Qui est Joseph Aoun, le nouveau président du Liban ?

Le commandant en chef de l'armée libanaise, le général Joseph Aoun, a été élu jeudi 9 janvier président de la République, mettant fin à une vacance de plus de deux ans à la tête du pays, qui a aggravé ses crises économique et politique.

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Le président libanais nouvellement élu, Joseph Aoun, assis au palais présidentiel à Baabda, à l'est de Beyrouth, au Liban. AP/ Bilal Hussein.

Le président libanais nouvellement élu, Joseph Aoun, assis au palais présidentiel à Baabda, à l'est de Beyrouth, au Liban. AP/ Bilal Hussein.

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"Aujourd'hui commence une nouvelle ère dans l'histoire du Liban", a déclaré Joseph Aoun après avoir prêté serment au Parlement, sous les applaudissements des députés.

Joseph Aoun, qui aura 61 ans vendredi 10 janvier, s'est engagé à des consultations rapides pour nommer un Premier ministre afin de sortir le pays de la paralysie politique.

Il a promis de respecter l'accord de trêve avec Israël, après la guerre meurtrière qui a opposé l'armée israélienne au Hezbollah jusqu'à fin novembre. Il a aussi assuré que l'Etat aurait désormais "le monopole des armes".

Joseph Aoun a en outre affirmé qu'il refuserait "toute ingérence" dans la justice. "Il n'y a aucune immunité pour les criminels ou les corrompus, et il n'y a pas de place pour les mafias, le trafic de drogue ou le blanchiment d'argent", a-t-il dit.

99 voix sur 128

Joseph Aoun a recueilli 99 voix sur 128 au Parlement lors d'une deuxième session dans l'après-midi de ce jeudi 9 janvier. Il n'avait obtenu que 71 voix au premier tour de scrutin dans la matinée, les 30 députés du Hezbollah et de son allié, le mouvement chiite Amal, ayant voté blanc.

Mais une rencontre au Parlement entre des représentants des deux formations et le commandant en chef de l'armée entre les deux tours, a changé la donne, lui assurant la majorité nécessaire pour l'emporter.

Le président élu, en tenue civile, est entré dans l'hémicycle sous les applaudissements pour prêter serment.

Soutien des États-Unis et de l'Arabie saoudite

La candidature de Joseph Aoun, qui a une réputation de probité et d'impartialité, était appuyée par les États-Unis et l'Arabie saoudite, poids lourd régional, selon des responsables politiques libanais.

Des ambassadeurs de plusieurs pays ainsi que l'émissaire français pour le Liban, Jean-Yves Le Drian, ont assisté à la session parlementaire. Les pressions diplomatiques se sont récemment intensifiées sur les parlementaires pour les pousser à choisir le commandant en chef de l'armée.

Le Hezbollah, acteur incontournable de la scène politique, est sorti affaibli après deux mois de guerre avec Israël et la chute début décembre du président syrien, Bachar al-Assad, son allié.

Joseph Aoun est issu de la communauté chrétienne maronite, à laquelle la présidence est réservée, en vertu du partage confessionnel du pouvoir qui accorde aux musulmans sunnites le poste de Premier ministre et aux musulmans chiites celui de président du Parlement.

Le Liban était doté d'un système présidentiel mais les pouvoirs du chef de l'Etat ont été largement diminués par l'accord de Taef ayant mis fin à la guerre civile (1975-1990) au profit du Conseil des ministres.

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Rôle-clé de l'armée

Depuis la fin du mandat du président sortant, Michel Aoun (sans lien de parenté avec le commandant en chef de l'armée), en octobre 2022, le Parlement n'est pas parvenu à élire un président.

Des analystes estiment que le rôle-clé de l'armée dans la mise en œuvre du cessez-le-feu entre Israël et le Hezbollah, entré en vigueur le 27 novembre, a été un facteur déterminant pour l'ascension de Joseph Aoun vers la présidence.

Cette élection s'est tenue après le sérieux revers infligé par Israël au Hezbollah dans la guerre qui les a opposés, tuant notamment son chef, Hassan Nasrallah.

L'accord de cessez-le-feu prévoit le déploiement de l'armée libanaise dans les zones frontalières au fur et à mesure du retrait de l'armée israélienne des zones qu'elle a occupées pendant le conflit. Le Hezbollah doit retirer ses troupes et démanteler toute infrastructure militaire dans la région.

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Les Etats-Unis, la France et l'ONU supervisent le mécanisme de mise en œuvre du cessez-le-feu.

"Nous discuterons d'une stratégie de défense complète (...), afin de permettre à l'Etat libanais de mettre fin à l'occupation israélienne et de repousser ses agressions", a déclaré Joseph Aoun.

Il a dit vouloir "les meilleures relations possibles avec les pays arabes frères". Les liens entre le Liban et plusieurs pays arabes se sont tendus ces dernières années en raison du rôle influent du Hezbollah, considéré comme "terroriste" par certains Etats du Golfe. 

Joseph Aoun a également appelé à entamer "un dialogue sérieux et respectueux avec l'Etat syrien pour discuter de (...) tous les dossiers en suspens", après la chute du président Bachar al-Assad.

Bilan reconnu à la tête de l'armée

Le général n'a aucune expérience politique mais tire profit de sa position à la tête d'une des institutions les plus respectées du pays. L'armée a aussi pu rester à l'écart des dissensions politiques qui déchirent le pays.

Au sein de l'armée, il a su manœuvrer pour surmonter les crises, notamment un effondrement économique qui a frappé de plein fouet la solde de ses 80 000 soldats, l'obligeant à accepter des aides internationales pour préserver son institution.

Intervenant désormais dans le fief du Hezbollah, qui a promis une "coopération totale", le chef de l'armée doit veiller à préserver le précaire équilibre social et confessionnel du jeu politique libanais : ne pas fâcher le mouvement pro-iranien sans s'attirer les foudres de ses détracteurs.

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Le militaire au verbe laconique, chauve et à la carrure solide, peut compter sur son réseau tissé à travers l'ensemble de la classe politique libanaise, mais aussi ses contacts avec les capitales occidentales, Paris et Washington en tête.

"Il a la réputation d'être un homme intègre", indique à l'AFP le politologue Karim Bitar. "Au sein de l'armée libanaise, il est perçu comme quelqu'un de dévoué, qui défend l'intérêt national, et qui essaye de consolider l'institution, la seule encore épargnée par le confessionnalisme et qui tient encore debout".

Mohanad Hage Ali, du think-tank Carnegie pour le Moyen-Orient, souligne ses "liens avec les Etats-Unis", l'armée libanaise étant financièrement soutenue par Washington. "Il a entretenu des relations avec tout le monde, mais il a souvent été critiqué par les médias affiliés au Hezbollah" justement pour cette connexion américaine, ajoute-t-il. Outre l'allié américain, l'institution a reçu des aides du Qatar ou de la France.

Encore un militaire

Une conférence internationale organisée à Paris en octobre a permis de lever 200 millions de dollars pour l'armée, un soutien vital : au plus fort de la crise économique en 2020, l'armée avait même dû retirer la viande des repas servis à ses militaires.

"Tout le monde reconnaît son bilan sans faute à la tête de l'armée", indique à l'AFP un diplomate occidental. "Mais peut-il se muer en politicien? C'est la question." À l'aise en français et en anglais, le général Aoun est père de deux enfants. 

Pour Karim Bitar, "même parmi ceux qui le respectent, nombreux sont ceux" qui étaient opposés à son élection, "essentiellement parce qu'il vient de l'armée". Car certains ex-présidents au profil similaire ont laissé aux Libanais "un arrière-goût amer", ajoute-t-il. Sans compter que cela pourrait entériner l'idée que le chef de l'armée peut "systématiquement devenir président".

Michel Aoun était aussi un ancien commandant des forces armées libanaises, et ses trois prédécesseurs étaient également issus des rangs de l'institution militaire.       

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Liesse à Aïchiyé

À Aïchiyé, village natal du commandant de l'armée dans le sud du Liban, les habitants ont laissé éclater leur joie, a constaté un correspondant de l'AFP.

Des portraits du général Aoun ornaient les rues, accompagnés de slogans de soutien.

"Nous nous attendions à sa victoire aux élections, car ce que nous savons du général suffit pour œuvrer à la construction d'un État", a déclaré à l'AFP Anissa Aoun, depuis la place du village.

Le nouveau président a la lourde tâche de désigner un Premier ministre, à la tête d'un nouveau cabinet qui devra obtenir la confiance de la communauté internationale et mettre en œuvre des réformes urgentes, pour relancer l'économie et reconstruire les zones dévastées dans le sud.

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Félicitations à l'international

Paris a félicité Joseph Aoun et souhaité que le Liban se dote d'un "gouvernement fort". L'ambassade américaine au Liban s'est dite engagée à travailler "en étroite collaboration" avec le nouveau président.

La représentante de l'ONU pour le Liban, Jeanine Hennis-Plasschaert, a estimé que cette élection était "un premier pas tant attendu pour surmonter le vide politique et institutionnel du Liban".

Le ministre israélien des Affaires étrangères, Gideon Saar, a émis l'espoir que l'élection de Joseph Aoun contribuerait à de "bonnes relations entre voisins".

Téhéran de son côté a salué l'élection du nouveau président, en espérant que les deux pays coopéreront pour servir leurs "intérêts communs", selon l'ambassade de l'Iran au Liban sur le réseau social X.