Fil d'Ariane
Depuis que les talibans se sont emparés de Kaboul, capitale de l’Afghanistan, les Afghanes s’inquiètent pour le respect de leurs droits et la communauté internationale aussi. Même si ces derniers ont promis de respecter leurs droits à l’éducation et au travail, le spectre de leur précédent règne dans le pays hante encore les mémoires.
Vendredi 3 septembre, des Afghanes sont descendues dans la rue à Kaboul pour demander à ce que les talibans respectent leurs droits.
Lors de de leur conférence de presse mardi 17 août, le porte-parole des talibans Zabihula Mujahid a vaguement évoqué une volonté d’honorer les droits des femmes et de les autoriser à travailler, tout en respectant leurs interprétations islamiques. Or, de plus en plus de signes montrent que le plus grand changement dans la vision que les talibans ont des femmes est dans l’image qu’ils veulent renvoyer plutôt que dans leurs actes.
Jeudi 2 septembre, des dizaines d’Afghanes ont manifesté à Herat, dans l’Ouest du pays pour appeler au respect des droits des femmes mais aussi pour réclamer leur inclusion dans le gouvernement, alors que les talibans ne semblent pas enclins à leur laisser cette place. À Kaboul, des femmes manifestent également.
Mais ces revendications ne datent pas d’hier. “Il y a une tradition de mouvements féministes en Afghanistan", explique Victoria Fontan, vice-présidente de l'Université américaine d’Afghanistan, en faisant référence à l’association révolutionnaire des femmes d’Afghanistan, fondée en 1977. “Les femmes ont toujours revendiqué le droit au travail et cette place qu’elles vont avoir dans la société afghane tout simplement”, précise-t-elle.
Elles voient que le discours des talibans maintenant est exactement le même que celle de 1996.
Victoria Fontan, vice-présidente de l'Université américaine d'Afghanistan
Selon Victoria Fontan, la fin du premier régime des talibans en 2001 n’a pas été synonyme de meilleures conditions pour les Afghanes : “les droits des femmes ont été instrumentalisés et par les occupants après 2000 et par les talibans.” Mais à présent, “elles voient que le discours des talibans maintenant est exactement le même que celle de 1996”, ce qui explique selon elle pourquoi elles descendent dans la rue. Un acte courageux, qui s'avère dangereux.
“Elles risquent une répression”, poursuit-elle. La vice-présidente de l'Université américaine d’Afghanistan explique voir circuler des vidéos de femmes montrant les coups reçus lors de ces manifestations sur les réseaux sociaux. Elle estime aussi que des membres de la famille de la personne peuvent être victimes de pression de la part des talibans. Par ailleurs, pour le moment, il n’y a que des femmes qui manifestent. “Cela montre bien quelque part que les hommes s’accommodent beaucoup plus de l’arrivée des talibans, considère Victoria Fontan. (…) Ils arriveront beaucoup plus à vivre une vie quasi-normale que les femmes et ils le savent très bien.”
En 1996, les talibans avaient demandé aux femmes de rester chez elles pour des raisons de sécurité, et avaient dit que leur place dans la société serait évaluée lorsque la situation le permettrait, mais cela n’a jamais eu lieu. “C’est exactement la même chose que l’on entends depuis le 15 août”, soutient Victoria Fontan, avant de poursuivre : “rien n’a changé dans la narrative des talibans, qui en 1996 essayaient de rassurer les journalistes occidentaux et qui ont petit à petit resserré l’étau et amené les femmes à rester dans la sphère du privé.”
L’éducation et le médical, d'accord, mais le reste il faut oublier.
Victoria Fontan, vice-présidente de l'Université américaine d’Afghanistan
Pour elle, ce sera la même chose également au niveau de la sphère professionnelle : les Afghanes dans le domaine médical pourront continuer de travailler. Elle ajoute qu’il y aura aussi quelques écoles qui resteront ouvertes aux femmes. Même si l’Université américaine d’Afghanistan ne rouvrira pas physiquement, Victoria Fontan a reçu une circulaire donnant les règles à appliquer en cas de réouverture : “il faudrait ségréger les femmes et les hommes, il faudrait qu’il y ait des entrées différentes dans l’université et il faudrait qu’il y ait que des femmes qui enseignent aux femmes.”
“Une partie de la circulaire parle de changer les programmes pour être en phase avec les doctrines islamiques”, poursuit-elle, avant de conclure : “l’éducation et le médical, d'accord, mais le reste il faut oublier.” Elle ajoute également que même avant le retour des talibans, l’Afghanistan était une république islamique ultra-conservatrice. “Maintenant c’est pire c’est sûr, mais quelque part ce n’est pas une grande différence”, affirme-t-elle.
Le témoignage de Fatima Ayreek, réfugiée afghane
"Depuis que les talibans ont pris le pouvoir, tout a changé : femmes et hommes ont peur de vivre sous leur joug. Ils essayent de paraître plus cléments, mais au vu de ce qu'ils ont fait par le passé et de ce qu’il se passe actuellement, je pense qu'il n'y aura pas de différente. Par exemple, les talibans veulent limiter les activités des femmes, ils cassent leurs caméras, séparent filles et garçons à l’école, refusent que les femmes s’engagent en politique et n’acceptent pas l’art : tous les artistes doivent changer de travail. Ça me désole de voir ça, j’ai l’impression que l’on a perdu tout ce que l’on a acquis ces 20 dernières années.
J’ai l’impression que les talibans sont devenus plus modernes : ils utilisent la technologie et la diplomatie. De ce fait, ils ont le soutien de d’autres pays comme la Chine, l’Iran, le Pakistan ou la Russie. Mais malgré tout cela, le peuple peut avoir un certain pouvoir. Les jeunes générations ont reçu une éducation et n’autoriseront pas les talibans à prendre tous ces pouvoirs aussi facilement. C’est pour cela que les femmes manifestent à Kaboul, Hirat ou Nimrouz et cela créée un petit espoir parmi cette noirceur immense."