sanctions devrait donc avoir de multiples effets bénéfiques. Les Birmans, très pauvres (le PIB par tête atteint difficilement 600 dollars), auront plus d’opportunités.   Qu’en est-il de la relation de la Birmanie avec les voisins et principaux partenaires économiques ? Les pays asiatiques, voisins, ont toujours été présents en Birmanie, terre de ressources et carrefour stratégique sur les routes commerciales. La proximité géographique joue à fond. Les sanctions imposées par l’Europe et les Etats-Unis n’ont fait qu’accélérer le rapprochement entre ces pays puisque les pays asiatiques, y compris le Japon, ne mettent pas de conditions "politiques" aux échanges. Thaïlande, Singapour et Chine constituent les partenaires principaux (70 % des exportations birmanes). L’Inde a aussi une place prépondérante dans le secteur  énergétique.   Comment vont se positionner les pays occidentaux dans cette configuration ? Il est clair qu’ils sont loin derrière mais ils n’ont jamais quitté le pays. Tous les contrats signés avant les sanctions de 1996, et renforcées depuis, ont été respectés. Les sanctions n’ont donc pas empêché des entreprises comme Total de réaliser de substantiels bénéfices et d’en faire d’ailleurs profiter la junte par le biais fiscal. Les Occidentaux sont bien vus, ils ont un savoir-faire et un respect pour leurs employés dont ne s’encombrent souvent pas les partenaires asiatiques. Les réseaux nécessaires pour relancer les affaires vont leur manquer.  Mais la concurrence va être rude.         L’origine de l’embargo était la violation des droits de l’homme par la junte militaire. Risque-t-on de se détourner de la question une fois les sanctions levées ? Oui et non. Oui parce que les chantiers en cours sont colossaux, qu’il va y avoir des ratés dans le processus démocratique et qu’il faudra quand même faire des compromis ; ce n’est pas en quelques mois qu’on va modifier des pratiques ancrées depuis plusieurs décennies. Non, parce que justement, il faut profiter de l’ouverture pour pouvoir diversifier les sources d’information qui ont été accaparées ces dernières années par les ONG. Même si les ONG ont fait un travail formidable, elles étaient souvent la seule source d’information grand public dans ce pays isolé; avec un parti pris évident et une focalisation qu’on ne dénonçait pas dans d’autres pays. La levée des sanctions, et l’ouverture induite,  vont permettre de voir les choses de plus près, de ne pas aviver systématiquement les différences et d’essayer d’impliquer un maximum d’acteurs de la société civile dans l’évolution des pratiques, en matière de droits de l’homme ou ailleurs .   Si on pouvait faire les mêmes reproches aux autres pays de la région, y compris la Chine, pourquoi s’est on plus focalisé sur la Birmanie ?   Terre de colonisation britannique, la Birmanie a peu intéressée après la seconde guerre mondiale. L’assassinat de Aung San a profondément bouleversé le pays ; la tentative de l’unifier qu’ il avait lancée a échoué. L’indépendance une fois acquise en 1948, un climat de tensions a vite gagné le pays. Et a justifié en quelque sorte l’arrivée au pouvoir de la junte militaire en 1962 et la mise en place de la "voie birmane vers le socialisme ". Au départ, l’Union européenne a été laxiste par rapport à ce régime et les dérives qu’on y observait déjà au début des années 1980. Les manifestations réprimées dans le sang en 1988 puis la victoire électorale dont a été privée la LND, en mai 1990, ont réveillé la communauté internationale. Sur le coup, comme les engagements étaient peu importants, l’Union européenne et les Etats-Unis se sont particulièrement concentrés sur ce pays sous la coupe de militaires peu engageants ; prendre fait et cause pour le peuple birman et l’icône que représente Aung San Suu Kyi ne coûtait pas cher et rapportait gros tant l’émotion l’emportait. Ce n’est évidemment pas le cas de la Chine où nos intérêts étaient plus importants et nos relations avec les dirigeants plus complexes et nuancées.  Quel sera le rôle de Aung Saan Su Kyi ? C’est une femme courageuse et aux parcours personnel et politique remarquables. Mais si elle est là aujourd’hui, c’est en partie parce que les Occidentaux lui ont attribué ce rôle et l’ont soutenue dans cette évolution. Ceci étant dit, elle sera évidemment une pièce clé dans la nouvelle configuration birmane car elle fait le lien entre l’histoire et le présent via son père, et entre la Birmanie et l’Occident avec qui elle entretient un lien privilégié. Mais la relation joue dans les deux sens : c’est Aung San Suu Kyi qui a permis à l’Occident de reprendre pied dans le pays en déclarant qu’elle faisait confiance au nouveau gouvernement du président Thein Shein quand les capitales occidentales restaient sur leur garde.

Les sanctions

09.04.2012
Les États-Unis et l’Europe ont appliqué à partir de 1996 des sanctions pour étrangler économiquement la junte militaire au pouvoir. Ce qui s'est traduit par un embargo sur les armes, des interdictions de commerce de pierres précieuses, ainsi que le gel des avoirs de près de 500 personnes et de 900 entités. Par ailleurs l’UE avait interdit de visa certains responsables birmans. L'embargo n’a pas empêché le pays de tisser des liens très étroits avec ses voisins et de développer le tourisme. D'ici au 30 avril l'Union européenne doit réexaminer l'ensemble des sanctions. 

Un pays ouvert aux investissements étrangers

Pendant les années 80 la junte a décidé de sortir de l'autarcie et de faire appel aux investissements étrangers. Cette politique se poursuit jusqu'à aujourd'hui. En 2011, la Birmanie a accueilli 3 milliards de dollars d'investissements étrangers, soit de 7 % à 8 % de son PIB, deux fois la moyenne de la région. Cette année, elle en annonce le double, 6 milliards. Mieux que la Thaïlande. Ce qui porte le taux de croissance à 7 % ou 8 %.

Les garanties du régime

Si la communauté internationale accorde beaucoup plus de crédit à la Birmanie aujourd’hui, c’est parce que les militaires affichent une certaine souplesse. Le geste le plus emblématique étant la libération de la dissidente Aung San Su Kyi en 2010. En 2011, le nouveau président, Thein Sein, a recruté, contre toute attente, des conseillers parmi les civils, pour certains respectueux des droits de l'homme. S'en suivent la suppression du bureau de la censure, l'autorisation des antennes paraboliques permettant de capter des chaînes étrangères, l'ouverture des sites internet, la libération d'une partie des prisonniers politiques, le retour au pays d'opposants, l'autorisation du droit de grève et des syndicats. Le parti de l'opposition a pu ainsi se présenter aux élections législatives partielles du 1er avril 2012. C'est ainsi que la "Dame  de Rangoun" pourra faire son entrée au parlement birman.
Quel serait le visage d'une Birmanie sans sanctions ?