RD Congo : cinq femmes métisses assignent l'Etat belge pour crimes contre l'humanité

Cinq femmes métisses retirées à leurs mères noires par l’administration coloniale, assignent ce 14 octobre l’Etat belge pour crimes contre l’humanité. Si le Premier ministre Charles Michel s’était "excusé" en 2019, ces femmes demandent une indemnisation. Le jugement devra être rendu dans quelques semaines. Son issue pourrait avoir une portée historique.
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Cinq femmes métisses portent plainte contre la Belgiqque
De gauche à droite, assises, Marie-José Loshi, Noëlle Verbeken et Léa Tavares Mujinga. Debout, Simone Ngalula  et Monique Bintu Bingi. Les cinq femmes sont toutes nées de l'union entre une mère congolaise et un père européen. L'administration coloniale belge les a séparées de leurs parents et placées dans des orphelinats. Elles assignent l'Etat belge pour crimes contre l'humanité le 14 octobre 2021.
© AP Photo/Francisco Seco, File
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Léa Tavares Mujinga, Monique Bintu Bingi, Noëlle Verbeken, Simone Ngalula et Marie-José Loshi, sont toutes nées de l'union entre une mère congolaise et un Blanc. A l'âge de deux, trois ou quatre ans, ces femmes aujourd'hui grands-mères ont été retirées de force à leur famille maternelle, puis placées dans une institution religieuse située "parfois à des centaines de kilomètres de chez elles", explique Maître Michèle Hirsch.

Avec son collègue Christophe Marchand, qui fut avocat de la famille Lumumba, Me Hirsch, qui a représenté les victimes du génocide tutsi au Rwanda, assigne l’Etat belge pour crimes contre l’humanité.

Un racisme érigé en système

"Durant la colonisation, le métis était considéré comme une menace pour la suprématie de la race blanche, il fallait l'écarter", relate Me Hirsch, parlant d'un "système généralisé" mis en œuvre par l'administration belge.

Me Clémentine Caillet, avocate de l'Etat, a contesté ces accusations, ainsi que la qualification de crime contre l'humanité brandie par les plaignantes. Les "crimes contre l'humanité" sont imprescriptibles en droit belge, comme les crimes de génocide et de guerre.

Or pour cette avocate l'action est prescrite. S'appuyant sur un régime juridique applicable à l'Etat belge depuis le XIXe siècle, elle a assuré qu'une faute supposée de l'Etat, en l'occurrence ce retrait forcé d'enfants à leur famille, ne pouvait lui être reprochée que dans un délai de cinq ans.

Pour Me Caillet "il faut se replacer dans la réalité de l'époque", qui concevait que ces mises sous tutelle d’enfants métis dans les années 1940 et 1950 "relevaient des politiques de protection de l'enfant".

Ce procès est le premier en Belgique à mettre en lumière le sort réservé aux métis nés dans les anciennes colonies belges (Congo, Rwanda, Burundi), dont le nombre est généralement estimé autour de 15.000.

La plupart des enfants nés de l'union entre une Noire et un Blanc n'étaient pas reconnus par leur père, et ne devaient se mêler ni aux Blancs, ni aux Africains. Ils étaient donc mis sous tutelle de l'Etat et placés en orphelinat moyennant le versement de subventions à ces institutions, généralement gérées par l'Eglise catholique.

(RE)voir : Bruxelles face à son passé colonial : cinq femmes métisses demandent réparation à l'Etat belge
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"A l'école, on nous traitait de café au lait. Nous n'étions pas acceptés", s'est souvenue une des plaignantes, Simone Ngalula, lors d'un entretien avec l'AFP en septembre 2020.

"On nous appelait les enfants du péché. Un Blanc ne pouvait pas épouser une Noire. L'enfant né de cette union était un enfant de la prostitution", a raconté Léa Tavares Mujinga, née d'un père portugais qu'elle n'a revu qu'à 14 ans.

Des indemnisations de l’Etat belge

Pour ces femmes, les excuses de l'Etat formulées en 2019 par le Premier ministre belge doivent être suivies d'indemnisations. Charles Michel, désormais président du Conseil européen, avait alors reconnu "une ségrégation ciblée", et déploré des "pertes d'identité" avec la séparation des fratries, y compris au moment des rapatriements en Belgique après l'indépendance du Congo en 1960.

"On nous a détruites. Les excuses, c'est facile, mais quand on pose un acte il faut l'assumer", a soutenu Monique Bitu Bingi peu avant le procès devant des journalistes.

"On ne peut pas mourir avec ça", a-t-elle déclaré à la fin du procès.

Devant des journalistes, elle a dénoncé "un deuxième abandon", lorsque après l'indépendance ces fillettes, contrairement aux religieuses blanches, n'ont pas pu monter dans les camions de l'ONU pour être rapatriées avec les Occidentaux.

Certaines d'entre elles, âgées alors de 10-12 ans, disent avoir été "violées avec des bougies" par des rebelles. 

Toutes réclament aujourd'hui à la justice belge "une somme provisionnelle de 50.000 euros" et la nomination d'un expert pour évaluer leur préjudice moral.

Elles exigent aussi le plein accès à tous les documents susceptibles d'éclairer leur histoire.

Il a fallu passer par une mise en demeure de l'Etat pour obtenir les dossiers des pères de Simone, Noëlle, Marie-Josée et Monique, tous fonctionnaires belges à l'époque, a expliqué Me Sophie Colmant, associée de Me Hirsch.

"Ce qu'on lit est à vomir", a lâché l’avocate, disant y avoir découvert "une décision de non lieu (au Congo) pour des faits avérés de viol commis par un fonctionnaire belge".

Le jugement devrait être rendu dans plusieurs semaines. Alors que la Belgique attend la publication d'un rapport sur la colonisation cet automne, l’issue de l’action judiciaire de 14 octobre pourrait relancer la réflexion et revêtir une portée historique.

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