Fil d'Ariane
Les relations sont particulièrement tendues entre le département français d’outre-mer, Mayotte et Moroni, capitale de l’archipel des Comores. L’opération sécuritaire Wuambushu, ("reprise" en mahorais) se déroule depuis le début dans une certaine confusion. Lancée le 24 avril 2023, elle vise à expulser des migrants illégaux du territoire de Mayotte, dont des Comoriens.
Un bras de fer s'est engagé depuis le début de l'opération entre les deux pays. Moroni a refusé l'accostage d'un bateau en provenance de Mayotte transportant 60 passagers, dont des migrants. Les Comores ont également suspendu le trafic de passagers dans le port de Mutsamudu (Anjouan, nord-ouest), où les personnes expulsées sont habituellement débarquées.
Ce refus de coopérer et cette tension s’expliquent notamment par les liens unissant Mayotte aux Comores. À ce jour, Moroni ne reconnait pas l’autorité française sur l’île de Mayotte et la revendique.
En 1841, Mayotte est achetée pas la puissance coloniale française. Anjouan, Grande Comore et Mohéli, les trois autres îles de l'archipel, ne seront pas achetées mais deviendront en 1886 des protectorats français. Les quatre îles colonisées seront unies administrativement par la France et formeront la colonie de "Mayotte et dépendances".
C’est le 22 décembre 1974 que Paris propose une consultation sur l'indépendance du territoire des Comores. À l’époque, Mayotte est la seule île de l’archipel colonisé à ne pas choisir l’indépendance, à 63%. Deux ans plus tard, la population mahoraise est à nouveau consultée et dit à nouveau vouloir être membre de la République française. L’archipel des Comores conteste et revendique depuis l’autorité sur l’île soeur.
Régulièrement, le président comorien Azali Assoumani réaffirme le « caractère comorien de l’île de Mayotte ». Le 23 septembre 2022, il déclare que « (Son) gouvernement tient à rappeler le caractère comorien de l’île de Mayotte, soustraite à la souveraineté des Comores il y a plus de quarante ans », à l’assemblée générale des Nations Unies.
« C’est un discours politique incontournable pour un dirigeant comorien et il est fondé, compte tenu de la façon dont l’indépendance de Mayotte a été accordée », affirme dans une interview accordée au journal Le Monde l’ethnologue Sophie Blanchy. Le 12 novembre 1975, l’ONU affirmait à l’issue de discussions débouchant sur l’adhésion des Comores en tant qu’État membre des Nations Unies « la nécessité de respecter l'unité et l'intégrité territoriale de l'archipel des Comores, composées des îles d'Anjouan, de la Grande-Comore, de Mayotte et de Mohéli ». Les Nations Unies ont continué de soutenir cet avis jusqu'en 1994.
L’opération sécuritaire Wuambushu, qui vise à expulser les immigrés comoriens en situation irrégulière présents sur l’île, ravive des tensions et révèle toute la complexité de l’identité des Comoriens et des Mahorais.
« Ces populations, qu’elles soient nées à Mayotte, à Anjouan ou à Grande Comore, partagent la même langue, pratiquent la même religion, ont la même conception de la parenté, se sont souvent mariées et continuent de se marier entre elles. Rien ne les distingue si ce n’est que certaines se retrouvent sur ce territoire avec la nationalité française et d’autres pas », explique Sophie Blanchy dans la même interview.
Cette terre dont tant de Comoriens rêvent, reste en outre le département le plus pauvre de France, rongé par l'insécurité et une délinquance qui explosent. Mais pour l’ethnologue, les Comoriens ne sont pas les seuls responsables de la situation à Mayotte, dont 80% de la population vit dans la pauvreté.
« Des Mahorais sont pauvres, déscolarisés, délinquants… Mayotte (…) a une dotation par habitant trois à quatre fois moins élevée que dans l’Hexagone. Le problème est celui du retard de développement de cette île dont la population n’est pas plus importante que celle d’une ville moyenne de 350 000 habitants, mais à laquelle l’Etat ne donne pas des moyens conformes à son statut de département », détaille Sophie Blanchy à nos confrères du Monde.