Réchauffement : bientôt la fin des plages espagnoles ?

Réchauffement climatique oblige, les plages du littoral catalan sont menacées.  La côte barcelonaise perd environ 1,3 mètre de plage par an. Mais empêcher le rétrécissement croissant de ces plages représente un défi complexe, sur les plans écologiques, économiques et démographiques.
 

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Barcelone plage
La plage de Barcelone
© Fabien Palem
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Même durant l’hiver, toujours clément dans la capitale catalane, le cadre maritime et urbain de la Barceloneta constitue un lieu de promenade privilégié, prisé des locaux, comme des visiteurs. C’est aussi la plage de prédilection de Stefan, d’origine bulgare, installé en Espagne depuis 15 ans, qui y monte ses châteaux de sable les weekends. S’il bénéficie économiquement de la haute fréquentation du site, sa tâche est rendue plus difficile par le sable artificiel, « plus épais que sur le reste de la côte, et qui a donc plus de mal à se fixer ».
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Le graphique du Delta de l'Ebre  fourni par le laboratoire d'ingénierie maritime
(DR)

 
Le spectacle éphémère de ces châteaux de sable est à savourer sans modération. Car ces constructions momentanées pourraient bien s’envoler, dans un futur pas si lointain. Avec elles, de nombreuses plages de la péninsule ibérique. Selon l’Université Polytechnique de Catalogne (UPC), la côte catalane fait partie des littoraux les plus menacés par les effets du changement climatique. Comme partout, la montée du niveau de la mer y est pour beaucoup. Ici, il faut y ajouter un phénomène d’érosion constant et une artificialisation du littoral, plus importante qu’ailleurs dans l’Etat espagnol.
Augustin Sanchez Arcilla
Agustin Sanchez-Arcilla, dans son bureau à l'UPC.
© Fabien Palem

 
« Si la situation de la côte catalane est tant critique, c’est notamment dû à la variable démographique, précise Agustín Sánchez-Arcilla, directeur du Laboratoire d’Ingénierie Maritime depuis quinze ans. Le littoral catalan est l’une des zones les plus peuplées de l’Etat et celle qui connaît la plus forte croissance démographique. Plus de la moitié de la population est concentrée sur seulement 10 % du territoire catalan. » Ce chercheur de l’UPC se trouvait à Paris, du 7 au 15 juillet dernier, pour participer au plus grand sommet scientifique de la préparation de la COP 21 (« Our common future under climate change »). « Il faut agir rapidement, alerte-t-il. Dans les cinquante années à venir, nous allons expérimenter un changement climatique comparable à celui que nous avons vécu lors des deux derniers siècles. Même si des mesures sont prises pour stabiliser l’émission de gaz à effet de serre et la température, le niveau de la mer continuera de monter. Car l’inertie thermique accumulée continuera d’avoir des effets pendant approximativement 200 ou 300 ans. »
 
Loin d’être la huitième merveille du monde, la plage la plus naturelle ou la plus esthétique de la péninsule, la Barceloneta est bien la plus visitée de l’Etat espagnol. Avec celles du Maresme, au Nord-Est de Barcelone, elles font partie des zones les plus sensibles au changement climatique. La côte barcelonaise, dont la largeur maximale oscille entre 40 et 75 mètres, perd environ 1,3 mètre de plage par an (lire ici l’analyse du journal El Periódico). Si les prévisions de l’IPCC (Intergovernmental Panel on Climate Change) venaient à se confirmer, il pourrait ne plus y rester un grain de sable d’ici quelques décennies, avant la fin du XXIe siècle. L’an 2100, c’est demain.
manif Barcelone pour le climat
Manifestation pour le climat, le 28 novembre, à Barcelone
©Fabien Palem

 
« C’est évident que les phénomènes observés en ville sont davantagevisibles que ceux qui touchent les campagnes, concède Jaume Grau, activiste à Barcelone de Ecologistas en acción, une confédération réunissant quelques 300 associations écologistes espagnoles. La force touristique de Barcelone peut ainsi aider à toucher davantage l’opinion publique. » La grande visibilité dont jouissent les cartes postales du littoral, moteurs de l’industrie touristique, telles que la Barceloneta, a poussé les décideurs à agir. La construction de jetées par exemple. Des mesures loin d’être suffisantes pour Jaume Grau : « Ces réponses à court terme ne touchent pas les problèmes de fond. On cherche à montrer une bonne volonté sans s’attaquer aux racines du problème. »
 
Des racines multiples, que les Ecologistas en acción dénoncent depuis des années au gré d’actions concrètes, comme la classification et l’évaluation des plages du littoral. En septembre 2014, l’organisation a planté pas moins de 117 drapeaux noirs, rien que sur le littoral catalan, pour dénoncer l’« état critique » de la côte. A l’inverse, les plages maintenues dans des conditions naturelles et moins urbanisées se sont vues attribuer le statut de « plages vierges ». L’objectif : « Valoriser et féliciter (…) les efforts des municipalités et autres entités à préserver leurs plages de la massification et de l’altération, tant urbanistique qu'humaine, de son environnement naturel. » Le modèle touristique espagnol, intimement lié à l’enjeu de la protection du littoral, soulève bien des critiques. Comment continuer à tirer bénéfices du tourisme de sol y playa (soleil et plage), qui représente 10 % du PIB espagnol, sans participer à la disparition progressive des plages ?
Espagne, la plage de Barcelone
La plage de Barcelone
©Fabien Palem

 
Les attentes générées par les sommets internationaux sont importantes chez les activistes. Mais les décisions macro-écologistes qui peuvent y être prises n’ont d’effets que si elles sont suivies et approfondies par un micro-écologisme à long terme, de la part des administrations d’échelles inférieures, mairies en tête.
 
Tatiana Nuño, responsable de la campagne relative au changement climatique à Greenpeace, est confiante des effets que la COP 21 peut avoir : « Le 4 décembre a lieu le sommet des élus locaux pour le climat. Les villes ont un rôle à jouer face au changement climatique. » Pour cette militante écologiste, la prise de conscience citoyenne est incontestable, « notamment au sein de la société espagnole », qui a mis au premier rang de ses préoccupations le changement climatique, et figure même en tête des pays européens, selon une étude de Pew research center, avec 59 % des sondés qui se disent « très concernés ».
 
« Les problèmes causés par le changement climatique sont trop nombreux pour en prioriser certains par rapport à d’autres », ajoute Tatiana Nuño, qui refuse de mettre en avant des symboles tels que la Barceloneta pour conscientiser la population. Agustín Sánchez-Arcilla serait d’accord pour élargir le spectre des symboles en voie de disparition : « L’aéroport de Barcelone, poumon économique indispensable, collé au Delta du Llobregat, est également menacé par la montée des eaux. Le delta de l’Ebre, par ses caractéristiques naturelles, est un autre symbole fort. » Voilà le triptyque le plus pessimiste pour la Catalogne : disparition de son aéroport international, de nombreuses parties de son littoral, dont la plus touristique et la plus « naturelle ». Quelle que soit la victime à sauver du changement climatique, les dirigeants devront vite se mouiller pour prendre des décisions.