Raymond Aubrac, mort d'un éternel résistant

Il avait connu Jean Moulin, il avait échappé à la Gestapo et à 97 ans il arpentait collèges et lycées pour parler aux jeunes de la Résistance. Avec Raymond Aubrac c'est un pan de l'histoire du XXème siècle qui s'en va.
Dossier.
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Raymond Aubrac, mort d'un éternel résistant
Raymond et Lucie Aubrac. (AFP)
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Il était un des derniers résistants encore en vie. A 97 ans, Raymond Aubrac est parti rejoindre Lucie,compagne de toute une vie de résistance, décédée il y a cinq ans.   Il est né le 31 juillet 1914, jour de l’assassinat de Jean Jaurès, au sein d’une famille de commerçants juifs. Un échec au concours à l’école Polytechnique ne l'empêche pas de devenir ingénieur des Ponts. Le futur résistant décroche ensuite un diplôme de l’université de Harvard. C’est ainsi que l'homme à la pipe rencontre Lucie Bernard qui avait obtenu une bourse pour étudier en Amérique.   La guerre et les lois antijuives viennent ternir un avenir qui s’annonce brillant. C'est le début de son parcours de résistant. Co-fondateur du mouvement Libération Sud, il est arrêté en 1943 avec le chef du Conseil national de la résistance. Raymond Aubrac est libéré grâce à Lucie qui a organisé un raid pour l'arracher aux mains des Allemands. Le couple recherché par la Gestapo part pour Londres, puis pour l’Algérie. 
Dans ce document, Raymond Aubrac raconte sa rencontre avec Jean Moulin.
A la libération, il devient commissaire régional de la République à Marseille, responsable du déminage du littoral puis inspecteur général à la Reconstruction. Toujours très actif et engagé, il se rendait avec des camarades, dont Stéphane Hessel, au plateau de Glières, symbole de la résistance, pour protester contre les visites de Nicolas Sarkozy. Il dénonçait "un coup électoral".

Entretien : Gilles Perrault, “La résistance se poursuit“

L'écrivain-journaliste était un proche de Raymond Aubrac

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Pour Raymond Aubrac, quelle était la définition de la résistance ? Il n'était pas comme les autres. Pour lui la résistance n'était pas question d'une guerre ou d'un acte de bravoure. Pour Raymond, il fallait résister tous les jours. Je l'ai accompagné lui et sa femme dans leurs visites de collèges et lycées. Il répétait inlassablement à ces jeunes que la résistance se poursuivait même quand il n'y avait pas une armée d'envahisseurs. Il restait très attaché au programme du Conseil national de la Résistance , tout comme Stéphane Hessel. L'âge ne semblait pas l'atteindre il est resté actif jusqu'au bout.
Après la fin de la guerre, Raymond Aubrac a poursuivi son combat. Si on devait se souvenir d'une seule chose, que devrait-on retenir ? Il a tout fait pour empêcher la guerre d'Indochine. Il recevait chez lui Hô Chi Minh, auteur de l'indépendance, du Viêt Nam. Raymond faisait partie des gens qui croyaient que s'accrocher à l'empire colonial n'avait aucun sens. Il était convaincu que les colonies ne pouvaient pas perdurer. Mais il a échoué, il n'a pas pu empêcher le conflit. Ce fut finalement une très longue guerre. Quel est le moment de sa vie qui vous a le plus marqué ? Dans une vie aussi romanesque et aussi riche, la grande histoire d'amour qu'il a vécue avec Lucie m'a définitivement marqué. Il s'est fait arrêter par les Allemands et c'est elle qui a organisé le raid qui l'a libéré. Cette femme qui ne voulait pas se séparer de son homme. On n'a pas fini de tourner des films et d'écrire des romans sur ce couple. Je ne connais pas d'histoire semblable.
Dans ce document, le récit de la libération de Raymond Aubrac par lui et son épouse.

Loin de l'icône consensuelle, l'homme engagé

« Nous ne supportons plus que la République soit ainsi défigurée »

par Pascal Priestley
Aujourd’hui célébré de gauche à droite comme une icône nationale, Raymond Aubrac ne fut pas le raconteur apolitique d’une Résistance statufiée en 1944. Jusqu’à ses derniers jours il avait conservé une constante activité au service de son engagement. En parcourant inlassablement les écoles et collèges, honorant à 97 ans tant d’invitations, il entendait certes « témoigner » comme on le lui demandait, mais peut-être plus encore réveiller.   Loin de se résumer à un document d’archives à l’usage des historiens, le programme du Conseil National de la Résistance élaboré en 1944 demeurait à ses yeux l’expression d’un idéal vivant de société pour lequel une génération s’était sacrifiée, et qu’il fallait défendre contre ses destructeurs : « Sécurité sociale et retraite généralisée, contrôle des féodalités économiques, droit à la culture et à l'éducation pour tous, une presse délivrée de l'argent et de la corruption, des lois sociales ouvrières et agricoles ».   S’il se réfère aux principes de « fraternité » républicains, l’Appel des Glières (du nom d'un maquis héroïque) qu’il signe en 2004 avec Lucie Aubrac, renouvelle en 2011 avec Stéphane Hessel et d’autres figures historiques, marque une fidélité à des idées aujourd’hui bien moins consensuelles. « Il n'y a pas, précisait-il dans un tribune publiée dans Le Monde, un article du contrat social qui n'ait été remis en cause : déstabilisation de notre système de santé, déremboursement de médicaments, taxation des mutuelles, fragilisation du système de retraite par répartition, atteinte à l'égalité des citoyens face à l'impôt, affaiblissement des associations par la réduction des aides de l'État et l'extension du champ du marché aux activités citoyennes ».
"Nous refusons que la peur soit utilisée pour faire reculer nos libertés »
  Solidarité avec les immigrés sans-papiers ou avec les mal-logés, droits de l’homme mais aussi Proche-Orient, il demeurait, au soir de sa vie, plus concerné que jamais par les combats de son temps. Habitué des rassemblements syndicaux ou ceux de partis de gauche, il avait récemment apporté son soutien au candidat François Hollande. S’il le citait rarement nommément, il portait peu d’estime à Nicolas Sarkozy, dont il n’avait pas voulu qu’il lui remît de ses mains la Grand-Croix de la Légion d’honneur. Le 14 juillet dernier, dans une de ses dernières apparitions publiques, le vieux résistant avait lu l’appel suivant : « Depuis bientôt un an, les plus hautes autorités de l’État s’acharnent à dresser les citoyens les uns contre les autres. Elles ont successivement jeté à la vindicte publique les Roms et les Gens du voyage, les Français d’origine étrangère, les habitants des quartiers populaires, les chômeurs et précaires qualifiés d'« assistés »... Elles ont ressorti le vieux mensonge d’une immigration délinquante, elles pratiquent la politique de la peur et de la stigmatisation. (…)Nous ne supportons plus que la République soit ainsi défigurée, la laïcité instrumentalisée au service de la stigmatisation de millions de nos concitoyens, la xénophobie banalisée dans les propos de ministres et de députés qui prétendent parler en notre nom à tous. Nous refusons que la peur soit utilisée pour faire reculer nos libertés ».