Qui est « Barbecue », le chef de gang qui veut renverser le pouvoir en Haïti?

Il se décrit comme un révolutionnaire. Il se pose en défenseur des quartiers populaires et se présente comme un contrepoids aux élites haïtiennes. La communauté internationale le voit plutôt comme un dangereux criminel qui brandit la menace de la « guerre civile ». Qui est Jimmy « Barbecue » Chérizier, le puissant chef de gang à qui l'on attribue la plus récente escalade de violence en Haïti? Portrait par Myriam Boulianne pour Radio-Canada.

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Barbecue

L'ancien officier de police Jimmy « Barbecue » Chérizier, chef de l'alliance « G9 et Famille », est entouré de membres du gang après une conférence de presse à Port-au-Prince, en Haïti, le 5 mars 2024.

AP
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Un ancien policier

Mardi 5 mars, devant la presse, Jimmy Chérizier, entouré de ses hommes cagoulés, a lancé un avertissement pour le moins grave. "Si [le premier ministre] Ariel Henry ne démissionne pas, si la communauté internationale continue à le soutenir, nous nous dirigeons tout droit vers une guerre civile qui débouchera sur un génocide."

Peu connu à l'international, « Barbecue », dont le pseudonyme remonterait à son adolescence, alors qu'il vendait de la viande grillée dans les rues de la capitale, détient pourtant une longue feuille de route d'événements violents en Haïti.

Originaire du quartier de Delmas, à Port-au-Prince, et ancien officier de la police nationale haïtienne, Jimmy Chérizier, aujourd'hui âgé de 46 ans, est soupçonné d'avoir joué un rôle important dans plusieurs attaques brutales survenues dans la capitale en 2018 et en 2019.

Il a d'ailleurs été évincé des forces de l'ordre après avoir participé en 2018 à un massacre de civils dans un bidonville de Port-au-Prince qui a fait 71 morts, dont des habitants brûlés vifs dans leurs maisons.

S'il a toujours nié son implication dans l'attaque, les États-Unis ont par la suite sanctionné l'ancien officier, en 2020.

Création de l'alliance « G9 et Famille »

Après avoir été exclu de la police, Jimmy Chérizier crée en 2020 une alliance composée des neuf bandes les plus puissantes de la capitale, qu'il baptisera G9 et Famille.

Aujourd'hui constituée d'environ 1000 hommes, l'alliance est principalement composée d'anciens policiers, d'anciens agents de sécurité et d'enfants des rues. Elle commet entre autres des meurtres, des vols, des extorsions, des viols, des assassinats ciblés, du trafic de drogue et des enlèvements.

Ce n'est pas Jimmy Chérizier comme tel qui est le plus à craindre, mais la coalition de ces groupes criminels armés, parce que tous ensemble, ils constituent une force assez grande.

Étienne Côté-Paluck, journaliste indépendant en Haïti

Cet épisode avait déclenché les appels à l'envoi d'une force multinationale pour aider la police haïtienne dépassée – mission toujours en attente de déploiement.

Signe de son influence, Jimmy Chérizier est devenu le premier à être visé, en octobre 2022, par le tout nouveau régime de sanctions de l'ONU contre les bandes armées haïtiennes (interdiction de voyage, gel des avoirs, embargo ciblé sur les armes).

Malgré tout, "Barbecue continue de commettre des actes qui menacent la paix, la sécurité et la stabilité d'Haïti", commentait en septembre dernier le comité d'experts de l'ONU chargé de surveiller l'application des sanctions.

Proche de l'ex-président Moïse

Jimmy Chérizier aurait notamment profité de faveurs de l'ex-président Jovenel Moïse et de la police. Son alliance aurait reçu de l'argent, des armes, des uniformes de police et des véhicules gouvernementaux de la part de hauts fonctionnaires du gouvernement Moïse, ce qui lui aurait permis de perpétrer des massacres.

Jimmy Chérizier

Jimmy Chérizier est considéré comme un héros dans son quartier natal, et plusieurs habitants le considèrent comme leur protecteur. (Photo d'archives)

 

ASSOCIATED PRESS / DIEU NALIO CHERY

« Barbecue » et le G9 ont toutefois connu un revers lorsque leur parrain politique présumé a été assassiné en juillet 2021.

Selon InSight Crime, 50 % du financement du G9 provenait de l'argent du gouvernement avant l'assassinat de Jovenel Moïse. Par la suite, le financement gouvernemental aurait chuté de 30 %. Cela aurait d'ailleurs incité le leader à poursuivre sa lutte contre les personnes qui avaient hérité du contrôle politique du pays.

Ces gangs-là ont été mis sur pied par le pouvoir. La façon de faire de ce régime, quand il est illégitime, c'est de se donner des brigades armées pour se protéger.

Frédéric Boisrond, sociologue

Les gangs en Haïti sont désormais considérés comme une "menace importante", poursuit Frédéric Boisrond. "Les gangs sont mieux équipés et ont une meilleure stratégie que la police haïtienne. Cette dernière est mal préparée et mal entraînée pour faire la guerre."

Défenseur autoproclamé des quartiers populaires

Pourtant, ni les sanctions américaines ni les sanctions onusiennes n'auront eu le dernier mot sur la trajectoire de Jimmy Chérizier, qui a souvent présenté G9 comme un moyen de rétablir la paix à Port-au-Prince.

Nous nous battons pour une autre société, une autre Haïti qui n'est pas réservée aux 5 % de personnes qui détiennent toutes les richesses, mais une nouvelle Haïti où tout le monde peut avoir de la nourriture et de l'eau potable, une maison décente pour vivre, une autre Haïti où nous n'avons pas besoin de quitter le pays.

Jimmy Chérizier, en entrevue à Al Jazeera en 2021

Mardi 5 mars, lors de son point de presse, il a réitéré sa position de défenseur des classes populaires et de contrepoids aux élites du pays. "Il n'est pas question qu'un petit groupe de riches vivant dans de grands hôtels décide du sort des habitants des quartiers populaires", a-t-il clamé.

Alors que Jimmy Chérizier hausse le ton, le premier ministre Ariel Henry figure toujours sur la liste des grands absents depuis son déplacement au Kenya, la semaine dernière, pour solliciter des forces policières.

Selon le média dominicain CDN, l'avion privé du premier ministre aurait atterri à Porto Rico en raison des tensions en Haïti.

Depuis, aucun signe de vie.

Avec les informations de Danielle Kadjo, Agence France-Presse, Reuters, Al Jazeera, BBC et InSight Crime