Fil d'Ariane
Il a été lors de sa carrière un des portes paroles de l’état-major des armées de 2010 à 2013, année de l’opération Serval au Mali. Sa nomination n’est pas anodine. Elle illustre un changement de paradigme stratégique en cours au sein des forces armées françaises selon Jean-Pierre Maulny chercheur spécialiste des questions de défense au sein de l’IRIS, l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques.
Le général Thierry Burkhard ne cesse de réaffirmer que l’armée doit se renforcer pour faire face à des conflits de haute intensité entre États puissances
Jean-Pierre Maulny, spécialiste des questions de défense
« L’armée française, comme d’autres armées occidentales a axé son engagement et ses réflexions sur la guerre contre-insurrectionnelle ces 20 dernières années. Le général Thierry Burkard ne cesse de réaffirmer que l’armée doit se renforcer pour faire face à des conflits de haute intensité entre Etats puissances. L’armée doit redécouvrir ce qu’est un conflit symétrique après avoir travaillé sur des conflits asymétriques », estime le chercheur.
Le général Burkhard a présenté dans une vidéo sa vision de ce que doit être l'armée de terre en 2030.
« Les militaires français ont été marqués par le conflit du Haut-Karabagh, de 2019. Les forces arméniennes ont été submergées par les drones de fabrication turc que l’armée azerbaidjanaise possédait. Face à ce nouveau type d’équipement, face à ce nouveau type de menace Thierry Burkard estime qu’il faut « durcir l’armée française face à ces nouvelles menaces », poursuit le chercheur spécialiste des questions de défense. L'homme est également issu de l'armée de terre. Il est le patron de l'armée de terre.
"Tenir un discours sur le durcissement des armées milite pour l'acquisition de nouveaux équipement. En terme budgétaire, l'armée de terre a été le parent pauvre des forces armées contrairement à la marine nationale ou l'armée de l'air qui portent la dissuasion nucléaire", explique Jean-Pierre Maulny.
Aujourd'hui, le niveau d'emploi en bande sahélo-saharienne est d'environ 1.000 à 1.200 hommes. Mais demain, la guerre se déroulera au niveau des brigades et des divisions, soit entre 8.000 et 25.000 hommes
Le général Thierry Burkhard
Les mots mêmes du général confirment l’analyse de Jean-Pierre Maulny.
En novembre dernier dans une interview accordée à l’AFP Thierry Burkhard appelait à un vrai changement de doctrine. " Cela fait plus de dix ans que l'armée s'est concentrée sur la menace du moment qu'était le terrorisme militarisé", or elle "doit changer d'échelle et se préparer à des conflits plus durs, de haute intensité", alors que s'accélère la compétition stratégique sur la scène mondiale, expliquait-il. "Aujourd'hui, le niveau d'emploi en bande sahélo-saharienne est d'environ 1.000 à 1.200 hommes. Mais demain, la guerre se déroulera au niveau des brigades et des divisions, soit entre 8.000 et 25.000 hommes", ajoutait le général.
"La haute intensité, ce n'est pas que le nombre de chars. C'est la saturation dans tous les domaines: flux logistiques, nombre de blessés, flux électromagnétiques…", expliquait également ainsi le général français Vincent Guionie à l’AFP
L’armée française va donc réapprendre à connaitre le théâtre européen. La France prépare ainsi l'exercice Orion. Ces manœuvres inédites sont prévues début 2023. 5.000 à 7.000 militaires vont être déployés pendant quatre mois, avec peut-être un pic à 10.000 hommes. D’ici 10 ans, l’armée française doit justement être prêtre à envoyer sur un théâtre d’opération 10 000 hommes puissamment armés capable d’affronter une puissance étatique.
Cette montée en puissance va être rendu possible par le désengagement français dans la bande sahélienne. Dans son discours aux armées ce 13 juillet, le président français Emmanuel Macron a annoncé que l’opération Barkhane forte de 5000 hommes allait s’achever « au premier trimestre 2022 ». Le dispositif sera allégé. Entre 2500 et 3000 hommes seulement seront présent au Sahel.
La France ne quitte pas l’Afrique mais il est vrai que Thierry Burkhard devra gérer l’après Mali
Jean-Pierre Maulny, spécialiste des questions de défense
« La France ne quitte pas l’Afrique mais il est vrai que Thierry Burkhard devra gérer l’après Mali. Il faudra remobiliser les armées sur autre chose », estime Jean-Pierre Maulny, chercheur spécialiste des questions de défense. Yves Boyer, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique abonde dans le même sens. « Après le Mali, il faut remobiliser les troupes sur autre chose. En entreprise on appelle cela un projet d’entreprise. Thierry Burkard veut mobiliser les troupes sur un autre objectif, celui de la haute intensité, celui de la guerre symétrique », estime le chercheur.
« L’armée française ne va pas cependant affronter des puissances étatiques comme la Russie ou la Turquie. La Russie est une puissance nucléaire. Ces puissances se sont réarmées. La Russie désormais par exemple mobilise plusieurs dizaines de milliers d’hommes lors de manœuvres militaires. Elles ont imposé de nouveaux standards d’entrainement et d’équipement. Et tout le monde observe ce que le voisin fait. Les armées françaises veulent se jauger à ces nouvelles méthodes d’entrainement », décrit le chercheur Yves Boyer.
Les ambitions ne correspondent pas aux moyens. La France qui possède aujourd’hui le deuxième domaine maritime au monde ne compte que 15 frégates de premier rang. L’armée n’a que 200 chars de combat
Yves Boyer, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique
Mais est-ce que l’armée française a les moyens de ces ambitions ? Le chercheur Yves Boyer en doute. « Les ambitions ne correspondent pas aux moyens. La France qui possède aujourd’hui le deuxième domaine maritime au monde ne compte que 15 frégates de premier rang. L’armée n’a que 200 chars de combats. L’ancien chef d’Etat major de l’armée, Pierre de Villiers parlait d’armée d’échantillons , explique Yves Boyer. « Les budgets sont cependant repartis à la hausse au lendemain des attentats de 2015 » constate pour sa part Jean-Pierre Maulny spécialiste des questions de défense. La France, seule, ne pèse pas. « Une chose est sur si la France réeintègre dans son champs d’action militaire, cela se fera dans le cadre de l’Otan ou dans un cadre européen», ajoute le chercheur.