Fil d'Ariane
Leur présence sur le terrain ne fait plus guère de doute, il y a des Africains impliqués dans la guerre en Ukraine. Qui sont-ils ? Combien sont-ils ? Pour qui sont-ils ? Difficile de répondre à toutes ces questions avec précision.
Force est de constater que dès le début les Africains ont été perçus comme de potentielles recrues dans les deux camps.
Dès le bombardement des villes ukrainiennes et l’invasion russe, les Africains qui se trouvaient dans le pays ont suivi le flot de déplacés civils vers l’ouest. Parmi eux, des étudiants venus de tout le pays forment le plus gros du contingent. Or, une fois à la frontière de l’UE, nombre d’Africains ont témoigné avoir eu un traitement distinct du reste des réfugiés ukrainiens. Une situation vécue comme de la discrimination. En outre, certains Africains ont raconté s’être vus proposer de rejoindre l’armée ukrainienne, à l’instar des hommes ukrainiens aptes qui devaient rester combattre.
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Face à l’agresseur russe, l’Ukraine n’hésite pas lancer un appel aux volontaires étrangers. Une Légion internationale pour la défense territoriale de l’Ukraine est instaurée. Deux semaines après l’entrée des troupes russes, le ministre ukrainien des Affaires étrangères Dmytro Kouleba annonce que 20 000 volontaires étrangers se sont engagés issus de 52 pays différents sans plus de précision.
Mais la campagne de recrutement de volontaires par l’Ukraine via ses ambassades ne passe pas dans plusieurs pays africains. Au Sénégal, le gouvernement a exigé de l’ambassadeur ukrainien le retrait d’une annonce postée sur Facebook. Au Nigeria, en Afrique du Sud, en Algérie, les autorités interdisent tout recrutement, peut-être par souci de ne pas être mis à l’index par Moscou.
Un volontaire sénégalais s'engage pour défendre l'Ukraine
Aucune déclaration officielle côté ukrainien n’est venu attester la présence d’Africains dans ses rangs. Dans cette vidéo en anglais, un media pro-ukrainien dresse le portrait singulier d’un Soudanais qui a fait ses études à Poltava et est resté en Ukraine après s’être marié surplace, et s’est engagé dans l‘armée ukrainienne.
De son côté, la Russie avance ses propres chiffres : selon elle, sur un total de « 7000 mercenaires étrangers issus de 64 pays » côté ukrainien, il y aurait « 85 Nigerians dont 38 tués, 35 rentrés au pays et une douzaine toujours présents en Ukraine au mois de juin.
« Mes frères russes, tenez bon ! Nous Africains, nous arrivons bientôt. Courage ! Courage ! » C’est par cette promesse finale qu’un homme africain en tenue militaire s’exprime en français au nom d’un groupe d’une dizaine de ses congénères lourdement armés, tous visage masqué. La scène se passe vraisemblablement en République centrafricaine, comme d’autres vidéos semblables qui circulent au même moment et s’affichent sans détour. Le propos est le même : celui de combattants africains volontaires pour se battre en Ukraine aux côtés de la Russie. L’un d’entre eux le clame même en russe dans sa vidéo.
Mais ces déclarations d’intention sont–elles suivies par des actes ? D’après le journaliste nigérian Philip Obaji Jr du Daily Beast, des combattants apparus dans une des vidéos devant une statue se trouvent en réalité à proximité du camp de Berengo près de Bangui où des instructeurs du groupe Wagner entrainent des soldats centrafricains. La société paramilitaire russe est solidement implantée en République centrafricaine en tant que garde rapprochée du président Touadéra. D’après des sources militaires centrafricaines de haut niveau, le Daily Beast révèle que près de 200 combattants venus de Centrafrique ont été envoyés dès février 2022 par Wagner pour se former militairement en Russie à Moscou.
Ceux que l’on appelle désormais les « Russes noirs » sont d’ex-rebelles de l’UPC, l’Union pour la Paix, qui se sont rendus en acceptant de collaborer avec Bangui et ses alliés russes. Seuls une centaine d’entre eux sont rentrés en Centrafrique début mars, l’autre centaine a été envoyée combattre en Ukraine.
Mais selon Philip Obaji Jr, plusieurs mois plus tard, d’autres recrues centrafricaines envoyées en Ukraine ont été sortis directement de prison par le groupe Wagner. Difficile de donner des chiffres précis sur leur nombre, mais ces détenus sont pour certains auteurs de crimes graves, de viols et de meurtres. Cette méthode de recrutement du groupe Wagner est la même en Russie, appliquée par le patron du groupe Evgueny Prigojine en personne.
Si l’envoi de ces « Russes noirs » centrafricains en Ukraine ne fait pas l’objet de publicité, ce n’est pas le cas de certains individus, combattants africains et pro-russes, dont le témoignage a circulé sur les réseaux sociaux.
L’un des premiers cas connus fut celui d’un Congolais Jean-Claude Sangwa, interrogé par un blogueur pro-russe qui s’étonne de rencontrer un Noir au sein de la milice de Lougansk. En fait, cet étudiant africain parti poursuivre ses études en Russie a été inscrit à l’université de la capitale de cette république séparatiste pro-russe à l’est de l’Ukraine. Selon son propre récit, après le début de l’« opération militaire spéciale » deux autres étudiants africains auraient décidé comme lui de défendre la Russie, leur « deuxième patrie ».
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Dans une autre vidéo de propagande au côté d’Evgueny Prigojine lui-même, on fait connaissance d’un mercenaire ivoirien. C’est un étudiant africain en Russie mais il a été recruté en prison. S’il tait les motifs qui l’y ont amené, les raisons qui poussent des détenus à s’enrôler pour Wagner sont connues. Outre des promesses de salaires et d'une formation rudimentaire, un service de six mois suffit pour recouvrer la liberté. Mais le plus dur, c’est de survivre.
Here is the video with the Wagner Group soldier from Ivory Coast fighting in Ukraine.
— Visegrád 24 (@visegrad24) January 3, 2023
This time with subtitles provided by @Gerashchenko_en. pic.twitter.com/y4zB5kHxh1
Le Zambien Lemekhani Nathan Nyirenda et le Tanzanien Nemes Tarimo n’ont pas eu autant de chance. Tous deux étaient étudiants en Russie à Moscou, mais surtout tous deux détenus en prison, où ils ont été recrutés par Wagner. Pour l'étudiant zambien, ses proches n'étaient pas au courant de sa présence en Ukraine, jusqu’au jour où son corps a été retrouvé.
Âgé de 23 ans, Lemekhani Nathan Nyirenda est décédé le 22 septembre 2022 sur le front en Ukraine. Son pays la Zambie avait alors demandé des explications officielles au ministère russe des Affaires étrangères. Prigojine a écrit plus tard au sujet de cet étudiant qu'il était mort en "héros", après être entré parmi les premiers dans les lignes ennemies...
Nemes Tarimo, 33 ans, est mort fin octobre à Bakhmout, ville du Donbass complètement dévasté, théâtre de combats acharnés depuis des mois. Selon des médias officiels russes, un service funèbre a été célébré et une médaille posthume lui fut remise « pour son courage » par le groupe Wagner.
The Wagner Group has recorded a creepy video from the funeral of Tarimo Nemes Raymond, a Tanzanian student who was recruited by Wagner from prison & killed in battle against the Ukrainian Army on the outskirts of Bakhmut.
— Visegrád 24 (@visegrad24) January 18, 2023
Russia jails Africans & throws them into the meat grinder pic.twitter.com/qU2gKTxuKh
La société Wagner ne s’en cache, le risque de mourir pour les ex-prisonniers recrutés est très élevé. Et pour cause, beaucoup de recrues servent littéralement de chair à canon, envoyées sur le front à la merci des tirs dans l’unique objectif de révéler les positions ennemies, d’après les soldats ukrainiens. Dans une interview à la BBC, le journaliste nigérian Philip Obaji Jr déclare qu’il y aurait des dizaines d’Africains recrutés par Wagner dans les prisons russes.
Selon des témoignages recueillis par Daily Beast, « les Russes noirs » centrafricains se retrouvent dans une situation désespérée : abandonnées par leur commandement, sans munition et sans nourriture. Des mercenaires sans ressources. Et Wagner n’honore pas plus ses engagements de prendre soin de la famille d’un mercenaire tué si son corps n’est officiellement pas retrouvé.
Reste que même la fuite s’avère risquée pour ces mercenaires. Philip Obaji Jr rapporte des témoignages de « Russes noirs » dont les proches ont été kidnappés au pays pour les forcer rejoindre le groupe.
Qu’ils soient recrutés en prison ou pas, pour nombre de mercenaires africains de Wagner en Ukraine, l’engagement sur le front vire au cauchemar, et sauf exception, mène à une mort assurée.