Qui est Ranil Wickremesinghe, nouveau président du Sri Lanka élu et contesté par le peuple ?

Famille fortunée, neveu d'un ex-chef de l'État et déjà six fois Premier ministre... Le président nouvellement élu au Sri Lanka, Ranil Wickremesinghe, ne fait pas l'unanimité auprès du peuple. Il est considéré comme trop proche du président déchu Gotabya Rajapaksa. Qui est Ranil Wickremesinghe ?

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Ranil Wickremesinghe
Ranil Wickremesinghe, vient d'être élu président du Sri Lanka ce mercredi 20 juillet.
© Eranga Jayawardena/ AP
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"Nos divisions sont maintenant terminées". C'est un message d'apaisement que Ranil Wickremesinghe a choisit de diffuser, à l'occasion de son discours prononcé devant le Parlement juste après son élection ce mercredi 20 juillet. Ce cacique de la politique sri-lankaise de 73 ans vient d’être désigné à la tête de l'État à une écrasante majorité par les députés avec 134 voix. Son principal adversaire Dullas Alahapperuma en récolte 82 et le candidat de gauche Anura Dissanayake, seulement trois.

Il gouvernera jusqu'à la fin du mandat du clan des Rajapaksa en novembre 2024. Cette victoire, il la doit justement au soutien du clan, le plus important du Parlement. Le président déchu Gotabya Rajapaksa aurait exercé des pressions sur les députés pour qu'ils soutiennent sa candidature rapporte un journaliste de l'AFP.  Gotabya Rajapaksa avait fui la colère de son peuple le 9 juillet dernier aux Maldives avant de trouver refuge à Singapour, où il a présenté sa démission.

Ranil Wickremesinghe était déjà président par intérim depuis la fuite. Alors, forcément, la rue, elle, ne veut pas de lui.

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Une figure contestée du peuple

Ranil Wickremesinghe est honni par les manifestants. Ils le considèrent comme un allié et protecteur de Gotabaya Rajapaksa.

Ces derniers ont même incendié sa demeure au moment où la résidence du président Rajapaksa était envahie par le peuple. Les 2 500 livres de sa bibliothèque, son "plus grand trésor" comme il le nomme, ont été réduits en cendres.

La résidence officielle du président Rajapaksa envahie par les Sri Lankais
Les Sri Lankais ont envahi la résidence officielle du président Gotabaya Rajapaksa à Colombo le 11 juillet 2022. Le président a accepté de démissionner, il a tenté de quitter le pays ce 12 juillet mais a été refoulé à l'aéroport par les services d'immigration.
© AP Photo/Eranga Jayawardena
 

Il a participé aux répressions contre la minorité éthnique des Tamouls pendant le conflit srilankais entre 1972 et 2009. Il a du sang sur les mains.
Delon Madavan, chercheur associé au Centre d'études sur l'Inde et l'Asie du Sud.

"Il a une longue carrière depuis les années 70, mais il y a aussi et surtout des faits de guerre", rappelle Delon Madavan, chercheur associé au Centre d'études sur l'Inde et l'Asie du Sud. "Il a participé aux répressions contre la minorité éthnique des Tamouls pendant le conflit srilankais entre 1972 et 2009.  Il a aussi participé à l'écrasement du soulèvement populaire des Cingalais de gauche au même moment. Il a du sang sur les mains." Hormis ces faits, le carrière de Ranil Wickremesinghe ne fait pas non plus office de symbole de la contestation srilankaise.

Une carrière du journalisme à la politique au plus haut de la classe sociale

Il naît dans une famille à la fortune faite dans l'édition à travers le groupe médias Lake House. Ranil Wickremesinghe commence ainsi sa carrière comme reporter au sein du groupe.

Si l'entreprise médiatique de ma famille n'avait pas été nationalisée, je serais devenu journaliste.Ranil Wickremesinghe, président nouvellement élu au Sri Lanka, à l'AFP.

En 1973, La Première ministre de l’époque, Sirimavo Bandaranaike, nationalise l’entreprise familiale. Le jeune journaliste se rapproche du pouvoir. "Si Lake House n'avait pas été reprise, je serais devenu journaliste. En fait, la Première ministre Sirimavo Bandaranaike m'a fait entrer en politique", expliquait-il à l'AFP.

En effet, quelques années plus tard, en 1977, Ranil Wickremesinghe entame sa carrière politique. Il est nommé vice-ministre des Affaires étrangères par son oncle,  Junius Jayewardene (1978-1989), le "vieux renard". Tel oncle, tel neveu, Ranil Wrickemesinghe n’est pas moins réputé pour son habilité à naviguer dans les arcanes du pouvoir.

Une carrière de "vieux renard" de la politique

En 1993, il franchit une nouvelle étape et est élu Premier ministre pour la première fois. Il profite à ce moment-là de la mort du président de l’époque, Ranasinghe Premadasa, dans un attentat-suicide. Lui succédant, le Premier ministre Dingiri Banda Wijetunga nomme Ranil Wickremesinghe à la tête de son gouvernement. C'est le début d'une série de mandats en tant que chef du gouvernement (1993-1994, 2001-2004, 2015-2019).

À (re)lire : Sri Lanka : où en le pays avant l'élection d'un nouveau président ?

Mais le neveu du "renard" de la politique est motivé par le statut ultime, la couronne. Il essuie deux échecs à l’élection présidentielle, une première fois en 1999 et une deuxième fois en 2005. Un attentat-suicide dirigée contre sa principale rivale en 1999, Chandrika Kumaratunga, lui fait, cette fois-ci, défaut. La candidate est blessée trois jours seulement avant le scrutin présidentiel. Elle émeut toute la nation lors d'une apparition télévisée, pansement à œil droit perdu pendant l’attaque. Ranil Wickremesinghe perd l’élection dont il était donné vainqueur.

Malgré les échecs, rien ne l'arrête, quitte à entacher parfois son image. 

Les scandales et ses liens avec les Rajapaksa

Un scandale de délit d'initiés impliquant des obligations de la Banque centrale dégrade son image pendant son mandat de 2015 à 2019. Un camarade d'école à la tête de l'institution est l’un des principaux accusés dans cette affaire.

Il n’aurait pas dû remplacer Mahinda Rajapaksa. Maintenant, il est associé comme un traître à la cause du peuple.

Delon Madavan, chercheur associé au Centre d'études sur l'Inde et l'Asie du Sud.

Mi-mai 2022, il est à nouveau appelé au poste de Premier ministre, quand le frère de Gotayaba, Mahinda Rajapaksa, est poussé à la démission. Selon l’expert Delon Madavan, Ranil Wrickemesinghe fait là une erreur stratégique. "Il n’aurait pas dû remplacer Mahinda Rajapaksa. Son frère Gotabaya Rajapaksa serait parti. Il y aurait eu besoin d’un gouvernement national. Sa nomination aurait pu être logique", explique Delon Madavan. "Maintenant, il est associé comme un traître à la cause du peuple."

Ranil Wrickemesinghe a déjà averti qu'il n'y aurait pas de solution rapide au marasme économique et financier du pays. "Nous sommes en faillite", a déclaré le septuagénaire au Parlement au début du mois. "Le pire est à venir."

Mais son statut de réformateur pro-occidental et de chantre du libre-échange pourraient bien faciliter les négociations avec le Fonds monétaire international (FMI) et les créanciers étrangers sur un possible plan de renflouement.