Fil d'Ariane
Le projet de loi relatif aux Jeux Olympiques de Paris, qui auront lieu en 2024 est discuté au Sénat à partir du 24 janvier 2023. Avec cette loi, le gouvernement envisage notamment de durcir les sanctions en cas d’intrusion dans les infrastructures sportives, lors d'un événement sportif. Pour l’instant impunies, celles-ci pourront être sanctionnées de 6 mois de prison et 7500 euros d’amende.
En France, les intrusions médiatiques dans les enceintes sportives par des militants se sont multipliées ces derniers mois. Par exemple, le 3 juin 2022, une activiste du mouvement Dernière Rénovation interrompt la finale du tournoi de tennis de Roland Garros en s’attachant le cou au filet, au milieu du court de tennis. Au mois de juillet, des militants issus du même mouvement perturbent à trois reprises le Tour de France en se plaçant au milieu de la chaussée.
Ce mode d’action rappelle celui des activistes du mouvement britannique Extinction Rebellion. Il s’agit de la désobéissance civile. D’où est-ce que ce procédé vient ? En quoi consiste-t-il ? Pourquoi est-il plébiscité par les activistes pour le climat ?
“La désobéissance civile est avant tout un moyen d’action un outil parmi d’autres pour se mobiliser politiquement et faire passer des revendications dans le domaine public”, décrit Clémence Demay, docteure en droit et avocate stagiaire, spécialiste de la désobéissance civile. Si l’on regarde le concept sous un prisme philosophique, “ça serait une action publique collective de revendication politique en principe non-violente”, poursuit-elle.
Il y a une sorte de consensus pour dire que la non-violence englobe toutes les actions qui n’ont pas comme effet de blesser des personnes ou des êtres vivants. Clémence Demay, docteure en droit
En effet, la non-violence fait partie des principaux critères de définition de la désobéissance civile. “Pour peu qu’on y ait recours, il y a une sorte de consensus pour dire que la non-violence englobe toutes les actions qui n’ont pas comme effet de blesser des personnes ou des êtres vivants”, explique Clémence Demay. Elle précise également que cette définition de la non-violence ne concerne pas uniquement ce mode d’action. “La notion de réunion pacifique de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) se recoupe avec cette définition”, révèle la docteure en droit.
On se bat contre une inaction et on demande à ce qu’il y ait des mesures qui soient prises.Nicolas Turcev, chargé des relations médias de Dernière Rénovation
Mais la définition de la désobéissance civile peut aussi s’interpréter de manière plus large. “De notre côté, on va plutôt avoir tendance à parler de résistance civile”, explique Nicolas Turcev, chargé des relations médias au sein de la "campagne de résistance française" Dernière Rénovation. Il ajoute que cela “s’inscrit très clairement dans la descendance de la notion de désobéissance civile.” L’idée de désobéissance civile consiste selon lui à désobéir à une loi “parce qu’on la trouve injuste et qu’on souhaite la voir abolie ou modifiée”. En revanche, la résistance civile “est une démarche un peu plus proactive, qui vise à demander une action.” Les interventions de Dernière Rénovation ne sont pas faites “directement pour désobéir à une loi contre laquelle on est en désaccord”, explique-t-il. “On se bat contre une inaction et on demande à ce qu’il y ait des mesures qui soient prises."
Si la désobéissance civile consiste à agir sans infliger de dommages physiques, qu'en est-il des dommages matériels ? “La question de la limite des dommages matériels est extrêmement controversée, poursuit la docteure en droit Clémence Demay. Cependant, la dégradation matérielle est acceptée de manière assez large.” Certains militants choisissent toutefois de ne pas l’employer. C’est le cas d’Alternatiba, un mouvement citoyen pour le climat et la justice sociale. “C’est le consensus qu’on a trouvé collectivement il y a quelques années”, explique Zoé Mary, porte-parole du mouvement. Elle précise qu’ils “ne se désolidarisent pas du tout des autres mouvements qui l’utilisent parfois. On comprend même pourquoi on en arrive à ce niveau-là parfois.”
Historiquement, la désobéissance civile “fait partie de la boîte à outils des mobilisations et des mouvements sociaux, mais la plupart du temps en complémentarité à d’autres modes d’action”, analyse Clémence Demay. Elle ajoute qu’il “y a des exemples historiques de victoires par le biais de la désobéissance civile.” “On peut penser à la lutte contre l’esclavagisme, le droit de vote des femmes, les questions anti-ségrégation, le nucléaire dans une certaine mesure”, énumère la docteure en droit.
Depuis 2018 et l’arrivée du mouvement Extinction Rebellion, mouvement social écologiste revendiquant l’usage de la désobéissance civile en France, ce mode d’action semble jouir d’une certaine popularité auprès des militants écologistes. Cependant, on sait que la tradition de l’utilisation de la désobéissance civile est plus ancienne. “Auparavant, l'opinion n’adhérait pas forcément aux idées que défendaient les organisations pratiquant ce mode d’action”, analyse Clémence Demay.
La question se posait de savoir qu’est-ce qu’on pouvait faire d’autre pour essayer de faire bouger les lignes, tout en pouvant se regarder dans le miroir le matin et être au clair avec sa conscience.
Nicolas Turcev, chargé des relations médias de Dernière Rénovation
Si Dernière Rénovation a choisi ce mode d’action, c’est parce que “on a un peu épuisé tous les autres moyens démocratiques et légitimes qui étaient à notre disposition”, explique Nicolas Turcev. “La question se posait de savoir qu’est-ce qu’on pouvait faire d’autre pour essayer de faire bouger les lignes, tout en pouvant se regarder dans le miroir le matin et être au clair avec sa conscience”, poursuit-il.
Les autres moyens d’action sont très peu écoutés et qu’on en arrive au point où c’est le seul qui est vraiment mis en lumière.Zoé Mary, porte-parole de Alternatiba
De son côté, Zoé Mary constate que ce mode d’action est de plus en plus plébiscité chez Alternatiba “parce que les autres moyens d’action sont très peu écoutés et qu’on en arrive au point où c’est le seul qui est vraiment mis en lumière”. Elle regrette que “les actions de désobéissance civile soient plus reprises au niveau médiatique que d’autres, comme les petites actions positives ou les plaidoyers.” Selon elle, cela “pousse les militants à se dire que c’est une des seules solutions qui fonctionne.”
“Maintenant, on voit la désobéissance civile comme un truc d’écolo, mais en réalité, c’est un outil comme peut l’être une manifestation, poursuit la docteure en droit. Il n’y a pas de propriété dans ce mode d’action qui revient à dire qu’il appartient uniquement au milieu écolo.” Par exemple, le Dr Bernard Senet, médecin généraliste dans le Vaucluse, est militant au sein de l’association Le choix-Citoyen, en faveur de l’aide médicale à mourir. En France, cette pratique est illégale. “Parfois je procède à l’injection, lorsque le malade ne peut plus déglutir par exemple, ou s’il y tient particulièrement, explique-t-il dans une interview donnée à l’hebdomadaire français L’Obs. Sinon, il avale lui-même le produit.”
Le 24 janvier 2023, le projet de loi relatif aux Jeux Olympiques de Paris 2024 arrive devant le Sénat. L’article 12 de ce projet de loi vise à punir de peines allant jusqu’à 6 mois d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende les intrusions dans les stades. “Cela vise tous types d’intrusions, ce n’est pas seulement de la désobéissance civile”, précise Ludovic Mendes, député Renaissance de la 2e circonscription de Moselle et secrétaire de la commission des lois de l’Assemblée nationale. “Il faut garantir qu’au niveau des Jeux Olympiques, on ait un cadre légal qui soit suffisamment adapté.”
Sébastien, 37 ans, citoyen soutenant #DernièreRénovation a aspergé la façade du Ministère de la Transition écologique de peinture orange.
— Dernière Rénovation (@derniere_renov) January 6, 2023
« Je suis chercheur en physique théorique, et mon métier c'est de comprendre le monde, et le fonctionnement de l'univers. [1] pic.twitter.com/DzXpJDeZal
Est-ce que cela va dissuader de mener des actions dans les infrastructures concernées ? “L’article 12 du projet de loi relatif aux JO de Paris 2024 ne change absolument rien pour nous, assure Nicolas Turcev. On est déjà dans une démarche de contravention aux lois, on le fait à visage découvert.” De ce fait, “le rajout d’une infraction ne va pas nous démotiver dans le sens où l’alternative, si on ne fait rien, c’est des millions de morts”, analyse-t-il.
Ces dernières années, on sent bien que le traitement est de plus en plus dur au niveau de la répression.Zoé Mary, porte-parole de Alternatiba
Son avis est partagé par Zoé Mary. Elle reconnaît toutefois que cela représente une hausse des risques lors des actions militantes. “On continue d’alerter sur un sujet qui est tellement gigantesque et on a accepté de prendre des risques au nom de ce sujet gigantesque”, reconnaît-elle. La porte-parole d’Alternatiba constate cependant que “ces dernières années, on sent bien que le traitement est de plus en plus dur au niveau de la répression.”
“Il y a une tendance qui s’observe de faire passer par les lois sur le hooliganisme les restrictions de droit de manifester et de la liberté d’expression”, rappelle Clémence Demay. "En Suisse, des militants ont mené une action en s’introduisant dans le stade de foot de Bâle il y a plusieurs années pour dénoncer les forages pétroliers, poursuit la docteure en droit. Ils ont été sanctionnés par le biais des lois contre le hooliganisme.”
Quand on est dans le cadre légal administratif, il n’y a pas de répression, quand on ne respecte pas les règles de la République, il y a répression.Ludovic Mendes, député Renaissance de la 2e circonscription de Moselle
“Parce qu’on fait le choix de ne pas respecter la loi, il faut en assumer les conséquences”, défend Ludovic Mendes. “Quand on est dans le cadre légal administratif, il n’y a pas de répression, quand on ne respecte pas les règles de la République, il y a répression”, poursuit le député. Selon lui, agir par la désobéissance civile “pose plus de problèmes que ça n’apporte de solutions à leurs besoins.”
“Ce n’est pas anodin pour nous de mettre nos carrières, voire nos vies en danger, lance Zoé Marty. On ne fait pas ça par plaisir, on est profondément concernés par le sujet.” “Ce n’est pas une infraction de six mois de prison et 7 500 euros d’amende qui va nous décourager”, affirme Nicolas Turcev. “On réussit quand même à insérer dans le débat public cette question, à faire en sorte qu’elle y reste, poursuit le porte-parole de Dernière Rénovation. Si c’est possible, on aimerait qu’elle reste de façon durable et contraigne le gouvernement à agir.”