Le président de la République française, François Hollande, a participé ce 16 avril 2017 aux commémorations du lancement de l'offensive du Chemin des Dames, en Picardie. Cette bataille sanglante, interminable pour les combattants, est aussi associée à la contestataire Chanson de Craonne et aux mutineries de soldats.
Le 16 avril 1917, à six heures du matin, il pleut, il neige, il fait froid. C'est un sombre tableau de bataille, à l'image de l'hiver qui vient de s'écouler. Selon les plans du général Nivelle, commandant en chef des armées françaises depuis quelques mois, les poilus doivent progresser de cent mètres toutes les trois minutes sur le Chemin des Dames pour en déloger les troupes allemandes. Obus et mitrailleuses ripostent violemment : l'offensive est un échec.
Le Chemin des Dames doit son nom à
deux filles de Louis XV, qui l'empruntaient pour se rendre au château de la Bove. C'est une route d'une trentaine de kilomètres, située au sud de Laon, dans le département de l'Aisne. C'est aussi un point stratégique, une ligne de crête entre deux vallées, celles de l'Aisne et de l'Ailette. A l'époque, elle traverse dix-huit villages,
dont sept ont été partiellement ou totalement détruits pendant la guerre. Les troupes allemandes tiennent ces hauteurs dès septembre 1914 : le Chemin des Dames a connu plusieurs batailles.
Alors que les soldats allemands occupent le village de Craonne et le plateau de Californie qui le surplombe, les Français veulent les en chasser. Cette bataille, connue aussi sous le nom d'
"offensive Nivelle", s'inscrit dans un ensemble d'engagements armés beaucoup plus vaste.
"L’offensive prévue devait être de très grande ampleur. Au nord, les Britanniques étaient chargés de fixer les Allemands, tout en recherchant la rupture. Au sud, les Français devaient mettre en marche trois armées. (…) On l’aura compris, ce qu’on nomme la bataille du Chemin des Dames ou ‘offensive Nivelle’, n’était qu’une partie d’un ensemble d’attaques développées sur un front de 300 km, de la Manche à la Champagne", décrit l'historien Denis Rolland
dans la Lettre du Chemin des Dames, publication régulière du
musée du même nom.
Pour l'offensive du 16 avril, un million d'hommes et 6 000 canons sont mobilisés. Des chars d'assaut devaient, dans un premier temps,
affaiblir les défenses allemandes. Sans succès. Les pertes sont considérables. L'attaque a été imaginée des mois plus tôt, à la fin de l'année 1916, par le commandant en chef des armées, le général Robert Nivelle. Il a promis une
"rupture" décisive, qui
durerait tout au plus 48 heures. L'assaut ne s'achèvera que neuf jours plus tard, le 25 avril. Près de 30 000 soldats français seront tombés, dont
plus de 8 000 "tirailleurs sénégalais"). Craonne est libérée, mais pas le plateau. L'offensive reprend le 4 mai pour en déloger les troupes ennemies. Les soldats progressent lentement, c'est un nouveau bain de sang.
Le 25 juin, la caverne du Dragon est reprise aux Allemands. Cette ancienne carrière de pierres, exploitée dès le XVI
e siècle, doit son nom aux combats qu'elle a parfois abrités. Située sous le Chemin des Dames, elle a été tour à tour occupée par les Français, les Allemands, et parfois même les deux à la fois. D'autres combats suivront encore au Chemin des Dames, jusqu'en mai 1918.
Le village de Craonne a, lui, été détruit pendant les combats. Il n'a pas été reconstruit. Un
arboretum le remplace aujourd'hui. Son relief est composé de trous et de bosses : trous d'obus et restes des maisons qui se sont affaissées sur elles-mêmes, décrit Noël Genteur, maire du village jusqu'en 2014, dans cette vidéo tournée pour les commémorations du centenaire de la Grande Guerre :
Robert Nivelle sera remplacé en mai 2017 par Philippe Pétain, fort de sa victoire à Verdun.
Les témoignages de soldats avant l'attaque sont généralement positifs. Ils attendent de rentrer chez eux, ce doit être un assaut décisif. La "Lettre du Chemin des Dames" reproduit le témoignage du soldat Charles Auguste Bordinat : "Malgré la fatigue et la nuit blanche durant laquelle nous avions appris que l’heure de l’attaque était six heures, tout le monde était prêt et, quelques minutes avant, les cœurs se gonflent, nous raidissent de courage en nous disant peut-être sera-t-il la dernière fois. Milles pensées vous reviennent en ces douloureux moments, on pense à la famille et c’est dans ces rêveries que juste à six heures nous bondissons hors de nos tranchées comme des enragés afin de nous soustraire aux tirs de barrage ennemi car quel est celui qui ne connaît pas ce danger meurtrier en le traversant."
Mais à force d'échecs, les troupes refusent de remonter au front. Ce sont les "mutineries". Le 27 mai, c'est le 18e régiment d'infanterie de Pau qui refuse de monter au front. Des tirs sont échangés, des échauffourées avec la gendarmerie ont lieu, l'Internationale est entonnée. 130 hommes sont arrêtés, dont cinq seront condamnés à mort le 4 juin suivant. L'un d'eux, Vincent Moulia, parviendra à s'évader la veille de la date d'exécution.
La répression des mutineries, qui tient une place importante dans la mémoire collective des Français, a été illustrée par le film de Stanley Kubrick Les sentiers de la gloire (sorti en 1957 mais diffusé en France en 1975), l'histoire de trois soldats fusillés pour l'exemple après l'échec d'une offensive contre une position allemande imprenable.
Une fois devenu chef d'état major à la place de Robert Nivelle, Philippe Pétain améliore certaines conditions de vie des soldats : augmentation du temps de repos et des temps de rotation vers le front. Des "mutins" seront cependant "fusillés pour l'exemple". En tout, plus de 600 soldats ont été condamnés à mort durant la Grande Guerre.
Parmi tous les poèmes et chansons composés durant ces années de guerre, la "Chanson de Craonne" donne à entendre l'horreur et le désespoir vécus par les soldats. Il en existe plusieurs versions, à partir de 1915 : Chanson de Lorette, Chanson de Verdun... Elle reprend un air de bal-musette. Son refrain : "Adieu la vie, adieu l’amour, adieu toutes les femmes ! C’est pas fini, c’est pour toujours de cette guerre infâme. C’est à Craonne, sur le plateau, qu’on doit laisser sa peau. Car nous sommes tous condamnés, nous sommes les sacrifiés."
L'une de ses strophes : "C’est malheureux d'voir, sur les grands boulevards, tous ces gens qui font la foire. Si pour eux, la vie est rose, pour nous c’est pas la même chose. Au lieu d'se cacher, tous ces embusqués feraient mieux de monter aux tranchées. Pour défend' leurs biens, car nous n’avons rien nous autres pauvres purotins. Tous les camarades sont étendus là pour défendre les biens de ces messieurs-là. Ceux qu'ont le pognon, ceux-là viendront car c’est pour eux qu’on crève. Mais c’est fini car les troufions vont tous se mettr' en grève. Ce sera vot' tour, messieurs les gros, de monter sur le plateau. Car si vous voulez la guerre, payez la de votr' peau."
Elle fut interdite d'antenne jusqu'en 1974 et doit être entonnée lors des commémorations de ce 16 avril 2017.
Entraînant, encore de nos jours, des débats houleux quant à la réhabilitation des soldats "mutins", "chair à canon" de la Première Guerre mondiale...