Aujourd’hui célébré de gauche à droite comme une icône nationale, Raymond Aubrac ne fut pas le raconteur apolitique d’une Résistance statufiée en 1944. Jusqu’à ses derniers jours il avait conservé une constante activité au service de son engagement. En parcourant inlassablement les écoles et collèges, honorant à 97 ans tant d’invitations, il entendait certes « témoigner » comme on le lui demandait, mais peut-être plus encore réveiller. Loin de se résumer à un document d’archives à l’usage des historiens, le programme du Conseil National de la Résistance élaboré en 1944 demeurait à ses yeux l’expression d’un idéal vivant de société pour lequel une génération s’était sacrifiée, et qu’il fallait défendre contre ses destructeurs : « Sécurité sociale et retraite généralisée, contrôle des féodalités économiques, droit à la culture et à l'éducation pour tous, une presse délivrée de l'argent et de la corruption, des lois sociales ouvrières et agricoles ». S’il se réfère aux principes de « fraternité » républicains, l’
Appel des Glières (du nom d'un maquis héroïque) qu’il signe en 2004 avec Lucie Aubrac, renouvelle en 2011 avec Stéphane Hessel et d’autres figures historiques, marque une fidélité à des idées aujourd’hui bien moins consensuelles. « Il n'y a pas, précisait-il dans un tribune publiée dans Le Monde, un article du contrat social qui n'ait été remis en cause : déstabilisation de notre système de santé, déremboursement de médicaments, taxation des mutuelles, fragilisation du système de retraite par répartition, atteinte à l'égalité des citoyens face à l'impôt, affaiblissement des associations par la réduction des aides de l'État et l'extension du champ du marché aux activités citoyennes ».
"Nous refusons que la peur soit utilisée pour faire reculer nos libertés »
Solidarité avec les immigrés sans-papiers ou avec les mal-logés, droits de l’homme mais aussi Proche-Orient, il demeurait, au soir de sa vie, plus concerné que jamais par les combats de son temps. Habitué des rassemblements syndicaux ou ceux de partis de gauche, il avait récemment apporté son soutien au candidat François Hollande. S’il le citait rarement nommément, il portait peu d’estime à Nicolas Sarkozy, dont il n’avait pas voulu qu’il lui remît de ses mains la Grand-Croix de la Légion d’honneur. Le 14 juillet dernier, dans une de ses dernières apparitions publiques, le vieux résistant avait lu l’appel suivant : «
Depuis bientôt un an, les plus hautes autorités de l’État s’acharnent à dresser les citoyens les uns contre les autres. Elles ont successivement jeté à la vindicte publique les Roms et les Gens du voyage, les Français d’origine étrangère, les habitants des quartiers populaires, les chômeurs et précaires qualifiés d'« assistés »... Elles ont ressorti le vieux mensonge d’une immigration délinquante, elles pratiquent la politique de la peur et de la stigmatisation. (…)Nous ne supportons plus que la République soit ainsi défigurée, la laïcité instrumentalisée au service de la stigmatisation de millions de nos concitoyens, la xénophobie banalisée dans les propos de ministres et de députés qui prétendent parler en notre nom à tous. Nous refusons que la peur soit utilisée pour faire reculer nos libertés ».