Devant les évêques de France réunis au Collège des Bernardins, Emmanuel Macron a appelé cette semaine les catholiques à réinvestir la "scène politique, nationale comme européenne" et "retrouver le goût et le sel du rôle [qu'ils ont] toujours joué". Des propos jugés par beaucoup comme une entorse à la laïcité républicaine. Retour sur l'histoire, le principe et la réalité de cette notion très française : la séparation de l'Eglise et de l'Etat.
« Nous partageons confusément le sentiment que le lien entre l'Eglise et l'Etat s'est abîmé et qu'il importe, à vous comme à moi, de le réparer ». Abîmé ? Réparer ? Le lien ? L'affaire se passant en France, les propos d'Emmanuel Macron devant les évêques réunis au collège des Bernardins de Paris ne sont pas longtemps restés sans réplique.
Tollé
« On attend un président, on entend un sous-curé », s'indigne son principal opposant à gauche, Jean-Luc Mélenchon. « La laïcité est notre joyau. Voilà ce qu'un président de la République devrait défendre », abonde le tout neuf premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure.
Et jusqu'à Manuel Valls, ex-Premier ministre défait de François Hollande passé dans le camp macronien : « La laïcité c'est la France, et elle n'a qu'un seul fondement: la loi de 1905, celle de la séparation des Eglises et de l'Etat. La loi de 1905, toute la loi, rien que la loi ».
Laïcité, 1905, séparation de l'Eglise et de l'Etat, des mots qui tonnent régulièrement dans le débat public français. Des notions devenues aussi emblématiques que la baguette de pain ou la tour Eiffel mais qui demeurent, plus que ces dernières, souvent incompréhensibles aux étrangers.
Leur avènement n'est pourtant ni si ancien, ni si mystérieux : dans la France moderne, il y a à peine plus d'un siècle.
La loi 1905 apparait davantage comme le produit d'un contexte que d'un traumatisme historique des guerres de religions ou des persécutions religieuses - tout de même alors bien éteintes depuis des siècles . Animosité croissante à l'égard des influences et ingérences de l'Eglise romaine, propagation des idées socialistes, rapports de force du moment, surtout, au sein de la République naissante ...
Mûrissement
La loi française de 1905 dite de séparation de l’Église et de l’État n'en surgit pas pour autant subitement, ni de rien. Fille des idées mûries aux temps des Lumières, elle a déjà fait l'objet d'une première version lors de la Révolution française.
Deux lois de 1794 et 1795 organisent alors la liberté religieuse, spécifiant déjà « la République ne salarie aucun culte ».
Cette première séparation prend fin en 1801 par l’instauration sous Napoléon du Concordat. Ce dernier, renouant avec une tradition séculaire de gallicanisme – catholicisme français non soumis à Rome – ne revient pas sur la liberté religieuse mais reconnaît la prépondérance de l'Eglise catholique. L’État salarie son clergé.
Ce Concordat reste en vigueur tout au long du XIXème siècle, survivant aux restaurations monarchiques et impériales, à deux révolutions et deux Républiques.
La Troisième République, fondée en 1870 sur les cendres de la Commune de Paris et fort peu révolutionnaire, s’en accommode d’abord. Ce n’est que vers la fin du siècle – avec, en particulier, l’affaire Dreyfus – que la société française connaît un sursaut de bipolarisation où se trouve contestée la place dominante de l’Église.
Durcissement
En 1901, une loi place les congrégations sous le régime des associations et les soumet à autorisation préalable. L’arrivée à la tête du gouvernement l’année suivante du radical-socialiste Émile Combe, ancien séminariste devenu athée, accentue la pression laïque. La réaction de Rome et du courant catholique de droite est vive. Les deux camps s’affrontent dans un climat d’hystérie croissante.
En 1904, l’enseignement est interdit aux congrégations. Les relations diplomatiques avec le Vatican sont rompues. Le Concordat devenant caduc dans les faits, il faut légiférer.
La loi de 1905
Votée le 3 décembre 1905 par 341 voix contre 233, la loi qui réorganise les rapports entre l’Église et l’État français est défendue par deux rapporteurs socialistes : Aristide Briand et Jean Jaurès. Elle ouvre une nouvelle approche tout en tenant compte des réalités culturelles.
Son esprit est tout entier dans ses deux premiers articles :
Article 1er : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes […] »
Article 2 : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. […] »
L’État, en somme, garantit la liberté de conscience, c’est-à-dire le droit d’être ou ne pas être croyant, et la liberté de culte si on l’est. Il garantit sa neutralité en ne subventionnant aucune religion.
I
l lui est interdit de financer la construction de lieux de culte. Il devient propriétaire des églises existantes et prend la charge de leur entretien. La neutralité de l’État s’étend à tout l’espace public. Il ne peut «
élever ou apposer aucun signe ou emblème religieux (…) en quelque emplacement public que ce soit», sauf les cimetières.
Considérée comme une monstruosité par Rome et la droite catholique, la loi de 1905 s’imposera en réalité progressivement dans les faits, sans drame majeur. La guerre de 1914 relégue le sujet au second plan et elle ne sera plus remise en question par la suite, pas même par le régime du Maréchal Pétain. Elle fait aujourd'hui consensus, de l'extrême-gauche à l'extrême-droite... et chez la plupart des croyants.
Exemption et entorses
Des exceptions à sa rigueur, en revanche, sont admises au fil du temps. L’Alsace et la Moselle qui ne sont pas françaises au moment de la promulgation de la loi – elles sont alors intégrées au Reich allemand - se voient reconnaître un statut particulier, apparenté au Concordat, qui perdure aujourd’hui.
L’État, à diverses reprises, accorde des faveurs à des religions par des voies détournées. Ici et là, des communes fournissent à des Églises des terrains sous couvert de baux emphytéotiques (99 ans).
En 1996, l’État apporte une subvention de 5 millions de francs pour la construction d’une mosquée à Evry (Essonne) arguant de la présence en son sein de centres culturels et artistiques. La municipalité de Sarcelles donne aujourd'hui une subvention de 150.000 euros «
pour la partie culturelle» de ce qui est baptisé «
centre culturel et cultuel des Musulmans de Sarcelles ».
Des présidents sous surveillance
Aucune loi ne fixe explicitement l'attitude exigée des présidents de la République.
En pratique, la tradition veut qu'ils observent en la matière une grande réserve en s'abstenant de trop paraître dans des lieux de culte ou de sembler favoriser une croyance. Ce qui n'a jamais interdit leur présence à des cérémonies.
De Gaulle fait célébrer par un
Te Deum la Libération de Paris en 1944. Il respecte sous la Vème République la neutralité de sa fonction mais fait dire des messes privées à l'Elysée.
François Mitterrand réserve sa fréquentation des lieux de cultes aux circonstances graves. Ainsi, en 1982, la synagogue après l'attentat antisémite de la rue des Rosiers. Ce n'est qu'en 1995 qu'il confesse, dans une émouvante interview aux accents de testament
« je crois aux forces de l'esprit ».
Nicolas Sarkozy aime en revanche communiquer sur ses transports religieux. Onze ans avant Emmanuel Macron, fraichement élu, il
célébre à Rome les
« racines chrétiennes de la France » « Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur. ». Ses propos et ses signes de croix répétés lors de la visite choquent une grande partie de l'opinion. La même année, il célèbre la rupture du jeûne à la Grande mosquée de Paris.
Sauf circonstances tragiques - à la synagogue après la tuerie du supermarché casher en 2015, à la messe pour le Père Hamel l'année suivante-, François Hollande manifeste peu d'appétit pour la chose religieuse.
Interrogé en 2013 sur la succession du pape Benoit XVI, il déclare :
« Nous ne présentons pas de candidat ». Un humour que ne partage pas son successeur.