Fil d'Ariane
Le réformateur Massoud Pezeshkian, 69 ans, a été élu samedi 6 juillet président de la République islamique d'Iran. Il plaide pour un Iran plus tolérant sur le plan social et davantage ouvert à l'Occident.
Le nouveau président réformiste iranien, Massoud Pezeshkian, lors d'un meeting de campagne à Téhéran, Iran, mercredi 3 juillet. AP/ Vahid Salemi.
Arrivé en tête du premier tour le 28 juin, Massoud Pezeshkian a recueilli plus de 16 millions de voix vendredi 5 juillet contre plus de 13 millions à son adversaire, l'ultraconservateur Saïd Jalili, selon les premiers résultats officiels.
Cela représente 53,6% des voix contre 44,3% pour son adversaire, selon les autorités électorales. Après un premier tour le 28 juin marqué par une forte abstention, la participation s'élève cette fois-ci à 49,8%.
"Le chemin devant nous est difficile. Il ne sera facile qu'avec votre collaboration, empathie et confiance. Je vous tends la main", a déclaré Massoud Pezeshkian aux Iraniens après sa victoire.
Il avait affirmé avant les élections tendre "la main de l'amitié à tout le monde".
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Nul n'aurait parié sur ce député de Tabriz (nord-ouest), lorsque sa candidature a été validée par le Conseil des gardiens. Il faisait face à cinq autres candidats, tous conservateurs, pour cette présidentielle avancée en raison du décès accidentel du président Ebrahim Raïssi.
La présidentielle s'est tenue dans un contexte de mécontentement populaire face à l'état de l'économie du pays pétrolier, frappé par des sanctions internationales.
Massoud Pezeshkian n'est ainsi pas l'une des figures de proue des camps réformateur et modéré, qui ont nettement perdu en influence face aux conservateurs ces dernières années.
Mais cet homme très pieux, que de nombreux Iraniens appellent le "docteur", a réussi à obtenir le soutien d'anciens présidents, le réformateur Mohammad Khatami et le modéré Hassan Rohani, ainsi que de l'ex-ministre des Affaires étrangères Javad Zarif, l'architecte de l'accord nucléaire conclu avec les grandes puissances en 2015.
Durant la campagne, Massoud Pezeshkian a cultivé une certaine humilité, tant sur son apparence, étant vêtu d'une simple veste, que dans ses discours, dénués d'envolées et de fortes promesses.
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Ce père de famille, qui a élevé seul trois enfants après la mort de son épouse et d'un autre enfant dans un accident de voiture en 1993, se présente comme la "voix des sans-voix".
Il a promis d'oeuvrer pour améliorer les conditions de vie des plus défavorisés et de réduire le taux d'inflation, actuellement autour de 40%. Il a aussi promis d'enlever les restrictions imposées sur Internet.
Ce chirurgien de profession a une expérience gouvernementale limitée, qui se résume à un poste de ministre de la Santé de 2001 à 2005 dans le gouvernement réformateur de Mohammad Khatami.
Depuis 2008, il représente Tabriz au Parlement et s'est fait connaître pour ses critiques envers le pouvoir, notamment lors du vaste mouvement de protestation déclenché par la mort en détention de Mahsa Amini en septembre 2022. Cette jeune Kurde avait été arrêtée par la police des mœurs qui lui reprochait d'avoir enfreint le code vestimentaire sur le voile. Massoud Pezeshkian s'était élevé contre le manque de transparence des autorités dans cette affaire.
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Il dénonce le recours à la force par la police pour appliquer l'obligation du port du voile par les femmes. "Nous nous opposons à tout comportement violent et inhumain (...) notamment envers nos sœurs et nos filles, et nous ne permettrons pas que de tels actes se produisent."
Né le 29 septembre 1954 à Mahabad, une ville de la province de l'Azerbaïdjan occidental, il parle azéri et kurde. Ses origines le poussent à défendre les minorités.
Il a plaidé pour davantage de représentation des femmes, ainsi que des minorités religieuses et ethniques notamment les kurdes et les baloutches, dans le gouvernement.
Des images diffusées par les médias d'Etat ont montré un rassemblement à Tabriz pour "saluer la victoire" du président élu. Des Iraniens, interrogés par l'AFP après l'élection, ont salué sa victoire, d'autres ont dit ne pas croire à un changement.
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Durant la campagne électorale, il a prôné un réchauffement des relations entre l'Iran et les pays occidentaux, États-Unis en tête, afin d'obtenir la levée des sanctions qui affectent durement l'économie de son pays.
"Nous ne serons ni anti-Ouest ni anti-Est", a-t-il déclaré, en souhaitant que l'Iran sorte de son "isolement". Il a promis de négocier directement avec Washington pour la relance des pourparlers sur le nucléaire iranien, au point mort depuis le retrait américain en 2018.
"Si nous parvenons à faire lever les sanctions américaines, les gens auront une vie plus confortable", a-t-il estimé.
Mais le président en Iran a des pouvoirs restreints : il est chargé d'appliquer, à la tête du gouvernement, les grandes lignes politiques fixées par le guide suprême, l'ayatollah Ali Khamenei, qui est le chef de l'État et l'ultime décideur sur les dossiers stratégiques.
Le président exercera une influence sur la politique intérieure et étrangère. Il détermine aussi des politiques financières du pays en proposant le projet de loi budgétaire et la nomination du chef de la banque centrale et du ministre de l'Economie. Il aura cependant un pouvoir limité sur la police iranienne, et pratiquement aucun pouvoir sur l'armée et le Corps des Gardiens de la révolution islamique, l'armée idéologique de l'Iran.
Pour Ali Vaez, de l'International Crisis Group, la victoire de Massoud Pezeshkian "rompt avec une série d'élections nationales qui ont vu le camp conservateur renforcer son emprise sur tous les centres du pouvoir". Toutefois, "la domination continue des conservateurs sur les autres institutions de l'Etat", a-t-il dit sur X. "Et les limites de l'autorité présidentielle signifient que M. Pezeshkian devra mener une bataille difficile pour garantir des droits sociaux et culturels plus importants sur le plan intérieur et un engagement diplomatique à l'étranger".
Le président russe Vladimir Poutine a adressé ses "félicitations sincères" au nouveau président iranien. Il a affirmé : "Les relations russo-iraniennes ont le caractère amical et de bon voisinage". Pays alliés lourdement sanctionnés par les Occidentaux, la Russie et l'Iran "coordonnent leurs efforts de manière efficace pour résoudre les questions d'actualité internationale", a fait valoir le président russe.
"J'espère que votre activité au poste de président va contribuer à un renforcement ultérieur d'une coopération bilatérale constructive tous azimuts pour le bien de nos peuples amicaux", a souligné le maître du Kremlin.
Le Premier ministre indien Narendra Modi a aussi félicité Massoud Pezeshkian. "J'ai hâte de travailler en étroite collaboration avec vous pour renforcer davantage nos chaleureuses et anciennes relations bilatérales dans l'intérêt de nos peuples et de la région", a-t-il écrit sur X (ex-Twitter).
Téhéran et New Delhi entretiennent des relations étroites, la République islamique ayant été pendant de nombreuses années le principal fournisseur de pétrole du géant d'Asie du Sud, jusqu'à ce que les sanctions américaines ne réduisent les échanges. New Delhi a dû trouver un point d'équilibre entre ses relations avec Téhéran, ses liens avec Washington et ses bonnes relations avec Israël.
En mai, l'Iran et l'Inde ont signé un contrat visant à développer et équiper le port iranien de Chabahar, dans le cadre d'un accord qui donnerait à New Delhi un accès de 10 ans à l'installation, déclenchant une vive réaction de Washington qui a averti que les entreprises impliquées risquaient d'être sanctionnées.
Le président chinois Xi Jinping a adressé à son tour ses félicitations au réformateur.
"Face à des situations régionales et internationales complexes, la Chine et l'Iran se sont toujours soutenus mutuellement, ont travaillé ensemble et ont continué à consolider la confiance mutuelle stratégique", a déclaré Xi Jinping. La Chine est un proche partenaire de l'Iran, son plus grand partenaire commercial et l'un des principaux acheteurs de son pétrole sous sanctions.
Plusieurs pays du Golfe ont également adressé des messages au nouveau président, notamment l'Arabie Saoudite, qui a repris ses relations diplomatiques avec l'Iran en mars 2023, et le Koweït, le Qatar, les Emirats arabes unis, Bahreïn et Oman. Le roi de Bahreïn, seul Etat de la région à n'avoir toujours pas normalisé ses relations avec la République islamique, a souligné "l'engagement du royaume à renforcer les relations avec l'Iran".