Raoni en France pour défendre la forêt: une voix mythique qui s'essouffle
Le chef indien Kayapo effectue sa dernière tournée européenne pour alerter l'opinion publique sur la déforestation de l'Amazonie. La date de sa visite a été minutieusement choisie. Toutes les lumières seront, dans quelques jours, braquées sur les stades brésiliens pour la Coupe du monde de football. Un appel à l'aide aux accents de désespoir.
"Nous venons de loin, de très loin, pour vous faire part de nos préoccupations." Il y a dans la manière de parler du cacique Raoni et de son successeur Megaron quelque chose qui impose le respect. Depuis 25 ans, le chef au plateau labial se bat pour défendre son territoire et les droits de son peuple. Pourtant, rien n'est acquis et leur espace de vie est plus que jamais en danger. Il faut continuer à alerter donc. Mais comment faire quand les médias se détournent du problème? Dans le cinéma du Musée du quai Branly où les caciques et les membres de l'ONG Planète Amazone reçoivent la presse, on déplore le peu de journalistes qui ont fait le déplacement. L'ambiance est pesante. Lorsque le cacique Megaron déroule une carte illustrant l'étendue de la déforestation, un étrange sentiment de déjà vu se fait ressentir. Des cartes comme celles-ci, avec leurs îlots de verdure flottant au milieu de larges zones dégarnies, ont déjà été publiées. Mais les discours des caciques, parfois abstraits, illustrent soudain très concrètement le danger de la disparition de la forêt.
Une déforestation incessante "Nous avons besoin de tout dans la forêt et nous marchons parfois plusieurs jours pour trouver une plante qui nous est nécessaire. Alors si on coupe une partie de la forêt, il va nous manquer des choses indispensables à notre survie", explique le cacique Megaron. La vie des indiens d'Amazonie est en danger. Pourtant, le discours ne passe plus. Plus aussi bien qu'en 1989 du moins, lorsque le chef Raoni était parti pour la première fois en tournée avec le chanteur Sting. A la tribune installée pour la conférence, Gert-Peter Bruch, le président de Planète Amazone avoue même : "Ca ne fonctionne pas. On rencontre des gens depuis des années. Cacique Raoni a rencontré des tas d'hommes politiques très importants [...] Il y a eu des dizaines de rendez-vous comme ça, des rencontres avec des présidents. Bien sûr ça a aidé à maintenir un petit peu d'attention mais au delà de ça, où sont les faits? Où sont les actes? Ils n'arrivent jamais."
Grandes instances internationales La cause indienne manque-t-elle de visibilité? Difficile à imaginer tant le cacique Raoni a marqué les esprits. Quant à multiplier les voyages, il sera compliqué de faire plus. Chaque déplacement à l'étranger est éreintant pour ces chefs indiens qui n'aspirent qu'à retrouver au plus vite la quiétude de leur village. Pour alerter l'opinion efficacement on imagine plutôt une sensibilisation auprès des Nations unies ou de la Banque mondiale. Surprise: cela a déjà été fait. En 1992, le G7 et la Banque mondiale lance le PPG7, un "programme pilote pour la conservation des forêts de l’Amazonie brésilienne". "Retenez bien ce projet, PPG7, parce que personne ne s'en souvient aujourd'hui [...] C'est extrêmement embarrassant pour les pays industrialisés de se rappeler qu'ils ont investi énormément dans la protection de la forêt et dans la protection des peuples. Parce qu'aujourd'hui ils ne le font plus", lance Gert-Peter Bruch à la vingtaine de journalistes devant lui. A l'époque, l'Allemagne, les Pays-Bas, l'Italie, la France, le Canada, le Royaume-Uni, les États-Unis ainsi que la Commission européenne et le gouvernement brésilien ont rassemblé 428 millions de dollars pour financer le projet. Il a permis notamment de délimiter les territoires indiens pour les protéger de la déforestation.
Solution diplomatique Parmi les intervenants qui entourent les chefs indiens, Valérie Cabanes est venue représenter End Ecocide, un mouvement citoyen en faveur de l'écologie qui milite auprès du Parlement européen pour la reconnaissance des activités humaines menant à des désastres écologiques comme des crimes contre l'humanité. Une pétition a été lancée. L'ONG prévoit également de remettre en septembre à Ban Ki Moon la Charte de Bruxelles qui prévoit la création d'un Tribunal européen et d'une Cour pénale internationale de l'Environnement et de la Santé. Engagée auprès des grandes instances internationales, cette voie semble plus efficace. C'est peut-être celle qui permettra de contraindre les chefs d’États à prendre des décisions dans le sens de la protection de l'environnement amazonien. Le cacique Raoni prévoit d'ailleurs de se rendre à la prochaine Assemblée générale des Nations unies qui s'ouvrira le 16 septembre. L'objectif est de se faire voir, encore, d'alerter toujours, et de ramener la lumière sur une cause qui ne mérite pas d'être oubliée au profit de la croissance économique brésilienne.
Mépris des indigènes Exemple criant du mépris des peuples autochtones pour des raisons économiques: le barrage du Belo Monte, contre lequel les peuples indiens ont tant lutté, est en construction et pourrait entrer en fonctionnement dès 2015. Raoni résume en quelques mots les conséquences d'un tel projet: "Cela va perturber la migration des poissons et nous ne pourrons plus pêcher [...] L'inondation des terres va également chasser plusieurs tribus d'indiens isolés qui n'ont rien demandé à personne. " 25 ans qu'il met en garde. Gert-Peter Bruch prévient: "Nous ne pouvons pas attendre 25 ans de plus. Dans 25 ans, il n'y aura plus de forêt."