Fil d'Ariane
Sa carrière, il l'a faite dans l'ombre: celle des prisons israéliennes où il a passé 23 ans, puis de l'appareil sécuritaire du Hamas où il se chargeait des purges. Aujourd'hui Yahya Sinouar est "un mort en sursis", pour Israël.
Yahya Sinouar lors d'un meeting du Hamas dans la ville de Gaza le 30 avril 2022.
Le chef du mouvement islamiste palestinien à Gaza, 61 ans, est l'architecte du 7 octobre. Ce jour-là, des centaines de commandos fondaient sur des kibboutz, des bases militaires et une rave-party en Israël, qui vivait sa pire attaque contre des civils depuis sa création en 1948.
Plus de 1200 personnes, majoritairement des civils sont tués par les militants armés et quelque 240 personnes sont prises en otage.
"C'est sa stratégie, c'est lui qui a monté l'opération" probablement sur un an ou deux, explique à l'AFP Leïla Seurat, chercheuse au Centre arabe de recherches et d'études politiques (CAREP) à Paris.
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L'homme ascétique à la chevelure blanche, mais aux sourcils fournis toujours très noirs, "a imposé son tempo pour changer le rapport de force sur le terrain et a pris tout le monde par surprise".
Celui qui est désormais "le visage du diable", ou le "mort en sursis", selon les termes de l'armée israélienne, n'est pas apparu en public depuis octobre.
"C'est l'homme de sécurité par excellence" qui, avec un "charisme de leader", "prend des décisions dans le plus grand calme", affirmait à l'AFP Abou Abdallah, un ex-codétenu du Hamas, au moment où Yahya Sinouar en prenait la tête en 2017.
En 1987, la première Intifada (le soulèvement contre l'occupation israélienne) éclate dans un camp de réfugiés du nord de la bande de Gaza. L'enfant né dans un camp du sud du territoire, Khan Younès, rejoint le Hamas tout juste fondé.
À 25 ans, il dirige déjà l'Organisation du djihad et de la prédication, l'unité de renseignement du Hamas qui punit les "collaborateurs", ces Palestiniens châtiés pour intelligence avec l'ennemi israélien. En 1988, il fonde Majd, le service de sécurité intérieure du Hamas.
Incarcéré en 1989, il s'impose en leader des prisonniers. Condamné plusieurs fois à la perpétuité, il sort en 2011 avec un millier de détenus libérés par Israël, en échange du soldat Gilad Shalit, otage du Hamas pendant cinq ans. Aujourd'hui encore, le traumatisme demeure dans la société et l'appareil d'État israéliens.
Yahya Sinouar voit Israël éliminer ses mentors, dont le cheikh Ahmed Yassine et Salah Chehadé, fondateur des brigades Ezzedine al-Qassam, la branche armée du Hamas, dont il passe pour le bras droit.
Sur la liste américaine des "terroristes internationaux", il fait l'objet de multiples tentatives d'assassinat.
Élu en 2017 chef du Hamas à Gaza, il impulse une stratégie "radicale sur le plan militaire et pragmatique en politique", décrypte Mme Seurat. "Il ne prône pas la force pour la force, mais la force pour amener (les Israéliens) aux négociations".
Les médias israéliens ont publié des extraits de ses interrogatoires. Il y raconte avoir enlevé un traître. "Nous l'avons amené au cimetière de Khan Younès (...), je l'ai mis dans une tombe et je l'ai étranglé avec un keffieh (...). J'étais sûr qu'il savait qu'il méritait de mourir".
"Il a fait savoir qu'il punirait quiconque tenterait d'entraver la réconciliation avec le Fatah", rappelle le European Council on Foreign Relations (ECFR).
Dans ses discours prononcés devant des affiches du Dôme du rocher, mosquée emblématique de Jérusalem, il n'oublie jamais la Cisjordanie, où les slogans à sa gloire résonnent désormais quotidiennement.
Et les otages israéliens libérés dans le cadre de la la trêve ont été échangés contre un seul prisonnier de Gaza et des dizaines de Jérusalem-Est et de Cisjordanie occupée.
Coûte que coûte, il voulait forcer Israël et le monde à s'intéresser au sort des Palestiniens. La stratégie de la respectabilité des "politiques" du Hamas échoue: il choisira la violence.
Sur fond de désintérêt mondial pour la cause palestinienne, et une normalisation naissante des relations entre des États arabes et Israël, il pousse en 2018-19 pour les "Marches du retour". Ces affrontements le long de la barrière de séparation entre Gaza et Israël font près de 300 morts.
Le 7 octobre, il fait exploser le check-point qui garde l'entrée de la bande de Gaza, sous blocus depuis 2006.
La riposte israélienne a déjà fait près de 15.000 morts, selon le ministère de la Santé du Hamas. Aux deux tiers des femmes et des enfants.