Back to top
Le ministre des Affaires étrangères chinois Wang Yi s’est entretenu avec de hauts responsables de dix nations du Pacifique. Ce sommet intervient alors qu’il est en tournée dans plusieurs pays de l’Océan Pacifique. Il qualifie ce déplacement de « voyage de paix, d’amitié et de coopération », selon un communiqué du ministère chinois des Affaires étrangères. La rencontre de ce 30 mai portait sur une plus grande coopération diplomatique, économique et politique entre Pékin et les pays de la région. Elle n’a pas abouti à un accord, mais le camp occidental s’inquiète de cette offensive.
Cette inquiétude est jugée légitime par l’analyste en relations internationales et spécialiste des questions océaniennes Bastien Vandendyck. Il estime que « la Chine a une influence croissante dans la région » et l’absence d’accord n’est pas pour autant un synonyme de défaite.
TV5MONDE : Aucun accord sur la sécurité n’a été trouvé au cours de cette rencontre, qu’est-ce que cela montre de l’influence de la Chine dans la région ?
Bastien Vandendyck : La première chose, c’est qu’il faut voir ce voyage du chef de la diplomatie chinoise déjà comme une réussite. Les Occidentaux ne font aucun voyage de cette ampleur dans cette région du monde. La politique dans la culture océanienne se réalise énormément par échanges. Les Chinois mettent au centre de leur action diplomatique des éléments culturels. Pas forcément dans ce qu’ils financent, mais beaucoup dans ce qu’ils font.
L’action des Chinois dans cette zone s’inscrit dans le temps long, voire dans le temps très long.Bastien Vandendyck, spécialiste des questions océaniennes
Ensuite, il faut comprendre que l’action des Chinois dans cette zone s’inscrit dans le temps long, voire dans le temps très long. C’est l’avantage de Xi Jinping. Dans cinq ans, il sera toujours là, sauf s’il décède. Ils ont un avantage, c’est qu’ils avancent progressivement. C’est une stratégie des petits pas. Aujourd’hui, on a une grosse action qui est très médiatique. Cela donne cette impression de puissance. Même s’il n’y a pas d’accords sur le volet sécuritaire, il y en a qui sont faits sur d’autres thèmes, comme sur le volet économique.
Au Vanuatu, le ministre des Affaires étrangères chinois va signer l’accord qui a été fait pour réhabiliter une piste d’atterrissage sur l’île de Santo. Elle est censée aider à acheminer de l’aide humanitaire, mais si on peut y poser un avion pour du fret humanitaire, un avion de fret classique voire des avions militaires peuvent s’y poser également. Au Kiribati, les Chinois viennent pour acter la signature de l’ouverture de droits de pêche supplémentaires.
La Chine passe des accords économiques aux accords politiques, puis au sécuritaire, puis à la défense.Bastien Vandendyck, spécialiste des questions océaniennes
La stratégie de la Chine dans la région a toujours été la même. D’abord, on avance petit à petit au niveau économique. C’est-à-dire qu’on phagocyte les éléments de l’économie locale parce qu’ils permettent des prêts exceptionnels que les bailleurs internationaux ne font pas. Du coup, les pays sont totalement endettés vis-à-vis de la Chine.
C’est le cas notamment des Samoa ou des Tonga. Ou alors, la Chine prend des parts importantes de l’économie de ces pays-là, comme la mine, le bois comme en Papouasie Nouvelle-Guinée ou aux îles Salomon. Une fois que c’est fait, la Chine passe des accords économiques aux accords politiques, puis au sécuritaire, puis à la défense. C’est ce qu’il se passe par exemple aux Îles Salomon aujourd’hui.
TV5MONDE : Le président des États fédérés de Micronésie a mis en garde les autres dirigeants de la région sur la proposition chinoise vis-à-vis de la sécurité. Comment interpréter cet avertissement ?
Bastien Vandendyck : En fait, les États insulaires ont reçu en partie ou en totalité les accords que propose la Chine. Donc David Panuelo, le dirigeant des États fédérés de Micronésie (EFM) a des éléments probants sur le sujet.
Ce qu’il faut savoir, c’est que les EFM ne sont pas un pays totalement indépendant, comme les Palaos ou comme les Mariannes du Nord ou Guam. Tous ces pays-là, et particulièrement les EFM, sont des territoires que l’on appelle librement associés aux États-Unis.
Ces territoires n’ont pas une pleine possession de leur politique extérieure.Bastien Vandendyck, spécialiste des questions océaniennes
Cela signifie que les États-Unis ont une obligation financière vis-à-vis de ces territoires. Donc ils leur donnent de l’argent. Mais surtout, ces territoires n’ont pas une pleine possession de leur politique extérieure. Donc si demain le Premier ministre du Vanuatu, des Fidjis ou de la Papouasie Nouvelle-Guinée faisait une déclaration qui ressemblerait à celle des EFM, ça serait vraiment intéressant.
Que ce soit un pays qui soit librement associé aux États-Unis et donc dépendant, en quelques sortes, des aléas de la Maison Blanche, cela fait un petit peu ‘piloté’. Ce n’est pas aussi légitime que si un État indépendant avait émis cette mise en garde.
Après, d’un autre côté, les États qui ne sont pas librement associés à un pays occidental dans la région sont déjà des satellites chinois. Donc il y a peu de probabilités que ces territoires prennent des décisions qui aillent à l’encontre de ce que veut la Chine.
TV5MONDE : Comment distinguer les pays sous influence chinoise de ceux sous influence occidentale ?
Bastien Vandendyck : C’est très simple : il faut regarder les pays qui reconnaissent la Chine et ceux qui reconnaissent Taïwan. Ce n’est pas plus difficile que ça. Il faut aussi regarder quels pays sont indépendants et lesquels ne le sont pas.
Parmi ceux qui reconnaissent Taïwan, il y a les Îles Marshall, Nauru, les Palaos et Tuvalu.
En 2019, les Kiribati et les Îles Salomon, qui reconnaissaient historiquement la République de Chine qui correspond à Taïwan changent de bord pour reconnaitre la République Populaire de Chine. Ça a conduit très rapidement, c’est-à-dire deux ans après, aux troubles que l’on connaît aux Îles Salomon.
En fait, Manasseh Sogavare, qui est élu Premier ministre des Îles Salomon, est un soutien historique des Chinois. C’est quelqu’un qui vient de Guadalcanal. Et historiquement, c’est Malaita, l’autre grande île de l’archipel qui dominait. Les Malaitiens ont aidé les Américains à libérer les îles Salomon des Japonais. En partant, les Américains ont installé les Malaitiens au pouvoir, alors que la capitale de l’archipel est sur l’île de Guadalcanal. En 2019, il y a eu un renversement ethnique et politique avec lequel est venu un renversement géopolitique, diplomatique, puisque les îles Salomon ont reconnu la Chine.
TV5MONDE : L’Australie et les États-Unis demandent à la Chine de cesser d’étendre son influence. Est-ce que leurs craintes sont justifiées ?
Bastien Vandendyck : La Chine a une influence croissante dans la région. Est-ce que la Chine va arrêter ? Non. Pourquoi ? Tout simplement parce que c’est dans la nature des hyperpuissances que d'essayer de garantir leur position hégémonique. Aujourd’hui, la Chine poursuit la construction d’une position hégémonique dans le Pacifique, là où les Américains et leurs alliés australiens sont en train de regarder leur hégémonie à eux se défaire petit à petit du fait de deux choses.
La Chine conduit une politique qui est extrêmement efficace, qui est, à terme, dangereuse pour ces pays-là.Bastien Vandendyck, spécialiste des questions océaniennes
La première, c’est que pendant très longtemps, ils se sont désintéressés de ces régions, en pensant qu’elles étaient sous leur main et que ça ne bougerait pas. Dans un second temps, d’un point de vue diplomatique et de l’action dans l’aide au développement, ils n’ont pas fait le nécessaire pour s’assurer de maintenir ces pays-là sous leur influence.
Aujourd’hui, la Chine conduit une politique qui est extrêmement efficace, qui est, à terme, dangereuse pour ces pays-là. En fait, l’influence chinoise se traduit notamment par la captation très importante des ressources primaires, par un non-intérêt pour les droits humains et donc pour les populations civiles.
En plus, ce sont pour la plupart des États où il y a de grandes fractures ethniques et parfois religieuses qui existent, il y a des probabilités de conflit qui sont fortes et ce ne sont pas forcément les Chinois qui vont aider à ça.
Mais surtout, la position des Chinois vis-à-vis du réchauffement climatique n’est clairement pas favorable à ces États insulaires, qui sont extrêmement fragiles face aux conséquences des changements climatiques.
L’Australie, dans sa projection diplomatique, ne se voit pas comme autre chose que l’allié des États-Unis.Bastien Vandendyck, spécialiste des questions océaniennes
TV5MONDE : En Australie, le Parti travailliste met fin à neuf ans de règne des conservateurs lors des élections législatives. Est-ce que cela peut changer la donne ?
Bastien Vandendyck : Dans l’absolu, je dirais oui, parce que les travaillistes sont moins atlantistes que les conservateurs. Pour autant, cela veut tout et rien dire parce que la défense australienne a été bâtie sur le fait d’être un allié des États-Unis. Aujourd’hui, l’Australie, dans sa projection diplomatique, ne se voit pas comme autre chose que l’allié des États-Unis. Anthony Albanese, qui vient d’être élu, a quand même très rapidement réaffirmé son engagement dans l’AUKUS (ndlr : pacte signé entre l'Australie, les Etats-Unis et le Royaume-Uni) et son lien avec les Américains.
La montée des tensions dans la région ne fera qu’accroître les craintes des Australiens et donc les convaincre que leur position pro-américaine est la bonne. L’espoir qu’on peut avoir, c’est que les travaillistes sont souvent plus ouverts au fait de travailler avec d’autres pays que les États-Unis. Par exemple, c’est avec les travaillistes que la France avait commencé à construire de vraies relations avec Canberra. Peut-être qu’Albanese va poursuivre cette ouverture et ne pas s’enfermer uniquement dans une alliance avec les Américains. Mais pour le moment, il est encore un peu tôt pour le juger.