Fil d'Ariane
Visiblement affaibli et vêtu de son sempiternel jogging, Fidel Castro, 89 ans, a reçu le président français lors de sa visite « historique » d’une trentaine d’heures à Cuba, en mai 2015. Cette rencontre surprise entre François Hollande et le Líder Máximo a été immortalisée par Alejandro Castro, un des fils de Fidel. C’est ainsi que le monde entier a été témoin de l’accueil cinq étoiles réservé à la France. Après tout, il était le premier chef d’Etat français à se rendre à Cuba en cinquante ans et le premier après l’annonce du rapprochement entre La Havane et Washington le 17 décembre 2014.
Il était donc naturel que le locataire de l’Elysée lui rende la pareille avec une visite d’Etat, un rang protocolaire extrêmement élevé. Ce lundi 1er février l’Elysée met les petits plats dans les grands pour l’accueillir. Lustre-t-on les dorures de la République pour décrocher de nouveaux contrats dans l’île ? Bien sûr. « Parallèlement à la visite, nous sommes en train d’organiser un forum économique [le 2 février au Medef] pour montrer aux entrepreneurs français les nouvelles opportunités qui existent dans l’île », a déclaré dans une récente conférence de presse Héctor Igarz, l’ambassadeur cubain à Paris. Déjà l’année dernière, de nombreux chefs d’entreprise avaient accompagné François Hollande dans son voyage express.
« C’est une visite très importante, il y a de vrais enjeux économiques, et diplomatiques », souligne Stéphane Witkowski, président du conseil de l’Institut des hautes études de l’Amérique latine (IHEAL). Des enjeux qui ne sont pas dissociables. Parallèlement aux négociations avec les Etats-Unis, Cuba mène de front des pourparlers similaires avec l’Europe, notamment depuis fin 2015. « L’Union européenne est le premier investisseur étranger à Cuba. Le but est de trouver un accord cadre de coopération entre Cuba et l’Union européenne, comme celui qui existe avec les autres pays de la région», ajoute-t-il. Ce pays compte donc sur la position privilégiée qu’occupe la France au sein de l’Union européenne pour normaliser ses relations, gelées depuis 1996, avec l’ensemble communautaire. « Il n’y a pas de raison que la France ou l’Union européenne restent en marge du processus engagé avec Washington.»
Les deux parties s’appuieront sur une relation économique déjà étroite. La France est le 10ème partenaire commercial de l’île et occupe la 4ème place dans les investissements directs étrangers. Les entreprises françaises sont présentes dans des secteurs tels que le tourisme, le bâtiment, la construction et les télécommunications. C’est ce que l’ambassadeur Igarz qualifie de « très favorables relations économiques et commerciales entre les deux pays ».
A l’aune de cette entente plus que cordiale, le gouvernement cubain attend un coup de main de la part du gouvernement français dans un autre dossier très délicat : le Club de Paris. Un groupe informel de pays créanciers qui réunit l'Allemagne, l'Australie, l'Autriche, la Belgique, l'Espagne, les Etats-Unis, le Canada, le Danemark, l'Espagne, la Finlande, la France, la Grande-Bretagne, l'Irlande, l'Italie, le Japon, la Norvège, les Pays-Bas, la Russie, la Suède et la Suisse. «Principale partenaire de Cuba dans ce cadre, Paris préside le club. En décembre dernier, les créanciers et la Havane sont parvenus à un accord », explique Stéphane Witkowski.
Cuba a accepté de payer la somme la plus importante, soit environ cinq milliards de dollars, dû depuis son défaut de 1986, en échange de l'effacement de 11 milliards de charges, d'intérêts et de pénalités. Les négociations portent désormais sur le temps nécessaire pour payer, et sur le montant qui sera réinvesti à Cuba.
« Cet accord est fondamental, estime Antonio Romero Gómez, professeur d’économie à l’Université de la Havane. C’était le dernier obstacle à franchir pour normaliser définitivement nos relations avec les marchés financiers mondiaux. Nous pourrons de nouveaux débloquer de nouvelles lignes de crédit».
Raúl Castro a une troisième raison de renforcer ces liens. La situation économique en Amérique latine, et surtout celle de ses principaux partenaires comme le Venezuela, n’est pas florissante. Sans oublier que de nombreuses sanctions économiques pèsent encore sur l’investissement privé malgré le dégel.