Jeudi 8 septembre, la revue Science publie une analyse poussée des effets de l’augmentation des températures sur la vie sur Terre. Selon plusieurs projections, plusieurs points de bascule sont déjà atteints avec des températures qui gagnent 1,5°C. Cette situation plonge la planète dans un scénario inquiétant.
Les “points de bascule”, ou “
tipping point” en anglais sont considérés par les scientifiques comme un point de non-retour. Il s’agirait du moment précis où l’incidence du réchauffement climatique sera telle que ses conséquences sur la vie sur Terre à l’échelle planétaire seraient irréversibles.
David Armstrong McKay et Tim Lenton, tous deux chercheurs à l’université d’Exeter au Royaume-Uni proposent ce jeudi 8 septembre dans la revue Science une “
réévaluation des points de bascule climatique”.
Pour mener cette étude, les scientifiques ont notamment analysé des données climatiques en les recoupant au fil du temps. Grâce à cette approche basée sur la paléoclimatologie, les scientifiques peuvent calculer le temps que l’humanité va mettre avant d’atteindre ces points de bascule. La durée de la transition varie de “
plusieurs décennies à des milliers d'années” selon le système, précise cette analyse scientifique. “
Par exemple, les écosystèmes et les modèles de circulation atmosphérique peuvent changer rapidement, tandis que l'effondrement de la calotte glaciaire est plus lent mais entraîne une élévation inévitable du niveau de la mer de plusieurs mètres”.
Des effets même si “la température cesse d’augmenter”
Selon le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), ces points de bascule de l’environnement sont au nombre de neuf. “L
'équipe internationale a conclu que 16 systèmes biophysiques majeurs impliqués dans la régulation du climat de la Terre (appelés "éléments de bascule") ont le potentiel de franchir des points de bascule”, indique l’étude publiée ce jour.
Dans les colonnes de la revue Science, les chercheurs estiment que “même aux niveaux actuels de réchauffement climatique, le monde risque déjà de franchir cinq points de bascule climatiques dangereux”. Toujours selon les projections des chercheurs, “
les risques augmentent à chaque dixième de degré de réchauffement supplémentaire”.
Selon les chercheurs, l’activité humaine et les émissions qu’elle génère ont déjà “
ont déjà poussé la Terre dans la zone dangereuse des points de bascule”. En clair,
“cela signifie que même si la température cesse d'augmenter, une fois que la calotte glaciaire, l'océan ou la forêt tropicale aura dépassé un point de bascule, elle continuera à changer vers un nouvel état”.
Les différents points de bascule à connaître
- Selon le GIEC, le “tipping point” ou point de bascule en français correspond au “degré de changement des propriétés d’un système au-delà duquel le système en question se réorganise, souvent de façon abrupte, et ne retrouve pas son état initial même si les facteurs du changement sont éliminés" .
- En ce qui concerne le système climatique, le point de bascule fait référence à un "seuil critique au-delà duquel le climat mondial ou un climat régional passe d’un état stable à un autre état stable”. À ce jour, le GIEC en reconnaît neuf :
1. Arrêt de la circulation méridionale de retournement de l’Atlantique
2. Désintégration de la calotte glaciaire de l’Antarctique occidental
3. Dépérissement de la forêt tropicale amazonienne
4. Déplacement de la mousson ouest-africaine
5. Pergélisol et hydrates de méthane
6. Mort des récifs coralliens
7. Déplacement de la mousson indienne
8. Désintégration de la calotte glaciaire du Groenland
9. Déplacement de la forêt boréale
De nouveaux points de bascule atteints
En plus d’étudier les points de bascule tels qu’ils ont été établis par les membres du GIEC, cette étude permet d'identifier de nouveaux éléments de bascule. Selon les deux auteurs, la “
convection de la mer du Labrador et les bassins sous-glaciaires de l'Antarctique oriental ont été ajoutés par rapport à l'évaluation de 2008”. L’étude précise notamment “
que la glace de mer d'été arctique et l'oscillation australe El Niño (ENSO) ont été supprimées faute de preuves de la dynamique de bascule”.
Toujours selon cette étude, au moins cinq points de bascule pourraient être déclenchés dans peu de temps. David Armstrong McKay et Tim Lenton pointent du doigt les températures actuelles. Ils listent notamment “
les calottes glaciaires du Groenland et de l'Antarctique occidental, le dégel abrupt et généralisé du pergélisol, l'effondrement de la convection dans la mer du Labrador et la mort massive des récifs coralliens tropicaux”. “
Quatre d'entre eux passent d'événements possibles à probables à un réchauffement climatique de 1,5 ° C, et cinq autres deviennent possibles autour de ce niveau de chauffage”, révèle Science.
Nous pouvons déjà voir des signes de déstabilisation dans certaines parties des calottes glaciaires de l'Antarctique occidental et du Groenland.
David Armstrong McKay, co auteur de l'étude.
L’impact des accords de Paris insuffisant ?
Cette nouvelle analyse indique que la Terre a peut-être déjà quitté un état climatique «sûr» en raison du nombre de points de bascule atteint. Un nombre qui s’est accéléré lorsque l’augmentation des températures sur Terre a atteint environ 1 ° C, rappelle l’étude.
Une conclusion de la recherche est donc que l'objectif de l'Accord de Paris des Nations Unies ratifié lors de la COP21 fin 2015 de limiter le réchauffement bien en dessous de 2 ° C et de préférence de 1,5 ° C n'est pas suffisant pour éviter complètement un changement climatique dangereux. Selon l'évaluation, la probabilité du point de bascule augmente nettement en cas de réchauffement de 1,5 à 2 °C, avec des risques encore plus élevés au-delà de 2 °C.
Mais l'étude apporte tout de même “
un soutien scientifique solide à l'Accord de Paris”. En effet, les auteurs de cette analyse scientifique montrent que le risque d’atteindre de nouveaux points de bascule s'intensifie au-delà du niveau prévu par les Accords de 2015.
"Chaque dixième de degré compte”
“
Pour maintenir des conditions vivables sur Terre, protéger les gens contre la montée des extrêmes et permettre des sociétés stables, nous devons faire tout notre possible pour éviter de franchir des points de bascule. Chaque dixième de degré compte”, prévient le scientifique suédois et directeur du Potsdam Institute for Climate Impact Research, Johan Rockströ.
Nous devrons peut-être également nous adapter pour faire face aux points de bascule climatiques que nous ne parvenons pas à éviter.
Tim Lenton, co auteur de l’étude sur les points de bascule.
Pour éviter de franchir d’autres points de bascule, plusieurs pistes déjà connues sont rappelées par les scientifiques dans cette étude. Ils appellent à réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre et à accélérer la transition énergétique. "
Nous devrons peut-être également nous adapter pour faire face aux points de bascule climatiques que nous ne parvenons pas à éviter et soutenir ceux qui pourraient subir des pertes et des dommages non assurables", explique Tim Lenton.