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Il est donc réapparu, aussi soudainement qu’il avait disparu. Sur les médias officiels nord-coréens, en tout cas. Le “dirigeant suprême” de la Corée du Nord n’avait pas été vu depuis le 11 avril dernier. Son absence inédite aux cérémonies du 15 avril, célébrant l’anniversaire de son grand-père, fondateur de la Corée du Nord, a provoqué spéculations et rumeurs. Certaines, reprises par des médias, le donnaient même mort. C’est pourtant un Kim Jong-Un bien vivant et en apparence plutôt heureux d’inaugurer une nouvelle usine d’engrais ce 1er mai que le monde a découvert.
Juliette Morillot est journaliste. Cette spécialiste de la Corée du Nord mettait déjà en garde contre les fausses informations qui circulaient sur cette absence inexpliquée.
Son dernier ouvrage, écrit avec Dorian Malovic, chef du service Asie au quotidien La Croix, s’intitule « Mijin : confession du catholique nord-coréenne » (Bayard).
TV5MONDE: Après une semaine de rumeurs sur la santé de Kim Jong-Un, comment être certain que les images diffusées le 2 mai sont authentiques ?
Juliette Morillot : Les médias qui donnaient Kim Jong-Un mort ou mourant ne s’appuyaient que sur une seule source (la nièce du ministre chinois des Affaires Étrangères et vice-directrice d’un média hongkongais s’était exprimée sur un réseau social, ndlr).
Cette fois-ci, si les images diffusées le montrant en vie et plutôt en forme sont difficilement datables (il s’est déjà rendu dans cette usine), elles corroborent ce qu’affirmaient d’autres sources, comme Séoul (qui qualifiait de fausses nouvelles les informations le donnant gravement malade ou mort, ndlr). De plus, deux députés originaires de Corée du Nord (dont l’ancien numéro 2 de l’ambassade nord-coréenne à Londres, ndlr), qui avaient alimenté la rumeur, ont dû présenter leurs excuses officielles lundi 4 mai.
De toute façon, il ne s’agit pas d’une justification. Le régime nord-coréen jamais ne confirme ni n’infirme une rumeur. Il fonctionne indépendamment des fantasmes et des excitations de la communauté internationale.
TV5MONDE : Des traces sur le poignet de Kim Jong-Un font dire à certains, un médecin américain cité par le Daily Mirror notamment, qu’il aurait subi une lourde operation chirurgicale. C'est ce qu'affirmait l'une des rumeurs, ce que réfute l’agence de presse sud-coréenne Yonhap. Qu’en pensez-vous ?
J.M : En effet. Pour moi, ces traces ressemblent plus à celles laissés par la moxibustion, c’est-à-dire par la combustion d’un cône d’armoise sur les points d’acupuncture. Il s’agit d’une pratique courante dans la médecine traditionnelle coréenne, préconisée dans le traitement de la nausée, du stress et de l’anxiété. Cela ne signifie pas que Kim Jong-Un a eu de graves problèmes de santé.
Cela étant dit, cela reste plausible. Nous savons sa santé fragile. Il a à l’évidence un problème de surpoids, il fait du diabète et il fume. Son père et son grand-père sont tous deux morts de problèmes cardiaques.
(Re)voir : Kim Jong-un serait « vivant et en bonne santé », selon Séoul
TV5MONDE : Sans informations précises, les spéculations continuent : un journaliste de la chaîne Sky News Australia pense notamment que cette disparition aurait été orchestrée pour démasquer d’éventuels traîtres…
J.M : Pour moi ce sont des fantasmes. Je mettrais ma main au feu que Kim Jong-Un n’a pas mimé son absence. Certes, on se souvient qu’il a fait supprimer son oncle (en décembre 2013). Mais, sans justifier son exécution, Jang Song-thaek avait une réelle importance politique et des contacts à l’étranger. Il a été jugé traître à l’idéologie nord-coréenne du Juche (qui prône l’indépendance politique, l’autosuffisance économique et l’autonomie militaire, ndlr) et donc purgé.
En revanche, que la rumeur à l’étranger puisse avoir un impact sur l’opinion que Kim Jong-Un se fait de certains de ses fidèles, ça c’est plausible. Mais cela ne permet pas d’affirmer qu’il a disparu pour débusquer les traîtres.
TV5MONDE : Parmi les rumeurs qui ont couru, laquelle est la plus vraisemblable ?
J.M : Cela peut être un coup de fatigue comme de l’autoconfinement. Officiellement, la Corée du Nord n’a aucun cas de coronavirus. Dès le mois de janvier des mesures très strictes ont été prises (fermeture des frontières, quarantaines, distanciation sociale…). Mais compte tenu de l’importance des contacts avec la Chine, il est peu probable qu’il n’y ait pas eu un seul cas. Il est possible, comme cela a été rapporté, qu’une personne de son entourage ait été contaminée et qu’il ait donc été obligé de se confiner.
Mais rappelons que ce n’est pas la première fois qu’il disparaît. L’année dernière, à peu près à la même période, Kim Jong-Un a été absent de la scène politique pendant 21 jours (contre 20 cette fois, ndlr). On n’a jamais su pourquoi, mais ça n’a inquiété personne. Cette fois, ce qui a mis la puce à l’oreille c’est son absence, inédite aux cérémonies du 15 avril.
TV5MONDE : Comment expliquez-vous un tel emballement médiatique ?
J.M : C’est en train de changer, mais sur la Corée du Nord on peut dire à peu près n’importe quoi, en toute impunité. Pour des raisons idéologiques, on a longtemps refusé d’écouter les spécialistes qui connaissaient le pays et la langue.
Les chancelleries (Séoul, Tokyo…) sont restées très prudentes. Je pense que la Corée du Nord a réussi son changement d’image en 2018 avec cette volonté de pacification sur la péninsule, les rencontres avec Donald Trump font qu’aujourd’hui la Corée du Nord fait partie du paysage politique international en tant que puissance nucléaire. On ne peut plus plaisanter avec elle.