Fil d'Ariane
Pour le régime du président turc Recep Tayyip Erdogan, il était l'ennemi public numéro un, qualifié de terroriste. Pour ses partisans, il était un dirigeant spirituel à la tête d'un mouvement avec des millions de fidèles à travers le monde et un réseau présent dans l'éducation, l'économie et la politique. Le prédicateur musulman Fethullah Güllen est mort en exil aux États -Unis. Qui était-il vraiment ?
Archive - Le prédicateur turc musulman Fethulllah Gülen lors d'une interview, Saylorsburg, 17 juillet 2016, États-Unis.
Il fut l'allié de Recep Tayyip Erdogan avant d'en devenir l'ennemi juré: le prédicateur Fethullah Gülen est mort selon la télévision turque à 83 ans aux Etats-Unis, d'où il aura échappé de longues années durant aux griffes du président turc.
En exil volontaire outre-Atlantique depuis 1999, l'imam, à la tête d'un mouvement aussi puissant qu'opaque, est tenu pour responsable de la tentative de coup d'Etat de juillet 2016, ce qu'il a toujours nié.
Le prédicateur, accusé par le pouvoir turc de diriger un groupe "terroriste", affirmait qu'il ne s'agissait que d'un simple réseau d'organisations caritatives et d'entreprises nommé "Hizmet" ("Service", en turc).
Fethullah Gülen et Recep Tayyip Erdogan, également issu de l'islam politique, furent avant cela longtemps alliés: le chef de l'Etat turc a même profité du réseau Gülen, dans les années 2000, pour asseoir son pouvoir face à l'establishment kémaliste, défenseur d'une Turquie laïque.
Mais l'entente cordiale entre les deux hommes, fragilisée à partir de 2010, vole en éclats lorsqu'un scandale de corruption, orchestré par des magistrats acquis à la nébuleuse guléniste, éclabousse fin 2013 le cercle des intimes de l'alors Premier ministre Erdogan.
Fethullah Gülen devient l'ennemi public numéro 1.
le mouvement de Fethullah Gülen présente de fortes similitudes avec diverses congrégations catholiques comme les Jésuites, Opus Dei ou autres, dont il s'est visiblement inspiré
Bayram Balci, chercheur au Ceri-Sciences Po à Paris
Recep Tayyip Erdogan accuse l'imam, à la tête d'un mouvement présent sur tous les continents via, notamment, un tentaculaire réseau d'écoles privées, d'avoir mis en place un Etat parallèle destiné à le renverser.
La haine du président Erdogan sera décuplée après le putsch manqué de juillet 2016, ourdi selon lui par son ancien allié.
Une chasse aux gulénistes est lancée: des poursuites ont été engagées contre près de 700.000 personnes, et 3.000 d'entre elles, accusées d'avoir joué un rôle dans le coup d'Etat raté, ont été condamnées à la prison à vie, selon les autorités turques.
Dans le cadre de purges sans précédent, plus de 125.000 personnes ont été limogées des institutions publiques, dont quelque 24.000 soldats et des milliers de magistrats.
Des établissements d'enseignement privé, des médias et des maisons d'édition ont aussi été fermés.
En parallèle, les services secrets turcs ont mené plusieurs opérations dans des pays d'Asie centrale, d'Afrique et des Balkans pour ramener de force des partisans présumés de M. Gülen.
Né au tournant des années 40 - en 1938 selon lui, 1941 selon l'état civil - dans la province d'Erzurum, dans l'est de la Turquie, Gülen est passé "d'imam quelconque dans les années 1970" à "dirigeant spirituel d'une vaste communauté qui rassemble des millions de sympathisants (...), présente dans tous les secteurs de l'économie, dans l'éducation, au sein des médias, mais aussi dans divers secteurs de l'administration", relève Bayram Balci, chercheur au Ceri-Sciences Po à Paris, dans une étude parue en 2021.
"Possédant le goût du secret et de l'influence, voire de la manipulation et de l'intimidation (...), le mouvement de Fethullah Gülen présente de fortes similitudes avec diverses congrégations catholiques comme les Jésuites, Opus Dei ou autres, dont il s'est visiblement inspiré", souligne-t-il.
Le prédicateur menait depuis 1999 une vie de reclus dans les Poconos, une région montagneuse et boisée de Pennsylvanie, dans le nord-est des Etats-Unis et n'apparaissait que très rarement en public.