Quelle est la stratégie de Vladimir Poutine pour restaurer la puissance russe ?

Vladimir Poutine s'est exprimé ce jeudi 23 décembre lors de sa conférence de presse annuelle à Moscou. C'était l'occasion pour le dirigeant russe de détailler sa politique étrangère et intérieure. Mais quelle est sa stratégie pour restaurer la puissance perdue de l'URSS ? Jean de Gliniasty, directeur de recherche à l'Iris et ancien ambassadeur de France à Moscou, a livré à TV5MONDE quelques pistes.
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Vladimir Poutine lors de sa conférence de presse annuelle le 23 décembre 2021
Vladimir Poutine a présenté sa stratégie vis-à-vis de l'Occident lors de sa conférence de presse annuelle, le 23 décembre, à Moscou.
Alexander Zemlianichenko/AP
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Depuis plusieurs semaines, la tension monte entre Moscou et les puissances occidentales. Vladimir Poutine est suspecté par l'Union européenne et les États-Unis de préparer une invasion de l'Ukraine, une ex-république socialiste soviétique, dont une partie du territoire, la Crimée, a déjà été annexée par Moscou en 2014. Actuellement, plus de 100.000 soldats russes seraient massés à la frontière ukrainienne, ce qui a suscité l'inquiétude des Européens.

De son côté, le Kremlin reproche aux Occidentaux de menacer l'intégrité de son territoire en soutenant militairement l'Ukraine via l'Otan. Le 17 décembre, la Russie a présenté ses exigences dans un document. Moscou veut bloquer le processus d'élargissement de l'alliance atlantique et limiter l'influence américaine dans son voisinage. Le document est en cours d'étude par Washington.

Ce qu'a dit Vladimir Poutine lors de sa conférence de presse annuelle du 23 décembre :

  • Vladimir poutine a jugé “positive” la réaction de Washington aux propositions sécuritaires de Moscou, qui a exigé que l’Otan et les Etats-Unis cessent leur soutien militaire à l’Ukraine.
  • Tout élargissement futur de l’Alliance atlantique est “inacceptable” pour la Russie.

Ce regain de tensions illustre un nouveau retour en force de Poutine sur la scène géopolitique internationale. Vladimir Poutine, pour qui la disparition du bloc soviétique constitue "la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle", est un grand nostalgique de l'URSS. Depuis son accession au pouvoir en 1999, l'homme fort du Kremlin s'emploie à restaurer la puissance perdue de la Russie. Pour Jean de Gliniasty, l'ambition de la Russie est simple : être sur un pied d'égalité avec ses rivaux.

TV5MONDE : Quelle est la stratégie de Poutine pour renouer avec la puissance de l'URSS ?

Jean de Gliniasty : Selon moi, la question ne correspond pas à la réalité. Poutine est suffisamment lucide pour savoir qu'il ne retrouvera jamais la puissance de la Russie du temps de l'URSS. Pour ne serait-ce qu'une raison : la Chine est une superpuissance. Ce que la Russie n'est pas.

Ce que Poutine cherche à obtenir dans le monde multipolaire, c'est de jouer d'égal à égal avec les autres pôles et d'être une puissance qui lui permet de jouer sur le vaste clavier du monde multipolaire. Il ne cherche pas à retrouver cette fiction d'un dialogue russo-américain tel qu'il existait avant.

La Russie estime avoir la puissance nécessaire pour jouer à un jeu multipolaire et pour parler d'égal à égal avec les uns et les autres. 

Jean de Gliniasty, chercheur à l'Iris et ancien ambassadeur de France à Moscou

TV5MONDE : Comment expliquer le retour en force de la Russie sur la scène internationale ? 

Jean de Gliniasty : La Russie est redevenue une puissance économique. Elle a complètement restauré son armée. 70% de son matériel est ultra-moderne. Le prix du pétrole augmente et ça fait leurs affaires [la Russie est le deuxième producteur mondial de pétrole, NDLR ]. Ils redeviennent un joueur international, mais dans un monde multipolaire.

La Russie estime avoir la puissance nécessaire pour jouer à un jeu multipolaire et pour parler d'égal à égal avec les uns et les autres. 

TV5MONDE : Quelle est la ligne de la politique russe en Ukraine ?

Jean de Gliniasty : C'est une ligne qui a été définie il y a très longtemps, dès la chute de l'URSS. La Russie a demandé que les républiques socialistes soviétiques constitutives de l'URSS ne fassent pas partie de l'Otan.

À l'époque, on avait donné à Gorbatchev l'assurance que l'Otan ne s'étendrait pas à ses frontières. La-dessus, la Russie a une ligne constante. Maintenant, Poutine fait monter les enchères. Pourquoi ? Il n'est même plus question de l'adhésion de l'Ukraine à l'Otan - on sait bien que les Français et les Allemands y sont réticents.

L'élargissement de l'OTAN à l'est de l'Europe
Vu de Russie, l'Ukraine fait figure de dernier rempart face à l'expansion de l'OTAN à l'est.
@TV5MONDE

La question, c'est que l'Otan est déjà sur place et déploie des experts, livre du matériel etc... Les Russes se sont rendus compte qu'ils étaient en train de rater l'essentiel, à savoir que l'Ukraine rentrait de facto dans l'Otan. C'est la coopération accrue de l'Ukraine avec l'Otan qui a incité les Russes à faire monter les enchères.

Mouvements troupes russes frontières Ukraine
Depuis quelques semaines, les mouvements de troupes russes à la frontière avec l'Ukraine se sont intensifiées.
AP

TV5MONDE : La situation en Ukraine peut-elle dégénérer ?

Jean de Gliniasty : Oui, pour d'une raison très simple : des deux côtés, il y a des têtes brulées, des gens qui pensent que seule une guerre permettra à l'Ukraine, avec l'appui de l'Otan et les États-Unis, de récupérer son territoire. Chaque fois qu'il y a eu des négociations, il y a eu des incidents, des tirs de snipers, des bombardements...

Voir - Ukraine : la Russie se prépare-t-elle à une offensive ?

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TV5MONDE : Est-ce que cela montre un regain de confiance dans la puissance de la Russie ? 

Jean de Gliniasty : Les Russes ont compris que le temps joue contre eux et que s'ils ne mettent pas les choses au point, ils allaient tout perdre et se retrouver avec des troupes de l'Otan hyper-sophistiquées en Ukraine. C'est pour ça qu'ils ont tendance à brusquer les choses.

TV5MONDE : Quelles sont les faiblesses structurelles de la Russie ? 

Jean de Gliniasty : Sur le plan stratégique, il y en a très peu. Il ne faut pas non plus surestimer la capacité militaire de la Russie. Même si son budget est le quatrième budget militaire au monde, il représente la moitié de l'ensemble germano-français et un douzième du budget américain. 

L'autre faiblesse est économique. La Russie dépend à 60% de ses exportations de ses hydrocarbures. La Russie tire la moitié de ses ressources en devises de l'Union européenne. C'est une faiblesse. La diversification de l'économie russe, elle aussi, n'est pas suffisante.

Voir - Trente ans après la dissolution de l'URSS, la Russie a-t-elle tourné la page de l'ère soviétique ?

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TV5MONDE : Ces faiblesses empêchent-elles la Russie de se hisser au niveau de ses rivaux ?

Jean de Gliniasty : Le progrès économique est bloqué par la situation internationale. Si vous prenez l'Union européenne en matière stratégique, elle ne pèse rien par rapport à la Russie. Mais si vous prenez les Etats-Unis et la Chine, la Russie est très loin derrière. 

Mais l'ambition de la Russie n'est pas d'être un super grand. C'est d'être un joueur efficace qui défend ses intérêts dans un monde multipolaire. Ils ne réuississent pas si mal que ça. 

La priorité de Poutine, c'est la neutralisation de l'avancée de l'Otan. Une fois qu'il aura réglé ce problème, il pourra se pencher sur le développement du pays

Jean de Gliniasty, chercheur à l'Iris et ancien ambassadeur de France à Moscou

TV5MONDE : Le développement de l'axe Moscou-Pékin est-il une priorité de Poutine ?

Jean de Gliniasty : Si elle n'arrive à régler le problème de l'Ukraine, la Russie n'aura pas besoin de se jeter dans les bras de la Chine. Il n'y a pas d'alliance entre les deux pays mais des coopérations, qui sont de plus en plus étroites car la Russie se sent isolée à l'ouest. Poutine cherche un équilibre.

La priorité de Poutine, c'est la neutralisation de l'avancée de l'Otan. Une fois qu'il aura réglé ce problème, il pourra se pencher sur le développement économique du pays et son effondrement démographique [le pays a perdu quasiment un million de personnes entre octobre 2020 et septembre 2021, NDLR].