Fil d'Ariane
Le Rassemblement national est devenu le premier parti politique en France après les élections européennes du 9 juin. La formation politique espère désormais recueillir une majorité de députés à l’Assemblée nationale. Mais d’où vient ce parti d’extrême droite ?
Des jeunes Français se tiennent au sommet de la statue de la place de la Nation tandis qu'un manifestant anti-Le Pen brandit une affiche dégradée du leader d'extrême droite. Des centaines de milliers de personnes participent au rassemblement du 1er mai contre le candidat d'extrême droite à la présidence, Jean-Marie Le Pen, à Paris, le 1er mai 2002.
Jamais le Rassemblement national n’a été aussi proche du pouvoir en France. D’année en année, le parti d’extrême droite français étend son influence. Avec les élections législatives anticipées, des 30 juin et 7 juillet prochzain, le parti dirigé par Jordan Bardella espère obtenir une majorité absolue à l’Assemblée nationale et former ainsi un gouvernement.
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Pourtant, à l’origine, le parti était marginal dans le paysage politique français. Après la Seconde Guerre mondiale, l’extrême droite est affaiblie. Elle connaît un gain de popularité avec la guerre d’Algérie (1954-1962). À cette époque, Jean-Marie Le Pen est député parachutiste à Alger, “où il s’est engagé et où il a torturé”, explique l’historien Fabrice Riceputi. “Immédiatement à son retour à l’été 1957, il crée un premier parti politique qui s’appelle le Front national des combattants.”
Un parti fondé par d’anciens nazis ?
Ordre nouveau est un groupuscule d’extrême-droite actif de 1969 à 1973.
Le nom de ce mouvement vient de la doctrine nazie “Neuordnung”, qui signifie “ordre nouveau.”
Il souhaite toutefois sortir de l’activisme et lance en 1971 un appel pour un “Front national.”
Le parti politique Front national voit donc le jour en 1972, avec Jean-Marie Le Pen comme président.
L’objectif est de placer le nationalisme au cœur du jeu électoral et de rassembler les forces politiques.
Il compte dans ses rangs Roger Holeindre, qui revendique des actes de résistance et a frayé avec l'OAS, une organisation terroriste clandestine française proche de l’extrême droite, mais aussi Pierre Bousquet, qui fut engagé dans la division française des Waffen SS.
“Ce parti a déjà comme symbole la flamme tricolore qu'ils ont empruntée au parti fasciste italien”, poursuit Fabrice Riceputi. Ce parti politique commence à rassembler des gens issus de l’extrême droite française et d'autres issues de la communauté des rapatriés d'Algérie. Le parti est dissous en 1961 et ses anciens membres “vont avoir beaucoup beaucoup de mal à se remettre de la défaite de l'indépendance de l'Algérie”, analyse l’historien.
Ils réactivent le même racisme colonial qu'il y avait en Algérie.
Fabrice Riceputi, historien
Pour cette raison, lorsque les anciens membres du Front national des combattants (parti d'extrême droite fondé en 1957) fondent le Front national (FN), “très vite, ils mettent au point un discours qui désigne donc les Arabes en particulier, comme des envahisseurs, traîtres, etc”, détaille Fabrice Riceputi. “Ils réactivent le même racisme colonial qu'il y avait en Algérie.” Selon lui, c’est ce qui a joué un rôle idéologique fondamental.
En 1974, le FN se lance dans la course à l'élection présidentielle. Jean-Marie Le Pen n'obtiendra que 0,75% des suffrages exprimés. Le parti connaît son premier vrai succès électoral lors des élections européennes de 1984. Avec 10,95% des suffrages exprimés, le FN obtient 10 sièges au Parlement européen. Il faudra attendre 1986 pour que le Front national fasse son entrée à l'Assemblée, avec 35 sièges sur les 577 que compte l'Hémicycle à cette époque.
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“Évidemment, il y a eu des mutations depuis, continue Fabrice Riceputi. La question de l'islam est devenue beaucoup plus importante et l’islamophobie a pris le pas.” En 2002, le FN axe sa campagne pour l’élection présidentielle sur les thèmes de la préférence nationale et de l’insécurité. Cela permet à Jean-Marie Le Pen de se qualifier au second tour de l’élection présidentielle.
Le président du parti d'extrême droite Front national, Jean-Marie Le Pen, est acclamé par ses partisans après avoir prononcé un discours sur les résultats du premier tour des élections législatives françaises, le 9 juin 2002.
Cet événement s’est ensuite reproduit lors de l’élection présidentielle de 2017 et celle de 2022. Marine Le Pen, fille de Jean-Marie Le Pen a pris la suite de son père en 2011 à la tête du FN. Anaïs Voy-Gillis, chercheuse associée au sein du CEREGE à l’IAE de Poitiers explique que c’est à ce moment que la stratégie de dédiabolisation du parti a débuté.
On ne peut pas parler de la dédiabolisation du FN seul sans considérer l’évolution de la société et son acceptation des discours du FN.
Anaïs Voy-Gillis, chercheuse associée au CEREGE
Tout d’abord, “elle a écarté un certain nombre de figures qui pouvaient être des historiques du FN, proches de Jean-Marie Le Pen, détaille la chercheuse. Ils contribuaient à entretenir une image du RN comme celle d’un parti pas exactement comme les autres.” Après cela, Marine Le Pen renouvelle les figures du parti avec des visages plus jeunes, à l’image de Jordan Bardella, qui a rejoint le parti en 2012 et conduit la liste du parti, renommé Rassemblement national (RN) en 2018 aux élections européennes de 2019.
La dirigeante du Front national français Marine Le Pen et la tête de liste d'extrême droite du parti Rassemblement national français Jordan Bardella avant le début d'une conférence de presse précédant un rassemblement avec les dirigeants de l'UE de droite à Milan, en Italie, le 18 mai 2019.
Ensuite, le discours du parti est devenu “plus polissé.” Si aujourd’hui le RN aborde les thèmes des salaires, des prix de l’énergie ou des retraites, “on retrouve quand même fondamentalement les identités, l'insécurité, l'immigration dans le discours” prononcé par les membres du parti, poursuit Anaïs Voy-Gillis. Toutefois, cela se fait dans des termes moins “outranciers” qu’auparavant, “parce que Jean-Marie Le Pen a quand même quelques sorties qu'il mettait un peu en périphérie de l'échiquier politique”, poursuit la chercheuse.
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“On ne peut pas parler de la dédiabolisation du FN seul sans considérer l’évolution de la société et son acceptation des discours du FN”, estime Anaïs Voy-Gillis. Selon elle, parler d’immigration et d’identité, “qui sont les thèmes forts du FN”, est “quand même quelque chose de largement accepté dans la société.”
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