Qui veut la peau des médias publics ?

France, Belgique, Suisse, Canada... dans tous ces pays, les médias de service public sont appelés à changer et devenir plus compétitifs à l'ère du numérique. Faire des économies, se recentrer sur leurs missions premières et renforcer la transversalité des médias. Voilà ce que leur demande leur principal actionnaire : l'État. Mais avec quelles conséquences ?
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Plateau TV5
TV5MONDE
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Emmanuel Macron dit ce qu'il fait, fait ce qu'il dit et mène les réformes au pas de charge. L'audiovisuel public n'échappe pas à la règle.
Parmi les engagements pris lors de la présidentielle 2017 : réinventer la politique culturelle de la France. Dans cette optique, le programme du mouvement "En marche !" est clair : il faut renforcer "le secteur public de l’audiovisuel pour qu’il réponde aux attentes de tous les Français et accélère sa transformation numérique, en concentrant les moyens sur des chaînes moins nombreuses mais pleinement dédiées à leur mission de service public". Pour cela, le candidat Macron propose de rapprocher  "les sociétés audiovisuelles publiques pour une plus grande efficacité et une meilleure adéquation entre le périmètre des chaînes et leurs missions de service public".

Économies bienvenues

Rapprocher, transformer, concentrer.... le tout en faisant des économies.
C'est la mission de la ministre française de la Culture et de la Communication, Françoise Nyssen, qui présentait début juin ses pistes pour réformer  l'audiovisuel public. Des pistes mais pas de chiffrage des économies demandées parallèlement au secteur.
 

Il n'y aura pas de plan de licenciement.                                                                    Delphine Ernotte, Présidente de France Télévisions

Dans un entretien au Parisien, la présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte, se veut rassurante : pas de plan social et pas de réduction drastique du budget de l'entreprise publique. Mais voilà que ce lundi 18 juin, patatras, un article publié par le journaliste Renaud Revel assure que Bercy prépare un plan d'économies drastiques pour les médias publics, y compris TV5MONDE.

Concernant la chaîne francophone, par exemple, les sacrifices demandés paraissent disproportionnés : 38 millions de coupe budgétaire et 200 salariés licenciés, soit la moitié du budget et la moitié des effectifs, selon la note du ministère français de l'Économie. Des chiffres à relativiser toutefois car, d'après nos sources, il s'agirait d'une note émise par Bercy avant la présentation à la presse des pistes de réforme du gouvernement et l'Élysée aura de toute façon le dernier mot.
Que ce soit pour France Télévisions (principal partenaire de TV5MONDE), Radio France et France Médias Monde, il faudra donc attendre le 19 juillet prochain et l'arbitrage du président de la République Emmanuel Macron.

La RTBF prend les devants

Chez les voisins belges, un grand plan de modernisation et de transformation baptisé "Vision 2022" est déjà engagé au sein de la Radio et Télévision Belge Francophone. Il ne s'agit pas d'une "réforme subie mais d’un plan stratégique qui a été défini proactivement par l’entreprise et non par sa tutelle, et qui n’a pas d’objectif de diminution d’effectif ou de dotation publique," explique Nathalie Musch, Program Manager au sein de l’équipe interne de transformation de la RTBF.

Objectif : s'ancrer dans le numérique ​et garder un lien fort avec les plus jeunes générations. Ainsi tout est repensé pour que chaque programme se décline sur tous les supports pertinents pour le public qu’il vise : radio, télé, réseaux sociaux, internet et Auvio (la plateforme numérique de la RTBF qui permet de regarder des contenus audios et vidéos, en direct ou en rattrapage).

Vision 2022 intervient "à un moment où l’entreprise est saine financièrement, et performante sur ses différents médias. Il s’agit donc de se transformer pour assurer une pérennité à moyen terme", précise Nathalie Musch.

RTBF
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La SSR résiste au "No Billag"

En mars dernier, les médias publics de radiodiffusion et de télévision suisses (SSR) ont bien cru que leur dernière heure était arrivée. Mais l'initiative "No Billag" qui visait à supprimer la redevance audiovisuelle a été très majoritairement rejetée par les électeurs (71,6% en faveur du non). "Pour autant, ce vote historique est-il le chèque en blanc d’un service public qui pourrait ainsi continuer bon an mal an, son bonhomme de chemin dans un paysage médiatique chaotique, ravagé, dévasté ? En aucune manière", analyse le Directeur de la SSR , Gilles Marchand, sur son blog.

"Une réflexion de fond est menée de manière transversale à travers toutes les  unités d’entreprises de la SSR (soit dans les 4 régions linguistiques de la Suisse) depuis le mois de mars", nous explique Lauranne Peman, porte-parole à la direction générale. À partir du 1er janvier 2019, 100 millions de francs (environ 86 millions d'euros) doivent être économisés et l'une des pistes avancées serait de "repenser la politique immobilière de la SSR", ajoute-t-elle. Mais la transformation en profondeur des 7 chaînes de télévision et 17 chaînes de radio publiques suisses doit continuer pour faire face aux géants Netflix et autres YouTube."L'un des objectifs aussi est de trouver des synergies entre la radio, la télévision et les offres numériques. Il faut pouvoir répondre aux nouvelles attentes du public", conclut Lauranne Peman.

Radio-Canada en sursis

Au Canada, la grande réforme de la loi sur la radiodiffusion souhaitée par le gouvernement de Justin Trudeau peut attendre. En effet, sa Ministre du Patrimoine, Mélanie Joly, a précisé début juin que les changements n'auront pas lieu avant 2020, soit après les élections fédérales de l'automne 2019. Entre temps, un comité d'experts a été désigné.

Une grande réforme est nécessaire nous explique, Michel Cormier, Directeur de la rédaction à Radio-Canada. "La loi actuelle ne tient pas compte du numérique, ce qui signifie qu'une partie importante de la production de Radio-Canada n'est pas prévue dans la réglementation. C'est une lacune qu'il  faut corriger. Il y a large consensus là-dessus".

L'offre numérique à Radio-Canada se veut complémentaire. Ici aussi"le défi est de revoir les formats et les stratégies de diffusion pour atteindre le public là où il se trouve et sur la plateforme de son choix" ajoute Michel Cormier.

Le numérique, c'est l'avenir deux points zéro des médias publics au Canada, en Belgique, en Suisse et en France. C'est leur avenir tout court.